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EAN : 9782843449338
160 pages
Le Bélial' (19/04/2018)
3.56/5   112 notes
Résumé :
Musicien noir sans grand talent, le jeune Charles Thomas Tester vivote à Harlem en cette année 1924. Il pousse la chansonnette dans les rues pour un public de Blancs amateurs de jazz, et, à l'occasion, fait des petits boulots. Un jour, il croise le chemin de Robert Suydam, un occultiste qui l'engage pour jouer chez lui contre une somme faramineuse. Pourquoi ? Quels sont les buts de l'excentrique Suydam ? Va s'ensuivre une plongée dans l'étrange pour Tester, qui en s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
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NO LIVES MATTER



L'impressionnante (et quelque peu effrayante, à vrai dire) vague de publications lovecraftiennes ou para-lovecraftiennes-truc de ces dernières années a pu emprunter bien des avatars, mais un sans doute attire plus particulièrement l'attention : la relecture critique de l'oeuvre du gentleman (eh ?) de Providence, à l'aune d'une Amérique (notamment) qui change, espérons-le, mais n'a en tout cas longtemps pas assez changé. de fait, l'accent mis sur les côtés les plus déplaisants du personnage – son racisme et son antisémitisme au premier chef, on parle aussi de sexisme et d'homophobie même si ces questions appellent peut-être des réponses davantage nuancées –, maintenant que sa biographie est plus assurée et que les silences gênés de certains de ses anciens éditeurs ne sont plus de mise, a assez logiquement débouché sur des textes, peut-on encore parler de pastiches, qui inscrivent/révèlent (peut-être avec des guillemets ?) dans le corpus lovecraftien même les hantises, les phobies, les haines, les absences de l'auteur, qui n'en manquait certes pas. Ceci avec plus ou moins de pertinence, et plus ou moins d'intérêt – car l'idée critique, aussi solidement étayée soit-elle par les faits les plus affligeants de la biographie ou de la bibliographie de Lovecraft, et pertinente à maints égard, ne suffit pas forcément à faire un bon récit, si elle peut suffire à faire un bon pamphlet.



Assez récemment, je vous avais ainsi causé de la Quête onirique de Vellitt Boe, de Kij Johnson, qui, à l'heure de #MeToo entre autres, féminisait (et diversifiait ?) une oeuvre lovecraftienne cruellement lacunaire, et c'est peu dire, en matière de personnages féminins, en adoptant le prisme des Contrées du Rêve et en le dépouillant au passage d'une certaine immaturité fondamentale. Cependant, je n'avais pas été vraiment convaincu : un bon personnage et un propos juste n'avaient pas suffi à m'emballer, car j'avais bien trop le sentiment d'une autrice oubliant de raconter quelque chose derrière son message.



Le même éditeur, le Bélial', a récidivé plus récemment, mais dans le cadre de sa belle collection « Une heure-lumière » cette fois, avec La Ballade de Black Tom, novella de Victore LaValle (dont c'est le premier texte traduit en France, sauf erreur) bardée de prix, qui revisite la (mauvaise) nouvelle « Horreur à Red Hook » à l'heure entre autres du mouvement Black Lives Matter ; c'est un fait, le rêve de Martin Luther King ne s'est pas exactement réalisé, et il y a encore bien du boulot – je laisse Mr Ice-T vous expliquer tout cela, ici, là, et encore ailleurs. Victor LaValle, auteur afro-américain, revient ainsi sur une nouvelle de Lovecraft notoirement raciste, en adoptant le point de vue des Noirs (mais pas seulement). En ce sens, la démarche me paraît assez proche de celle de Kij Johnson – mais, à mes yeux, le résultat est cette fois bien plus convaincant, et le livre, orné comme d'hab' d'une belle couverture d'Aurélien Police (woop-woop !) (…) (pardon) (mais y a un lien) (si si) (voyez plus haut) (aheum), le livre disais-je est cette fois tout à fait recommandable et même bien plus que ça sans doute. Penchons-nous donc sur ce texte très intéressant, dédié « à H.P. Lovecraft, avec tous mes sentiments contradictoires ».



