Un auteur, aussi talentueux fût-il, a parfois des « baisses de régime » dans la qualité de sa production a fortiori lorsqu'elle est aussi volumineuse que celle de
Stephen King.
Cependant, depuis quelques années, cette baisse était inquiétante ;
Aprés et Conte de Fée n'étaient guère que des romans pour adolescents, et
l'Outsider ou
l'Institut n 'étaient pas franchement convaincants; quatre ouvrages honorables, certes, mais bien en dessous de Ça, du Fléau, de
Shining, pour ne citer que ceux-là ; finalement 22/11/63 aura été son dernier grand livre jusqu'ici.
Sans atteindre ces sommets,
Holly semble amorcer une remontée.
Le roman constitue le quatrième ouvrage du cycle Bill Hodges, commencé avec Monsieur Mercedes ; selon la formule consacrée, « chaque roman peut se lire séparément « ; cependant ils constituent un tout cohérent, avec les mêmes personnages, et une intrigue se poursuivant d'un volume à l'autre, avec de nombreuses allusions hypertextuelles . Avant de me plonger dans la lecture de
Holly, j'ai été tenté de reprendre celle des volumes précédents ; pour cause de hauteur de PAL, j'ai jugé plus raisonnable d'y renoncer, et me suis contenté de lire les résumés sur Wikipédia. Enfin, à vous de voir.
Holly, donc ; apparue dès le premier volume du cycle, elle s'est transformée, a triomphé d'un certain nombre de ses complexes, et s'est affranchie de l'influence d'une mère toxique, heureusement disparue au début du roman ; elle garde cependant une personnalité mutilée par rapport à la femme qu'elle aurait pu être ; elle a hérité de l'agence de détective de son mentor Bill Hodges, décédé dans le volume précédent ; elle s'épanouit dans son travail et parvient à nouer des relations amicales chaleureuses.
Ce personnage attachant est entouré de ceux des volumes précédents, qui ont également évolué ; et j'insiste à nouveau l'interêt de lire les quatre livres dans l'ordre.
Dans celui-ci, outre les personnages habituels, d'autres auxquels on s'attache aussi ; de très beaux portraits de femmes, comme souvent chez SK
Et des monstres ; il en faut bien. Ils n'ont rien de surnaturel, nous sommes dans le versant réaliste de l'oeuvre de l'auteur. Ce sont tout simplement des serial killers, mais pas des serial killers ordinaires, que ce soit par leur personnalité et leur motivation. Et il convient de ne pas en dire plus sur le déroulé de l'intrigue.
Disons simplement que c'est une histoire d'horreur, peut-être la plus horrifique que SK ait écrite ; et ce n'est pas que cela, loin de là ; je n'aime pas d'ailleurs voir les romans de King définis ainsi, ce qui les ravale au rang de sinistres productions gore qui étalent complaisamment le sang et les tripes. En effet l'auteur traite le sujet avec le maximum d'économie de moyens possible.
A côté de l'horreur explicite, il y a en une autre, bien réelle, la vieillesse, la maladie, la mort, beaucoup plus effrayante.
Et c'est en autre pour cela qu'il s'agit agit d'un grand roman tout court.
Deux observations annexes pour finir :
Certains ont reproché au livre de contenir un trop grand nombre de jugements politiques orientés. Cela me semble injuste. Il ne faut pas oublier que l'oeuvre de SK est aussi un miroir de la société américaine ; or cette dernière est divisée comme jamais depuis la Guerre de Sécession
Selon certains observateurs, la situation en est au point que Démocrates et Républicains ne peuvent plus se parler et ne pourront peut-être bientôt plus vivre ensemble, et que le clivage entre Etats « bleus » et « Etats « rouges » ne cesse de s'accroître. . L'essayiste canadien
Stephen Marche a consacré à ces questions un excellent livre «
USA, la prochaine guerre civile » ; on peut lire aussi le roman d'anticipation à court terme de
Douglas Kennedy «
Et c'est ainsi que nous vivrons. »
Pour ce qui le concerne, SK est depuis toujours démocrate, ce qui explique le caractère excessif des propos tenus dans le livre par les personnages positifs sur les Républicains
Un détail pour les latinistes :
Stephen King a voulu que son héroïne
Holly ait correspondu en latin avec son défont père. Il nous livre des extraits de lettres de ce dernier. L'ennui est que son latin est épouvantable ; on trouve ainsi un « bella siderea » POUR « guerre étoilée » alors que le mot latin pour guerre est bellum, genre neure ; il faut écrire « bellum sidereum » ; de même il est question de « deliciam meam » (mon délice » alors que le mot latin pour délice n'existe pas au singulier et qu'il faut écrire « decilias meas » SK remercie la personne qui l'a aidé en la matière, il n'aurait pas dû.
Tout cela est sans importance mais m'énerve un peu.