THE RACISM AT RED HOOK



Mais il nous faut donc partir de la nouvelle de Lovecraft « Horreur à Red Hook » – dont la (re)lecture est fortement recommandée avant ou pendant ou après la lecture de la novella de Victor LaValle : celle-ci n'est pas à proprement parler « incompréhensible » sans cela, mais, le jeu littéraire étant affiché sans la moindre ambiguïté, la méconnaissance du texte source risque de faire passer à côté d'un certain nombre de choses d'un intérêt non négligeable.



Écrite les 1er et 2 août 1925, « Horreur à Red Hook » est publiée dans le numéro de janvier 1927 de Weird Tales. Et c'est une période charnière pour Lovecraft – dont le mariage improbable avec Sonia Greene prend vite l'eau, tandis que son séjour à New York, de merveilleux, devient cauchemardesque, et tout cela n'est probablement pas pour rien dans le tournant que connaît parallèlement la production littéraire de Lovecraft, avec une nouvelle écrite un an seulement après « Horreur à Red Hook », mais autrement réussie : « L'Appel de Cthulhu », qui inaugure la phase la plus enthousiasmante du corpus lovecraftien. À l'époque, si je ne m'abuse (je crois qu'il y en a quelques exemples dans A Weird Writer in Our Midst), « Horreur à Red Hook » s'attire quelques louanges dans « The Eyrie », le courrier des lecteurs du fameux pulp, mais Lovecraft lui-même ne se faisait guère d'illusions sur ce texte, qu'il jugeait lui-même « pas très bon », et la critique ultérieure a été unanime à ce propos, et plus vigoureuse ; de fait, ce texte est atrocement mauvais…



Il a pourtant sa célébrité. On en a fait « la nouvelle la plus raciste de Lovecraft ». Elle est assurément raciste, horriblement raciste ; cependant, si cette réputation fait sens dans le cadre de la novella de Victor LaValle (qui n'a certes pas choisi son sujet au hasard), je ne suis pas certain qu'elle soit vraiment très pertinente dans l'absolu. Déjà parce qu'il y a un certain nombre d'autres textes lovecraftiens horriblement racistes – même sans se livrer à un absurde concours de « la nouvelle la plus raciste » (et encore, je m'en tiens ici à la fiction – la poésie et les essais et la correspondance, je vous raconte même pas) ; on peut citer par exemple « La Rue » (un pamphlet d'une stupidité abyssale), ou la (ridicule, à ce stade) révision « La Chevelure de Méduse » (même s'il semblerait que, pour cette dernière, les torts soient partagés avec la « commanditaire », Zealia Bishop) ; probablement aussi « Arthur Jermyn », un chouia moins mineur… mais aussi des textes bien plus connus, lus et relus et à bon droit car brillants, tels « Le Cauchemar d'Innsmouth »… ou, oui, « L'Appel de Cthulhu ».



En fait, j'ai le sentiment que cette approche (encore une fois, en dehors du cadre spécifique de la novella de Victor LaValle) peut avoir quelque chose d'assez pernicieux, lié peut-être à une forme de puritanisme très américaine, s'offusquant parfois de la façade sans chercher vraiment dans le fond. « Horreur à Red Hook » a gagné cette réputation de « nouvelle la plus raciste de Lovecraft » parce qu'elle est ouvertement, frontalement raciste – l'auteur en pleine crise, à mesure que son séjour new-yorkais se prolonge, s'y livre notamment à une navrante litanie des maux d'ordre quasi médical imputés au melting-pot du quartier de Red Hook (associé à Brooklyn où il vivait), dans une nouvelle outrée, explicite, débordant de peur et de haine pour ces immigrés clandestins qui suintent dans les rues, une menace pour les « Norvégiens aux yeux bleus » (putain, Howard-chou, quand même...), avec dans leurs valises leurs rites impies et sanglants d'une antique et blasphématoire sorcellerie.



Mais, à tout prendre, « L'Appel de Cthulhu » ne raconte pas forcément autre chose (et à vrai dire beaucoup d'autres textes d'autres auteurs de la même époque) – simplement, enfin, non, pas si simplement, justement, Lovecraft a cette fois maquillé son propos en narrant une histoire bien plus inventive, de portée philosophique plus saisissante et c'est peu dire, et bénéficiant d'une construction admirable, parfaite, l'ensemble constituant un vrai chef-d'oeuvre. Mais si le racisme de « L'Appel de Cthulhu » est moins « visible » (même si le repérer ne demande pas exactement un effort considérable – dès la première page, c'est assez clair), il n'en est pas moins présent – et c'est bien pourquoi, dans le registre des relectures contemporaines, les idées de certains me navrent, qui s'affichent simplement désireux d'expurger cette nouvelle en particulier de tel ou tel mot qui fait tache à l'occasion (ce « mot en N... » qu'il ne faut plus prononcer aux États-Unis, même pour dénoncer le racisme) ; mes excuses, mais même en rayant tous les vilains mots de cette nouvelle, elle demeurera raciste – géniale, mais raciste. On peut refuser de la lire si l'on y tient, ne pas aimer voire détester Lovecraft en raison de son racisme est ma foi une raison tout à fait valable de ne pas l'aimer voire de le détester et ses écrits avec, mais, clairement, ce n'est pas un petit retouchage cosmétique qui en changera la portée.



Or la relation entre les deux nouvelles (rédigées avec seulement un an d'écart, donc) me paraît instructive. « Horreur à Red Hook », j'en suis persuadé, a quelque chose d'un brouillon de « L'Appel de Cthulhu ». Seulement, prise isolément, même en mettant à part la question du racisme (ce qui n'est certes pas évident), c'est une mauvaise, une très mauvaise nouvelle. Tout le contraire, pour le coup, de « L'Appel de Cthulhu ».



Victor LaValle n'a donc pas choisi son texte source au hasard : dans le contexte de la gestation de sa propre novella, la réputation de « Horreur à Red Hook » est une motivation plus que suffisante, et parfaitement pertinente. En outre, comme Alan Moore, par exemple, qui a su s'en inspirer avec talent dans Neonomicon puis Providence, Victor LaValle en dérive très intelligemment un texte tout à fait réussi, dans sa portée critique comme dans sa dimension narrative.



HARLEM, RED HOOK – MALONE, SUYDAM, BLACK TOM



Quelques mots, tout de même, de « l'histoire » dans « Horreur à Red Hook » ; ce qui ira assez vite, parce que la nouvelle pèche clairement sous cet angle, et Lovecraft lui-même en était semble-t-il très conscient. À vrai dire, au-delà des éructations racistes et xénophobes qui fondent le propos, le texte m'a toujours fait l'impression d'un auteur vraiment pas à l'aise avec ce qu'il écrit – le personnage même du « héros », Thomas F. Malone, un policier (ça va vraiment pas, Howie-chou ?!?), en est très vite une éclatante démonstration… Et Victor LaValle y a trouvé un élément très important de son propre récit (comme, dans un autre registre, Alan Moore dans Providence, qui y associe une dimension homo-érotique totalement absente de l'orignal, mais qui sonne parfaitement juste).



Ledit Thomas F. Malone, que l'on découvre en bien sale état au début de la nouvelle (comme souvent chez Lovecraft, le temps de la narration n'est pas celui des événements, et on commence en gros par la fin), a été amené à enquêter dans le quartier de Red Hook, un îlot de Brooklyn particulièrement cosmopolite (horreur glauque), sur les activités d'un certain Robert Suydam – un Blanc de bonne famille, et d'un bon quartier, que sa famille suppose être devenu fou, puisqu'il fricote avec des « Syriens » et compagnie. L'enquête amènera Malone à découvrir l'existence d'une sorte de culte souterrain en forme de conspiration globale de l'étranger toujours corrompu par une sorcellerie millénaire ; et ça se finira mal pour tout le monde.



Clairement, cette histoire est d'une pauvreté affligeante. Lovecraft voulait vitupérer contre les vilains étrangers (même en leur conférant un Blanc pour patron, faut pas déconner non plus), mais, en dehors de cette navrante note d'intention, son scénario est erratique et terne, avec des éléments surnaturels tristement convenus et sans âme – un mariage bizarre (dont Victor LaValle se débarrasse à bon droit), des souterrains glauques propices à l'immigration clandestine comme aux messes forcément noires, une résurrection chelou (un thème dont il était particulièrement friand)… Mais, au fond, tout cela ne va nulle part.



Victor LaValle, lui, va quelque part – et il sait où, et il sait comment y aller. Que « Horreur à Red Hook » soit une mauvaise nouvelle n'est au fond pas un problème pour lui, même si je n'irais pas jusqu'à prétendre que c'est un avantage pour autant. Son histoire est paradoxalement épurée en adoptant un champ plus large (même si le nom n'apparaît que tardivement dans la nouvelle, le culte de Robert Suydam est clairement associé au culte de Cthulhu dans La Ballade de Black Tom), car elle ne s'égare pas – il y a des trajectoires bien définies.



Cependant, pour qu'elles fassent sens, il lui faut deux choses : un cadre, et des personnages. le cadre, et l'ambiance, font partie des éléments assurant la pertinence et la qualité de la Ballade de Black Tom. À vrai dire, ils sont probablement plus que cela, car ils constituent la première accroche de la novella : dès les premières pages, Victor LaValle accomplit un travail admirable. Harlem sonne juste (« sonne », oui, car la musique est omniprésente, blues très prégnant, jazz qui s'annonce), en sachant éviter le pittoresque pour toucher à quelque chose de bien plus fondamentalement humain – Red Hook aussi, si les quartiers des Blancs sont plus intimidants et secrets, quand nous les parcourons, un peu nerveux, en compagnie de Black Tom. Et tous ces personnages que nous croisons sont comme une revanche sur le texte de Lovecraft : ces immigrés basanés, ces Syriens, etc., qui n'étaient jamais autre chose que des menaces barbares chez Lovecraft, se révèlent pour ce qu'ils sont évidemment – des êtres humains. Lovecraft, dans une fameuse et navrante diatribe, reprochait à tous « ces gens-là » de « ne pas rêver ». Pouvait-il écrire pire sottise ? Bien sûr qu'ils rêvent, et Black Tom comme les autres ! Pour autant, en traitant de ce thème, Victor LaValle ne produit en rien un réquisitoire – ça n'en est tout simplement pas la peine.



La vie, chez ces personnages au fond de la scène, prend des connotations peut-être différentes quand on se penche sur les personnages principaux, mais sans rupture de ton pour autant. Les personnages, on le sait, ne sont pas exactement le fort de Lovecraft, et dans « Horreur à Red Hook », c'est particulièrement flagrant. Victor LaValle devait faire mieux, pour réussir son pari. Mais Suydam ? On peut se contenter de le laisser tel quel – d'une certaine manière, le vieux bonhomme n'en est que plus ridicule, sans que la novella ne vire le moins du monde à la parodie pour autant. Ceci, parce que Suydam est de toute façon un personnage finalement assez secondaire ici – ce qui compte, ce sont deux personnages qui sont amenés à interagir avec lui, et qui sont successivement nos personnages points de vue ; car la novella se scinde en deux parties, chronologiques – la première est centrée sur celui qui n'est pas encore Black Tom, mais simplement Charles Thomas Tester, apport de Victor LaValle, tandis que la seconde est centrée sur Thomas F. Malone.



Ce dernier est incomparablement mieux caractérisé dans la novella de Victor LaValle que dans la nouvelle de Lovecraft. Là où le gentleman de Providence s'empêtrait, avec son « policier mais rêveur », LaValle a campé un personnage pas forcément détestable dans l'absolu, mais qui sidère de par son absence totale d'empathie ; il n'est pas véritablement maléfique, mais il semble dans l'impossibilité la plus totale d'envisager le monde au prisme des sentiments – c'est comme s'il n'en avait pas lui-même, et ne pouvait même pas comprendre que d'autre
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La collection Une Heure Lumière du Bélial' continue son bonhomme de chemin en proposant au lectorat français toujours plus de textes courts de qualité, souvent primés et écris dans la majorité des cas par des auteurs étrangers. Treizième de la collection, « La ballade de Black Tom » ne fait pas exception à la règle et permet de découvrir un nouvel auteur (américain, cette fois) puisque Victor Lavalle n'avait jusqu'à présent jamais été traduis chez nous. Sa novella s'inscrit dans un courant littéraire à la mode en ce moment qui consiste à réadapter des textes de Lovecraft tout en remettant en question la place des minorités dans son oeuvre. Après Kij Johnson et sa « Quête onirique de Vellitt Boe » (adaptée de « La quête onirique de Kadath l'inconnue ») qui proposait une réflexion intéressante sur la place des femmes dans le monde de l'auteur, Victor Lavalle revient pour sa part sur le texte de Lovecraft qui a sans doute la plus mauvaise réputation : « Horreur à Red Hook ». Cette réputation négative, elle tient d'abord à la qualité purement littéraire du texte qui, selon son auteur lui-même, ne figure clairement pas parmi ses meilleures oeuvres. L'autre raison pour laquelle la nouvelle est tenue en aussi piètre estime vient de son caractère résolument raciste, Lovecraft l'ayant écris après son installation dans un quartier cosmopolite de New-York, moment de sa vie qu'il a très mal supporté. Je n'ai personnellement pas eu l'occasion de lire le texte d'origine, et je vous avoue que je n'en ai pas spécialement envie compte tenu des quelques extraits nauséabonds auxquels j'ai pu avoir accès. Néanmoins si vous voulez un avis concernant « Horreur à Red Hook » vous pouvez vous reporter à l'article d'Apophis qui, lui, a eu le courage de se farcir la nouvelle originale.

L'univers n'a ici (presque) rien à voir avec les Contrées du rêve de Lovecraft, le récit surfant davantage sur le fantastique horrifique que sur la fantasy. L'action se situe à New-York dans les années 1920, où on fait la connaissance d'un certain Charles Thomas Tester, un jeune noir qui vit avec son père dans un petit appartement d'Harlem. Débrouillard, celui que tout le monde surnomme « Tommy » arpente le quartier à la recherche de petites combines qui lui permettent d'entretenir sa famille... quitte parfois à se retrouver confronté à des personnes très étranges. Tout bascule le jour où, alors qu'il jouait dans la rue, un vieil homme du nom de Robert Suydam lui propose de l'engager le temps d'une soirée dans sa maison cossue située dans les beaux quartiers. En dépit de l'étrangeté du vieillard et de sa proposition, Tommy accepte et se retrouve entraîné dans un terrible engrenage. le texte est décomposé en deux parties : la première est racontée selon le point de vue de Charles Thomas Tester, la seconde selon celui d'un certain Malone, inspecteur de police qui va, pour son plus grand malheur, croiser le chemin de « Black Tom » et Suydam. Nul doute que les lecteurs connaissant la nouvelle d'origine seront capables de repérer et d'interpréter l'ensemble des références distillées dans le texte par Victor Lavalle. Néanmoins, pour ceux qui, comme moi, ne connaîtraient pas l'oeuvre de Lovecraft, le plaisir de lecture reste très vif. L'auteur nous offre en effet un texte glaçant, qui séduit avant tout par son ambiance oppressante, presque malsaine lors de certaines scènes. Difficile de ne pas être tenté de dévorer la nouvelle d'une traite, tant l'atmosphère étrange qui imprègne cette ville de New-York exerce une fascination presque irrésistible sur le lecteur.

Le second gros attrait de l'ouvrage tient à la manière dont Victor Lavalle transforme un texte résolument raciste en une nouvelle qui rend compte et dénonce la condition des Noirs dans les États-Unis de l'époque (situation qui mériterait malheureusement toujours d'être améliorée aujourd'hui). A travers le parcours de « Black Tom », le lecteur se trouve ainsi directement confronté aux humiliations et aux injustices subies par les personnes de couleur. Les Noirs sont ainsi tenus de rester dans leur quartier (le personnage se fait interpeller dans les transports en commun ou toiser par les passants (quand ce n'est pas pire) dès qu'il s'éloigne d'Harlem) ; ils ne peuvent absolument pas compter sur la police (pour qui ils ne forment de toute façon qu'une seule et même masse indistincte) de même que sur une quelconque protection sociale ou juridique (le père de Thomas en a fait la difficile expérience en tant que maçon). Cette ségrégation est d'autant plus durement ressentie par le lecteur qu'il apprend à connaître au côté de Tommy les réflexes développés par la plupart d'entre eux pour ne pas se faire remarquer des Blancs ou ne pas alimenter leur colère. Là où Victor Lavalle fait fort, c'est qu'il réutilise les arguments développés par Lovecraft pour stigmatiser les populations noires et s'en sert justement pour faire passer le message inverse. Mises dans la bouche des Blancs auxquels le héros se retrouve confronté, des phrases telles que « Décidément, ces gens ne sont pas comme nous. Ç'a été scientifiquement prouvé. » ou « Pas étonnant qu'ils puissent vivre de cette manière » ne véhiculent alors plus une idéologie raciste mais servent au contraire à la dénoncer.

Victor Lavalle signe avec « La ballade de Black Tom » une excellente nouvelle qui parvient à rendre hommage à l'oeuvre de Lovecraft tout en retournant habillement la vision donnée par l'auteur des populations noires. Bourré de références (que les connaisseurs de Lovecraft saisiront certainement mieux que moi), le texte séduit aussi et surtout par son ambiance résolument oppressante ainsi que par la qualité de la plume de l'auteur. Une belle réussite.
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Dans le New York de l'entre deux guerre, des années 20, Charles Thomas Tester, un noir de Harlem, vit de petits boulots plus ou moins légaux, et joue du blues avec sa guitare, ce n'est pas le meilleur musicien qui soit. Un riche et étrange personnage de Brooklyn, va lui proposer un contrat juteux, où sa musique ne sera pas précisément l'objectif. J'ai aimé cette incursion dans l'étrange et le fantastique, c'est bien écrit, bien mené. J'ai découvert qu'il s'agit d'une variante sur le thème de “Horreur à Red Hook” d'H.P. Lovecraft. Je n'ai pas lu cette nouvelle et je me contenterai bien de cette version, ne supportant pas trop l'écriture de Lovecraft. L'incursion dans le blues apporte ici une couleur particulière, une atmosphère riche, la confrontation avec le fantastique fonctionne à merveille et les personnages sont bien abordés, leur évolution dans l'histoire est impressionnante, que ce soit Charles Thomas Tester ou l'inspecteur Malone. L'histoire commence doucement pour finir en une apothéose sombre et inquiétante et c'est parfaitement rythmé. C'est une lecture que j'ai appréciée, ce court roman m'a presque réconcilié avec H.P Lovecraft, ou je devrais plutôt dire : Lovecraft c'est pas mal quand c'est écrit par un autre.
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Encore bravo aux éditions Bélial : le treizième opus de leur collection Une heure-lumière est à nouveau une réussite. Elle permet de faire découvrir Victor Lavalle, jusqu'alors jamais traduit en français.

La Ballade de Black Tom se déroule dans le New-York des années 1920. Charles Thomas Tester est un jeune homme noir de vingt ans qui réside à Harlem avec son père usé par la vie et la perte de sa femme. Tom est un gars débrouillard et sympathique, pas tout à fait escroc mais pas totalement innocent non plus. La livraison d'un livre ésotérique rare chez une mystérieuse vieille femme d'un quartier blanc huppé va le conduire sur un chemin dangereux où il deviendra Black Tom.

Cette novella de qualité s'inspire de Horreur à Red Hook de Lovecraft. Celui-ci est décidément à la mode car les ouvrages reprenant ses monstres et ses thèmes ne se comptent plus dans les parutions actuelles.
Ici Victor Lavalle semble croiser le fer avec  l'écrivain de Providence bien connu pour son racisme et ses ignominieuses descriptions des populations qu'il exécrait. Victor Lavalle, fils d'une immigrée ougandaise, développe le thème du racisme à travers les péripéties de son héros noir. Sortir de Harlem et franchir les limites des quartiers blancs s'avèrent risquées et ne passent pas inaperçu. Tom est d'emblée soumis à suspicion du fait de sa couleur de peau. le romancier utilise les arguments de Lovecraft en les plaçant notamment dans la bouche de policiers ou détective blanc pour mieux dénoncer la ségrégation et le racisme général à l'encontre des Noirs et de tous les nouveaux migrants à la peau trop basanée au goût de certains.

Injustice et racisme conduisent Tom sur le chemin du surnaturel et de la vengeance. La novella se lit très vite par envie de savoir, de se plonger dans une atmosphère particulière oscillant entre le réalisme cru du quotidien des gens de Harlem et les mystères occultes menés dans l'ombre. C'est très bien écrit et mené. Ne reste plus qu'à espérer que ce premier titre traduit de Victor Lassalle sera suivi d'autres tant son style mérite d'être suivi.

Un grand bravo également à Aurélien Police, en charge de la conception graphique de la collection Une heure-lumière. La couverture de la Ballade de Black Tom est très réussie et rend parfaitement la teneur du roman, sombre, gothique et lovecraftienne.
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« La ballade de Black Tom ». En voici l'amorce qui ne soulèvera que peu d'éléments du récit :

Le New-York des années 20.
La ségrégation s'impose avec férocité.
Harlem, Brooklyn, le Queens … etc.
Quartiers ghettos noirs où la précarité règne. Quartiers blancs au goût de paradis. Un mur, virtuel, entre les deux. Les flics patrouillent en Ford T et font tampon. Ils protègent les plus forts des plus faibles. Dichotomie à contraste accentué, l'argent et le luxe pour les uns, la dèche pour les autres. La vie à pile ou face sur la simple couleur de peau.

Charles Thomas Tester, 24 ans, traine une six cordes acoustique en bandoulière. Voix sans âme et instrumentiste besogneux. En tant que musicien de studio: pour lui pas d'embauche, les oreilles des autres lui bottent le train arrière. Malin et débrouillard, il fait la manche, chantant et grattant les cordes, sur les trottoirs des quartiers limitrophes où son absence de talent ne trompe que les blancs. Tombent tombent les pièces dans son chapeau renversé aux pieds des immeubles en promesse de gratte-ciel. Sa vie bascule quand il est embauché le temps d'une soirée par Robert Suydam, un vieil homme blanc et riche, adepte de sciences occultes. L'attendent les horreurs lovecraftiennes que vous avez tous et toutes croisées.

Thomas F. Malone, flic de son état, blanc, dans le sillage policier de Suydam, filatures et enquêtes diverses. Il y croise les pas de Charles Thomas Tester déjà deux doigts dans l'Ailleurs. Bienvenue en HPL Land, ses codes, ses atmosphères où rôde sans fin ce que l'on ne distingue ni n'explique que vaguement, une boule de terreur au fond de la gorge.

Les deux personnages sont en quête de leurs destins croisés. Ils vous y attendent. En compagnie de Black Tom. Mais qui est ce dernier ?

La présente chronique n'a pas été facile à écrire : « La ballade de Black Tom », malgré sa brièveté (143 pages), ne manque pas d'éléments à mentionner pour chercher à aller plus loin que sa simple lecture, de particularismes singuliers et charmants qui en font tout le charme ... le concernant tout est dans les détails.

Je vais essayer de faire court …Mdr.

Victor Lavalle est un auteur tout neuf, tout nouveau en France. 4 romans et un recueil de nouvelles déjà parus ailleurs. le voici présenté, pour sa première publication hexagonale, dans la collection « Une Heure Lumière » chez le Belial Ed. qui a eu l'idée saugrenue en ces temps de crise, mais apparemment justifiée au regard des résultats et de sa longévité inattendue, d'avancer sur le terrain des novelas de Science-Fiction et de Fantastique proposées sous un bel emballage. La série en est à sa 24ème publication (juillet 2020) et semble drainer à sa suite un bon nombre d'afficionados (et quelques réticents). J'y avais lu «Les attracteurs de Rose Street » de Shepard qui m'avait laissé assez satisfait. Je m'étais promis d'y revenir si ce n'est que le prix … (refrain connu me concernant). Qu'ici soit remercié quelqu'un qui se reconnaitra et qui, à titre de réciprocité à venir, m'a permis de m'affranchir de l'obstacle.

L'auteur, Victor Lavalle, dédicace en page 9 la présente novela comme suit: « A H.P. Lovecraft avec tous mes sentiments contradictoires » … car c'est bien de çà dont il s'agit ici tant le Reclus de Providence est dans l'air lovecraftien que le récit véhicule; tant Lavalle s'y montre échafaudant un hommage à HPL couplé à une critique douce mais palpable de certaines de ses considérations raciales, entre refus de ce qu'a parfois écrit le Maitre et vénération pour ce qu'il a imaginé, en un positionnement qui s'apparente à la nécessité de l'exorcisme. C'est du moins ce que j'y pressens au regard de la mode actuelle des récits qui revisitent Lovecraft, ses mondes obscurs et sa manière.

Compliqué ? Oui et non. Je m'explique:

Victor Lavalle est noir, Lovecraft, beaucoup moins. Mais çà, les fans du « Reclus » le savent depuis longtemps, à force de l'avoir lu s'auto-positionner socialement de manière discutable. Sa plume, via Providence, s'en est fait l'écho, à longueur de nouvelles, novelas et romans. Mais bon, on lui pardonne : la fascination que l'on ressent à son égard est ailleurs : lorsqu'il entrebâille l'Ailleurs sous nos pieds, dans nos caves obscures et sonores, derrière nos murs et leurs papiers-peints décollés où les couches de salpêtre humide griffent les parois, au-delà de portes titanesques dévoilant les abysses insondables qui laissent entrevoir des entités menaçantes.

Au-delà de cette gêne (voire crispation coléreuse) à sentir Lovecraft raciste et antisémite, l'auteur d'origine ougandaise s'est nourri de sa Mythologie des Grands Anciens. Naitra « La ballade de Black Tom » à cheval entre lumière et obscurité. Tout du long des 143 pages de la novella on sent le « oui, mais » qui pose à plat et retricote. Il y décrit le racisme ordinaire qui courbe les échines et fait baisser les regards devant l'homme blanc. Il y prend le contre-pied du positionnement d'HPL et c'est salvateur.

Nous avons ici affaire à la réécriture totale d'une nouvelle de Lovecraft. Son titre : « L'horreur de Red Hook » (je ne l'ai pas lu, je ne l'ai pas en stock mais elle est écoutable sur You Tube) ; elle est parue en 1927 dans Weird Tales. Passant pour être une des plus polémiques de son oeuvre, Victor Lavalle s'en empare, la pose à plat et la retricote, usant de ses propres mailles et de son propre style, s'échappant de celui reconnaissable entre mille de son initiateur. Il offre une bonne part de l'intrigue à son chanteur noir, reconfigurant les faits relatés au regard de son ressenti d'homme noir, à sa manière, à l'aune de sa vérité. Que les choses soient enfin claires, que le lecteur juge, qu'il décide qui de lui ou de Lovecraft est le plus crédible.

Au final, percevant à minima cette « ballade » comme un récit fantastique traditionnel bien mené et bien écrit, ou du moins dans la bonne lignée lovecraftienne, je lui trouve en bonus son intérêt principal dans le contrepied, la réécriture, la mise en avant d'un angle nouveau. Je suis prêt pour un autre voyage de la même eau, le principe me plait au moins au titre de curiosité.


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critiques presse (1)
Elbakin.net
12 avril 2018
La Ballade de Black Tom n’en demeure pas moins ainsi un récit malin, tristement glaçant, mais peut-être pas la claque que l’on croyait prendre.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
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Mais Tommy Tester ne se sentait pas capable de se joindre aux réjouissances. Hier encore, la promesse de ce monde nouveau aurait pu le tenter, mais aujourd’hui, elle lui semblait sans valeur. Tout détruire et confier ce qui restait à Robert Suydam et ces imbéciles ? Qu’est-ce qui changerait vraiment ? L’humanité n’était pas responsable de ce gâchis ; elle était ce gâchis.
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Une petite résidence privée, presque perdue dans un bosquet d'arbres. Avec le reste de la rue occupé par un funérarium, elle semblait avoir poussé comme une tumeur sur la maison des morts.
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I’ll take Cthulhu over you devils any day.
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