Un homme prend le train. Non, deux hommes. Puis trois. Les hommes prennent le train. Non, l'Homme prend le train. L'Homme
voyage. Sédentaire aujourd'hui l'Homme demeure migrant malgré tout.
Ce préambule illustre, je pense, assez bien le propos de Yokoyama. Celui de signifier au moyen de cette forme universelle qu'est la ligne (droite, courbe, vectorielle), la façon dont notre monde contemporain existe par son chemin, son cheminement.
Il n'y a dans cette bande dessinée aucun dialogue, aucune voix off, le dessinateur se contentant de montrer, de donner à voir.
Et justement, nous voyons cette ligne et la multitude de ses représentations. Qu'elle soit au sens propre la hauteur d'un bâtiment ou encore qu'elle dessine les contours d'une fenêtre, d'un escalier, cette ligne qui désigne à mesure de répétition l'effet de vitesse, celui de la pluie, ou le lit d'une rivière qui s'écoule, Yokoyama l'apprivoise, l'encadre dans des cases et comme il est dans la nature de la ligne d'être infinie, il la met en mouvement.
Ce «
Voyage » est donc un prétexte pour explorer le vecteur ligne. Il est bien sûr formel comme nous pouvons tous facilement le concevoir mais aussi social et c'est là que l'efficace limpidité du dessin de Yokoyama fait merveille. En suggérant ses personnages par un ensemble de motifs simples, la coupe de cheveux, les vêtements, la taille des yeux, l'auteur les relie les uns aux autres dans leur apparente disparité. Tous différent mais se ressemblent. L'élément liant est ce train que tous empruntent au travers de cette « ligne » de chemin de fer qui ne mène comme par évidence qu'à une autre forme d'infini, celle de la sphère.
D'une nature exigeante, le travail de Yokoyama fonctionne à la manière d'une mécanique bien huilée. Conceptuel dans son approche, ce labeur n'emploi pas moins le médias bande dessinée à sa juste valeur. Si l'aspect narratif, épique, romanesque est volontairement mis de côté, la représentation du monde dans lequel nous vivons est bien quand à elle la vision d'un auteur affirmé, celui-ci nous soumettant une interprétation du nomadisme sédentaire dans lequel figure l'Homme sans s'en douter. L'effet migratoire évident par l'emploi du train renforçant bien entendu la linéarité volontaire de l'expression de l'auteur, qui semble assumer parfaitement la re-productivité de son dessin, son itération perpétuelle.
Au final, une bande dessinée exigeante, sans compromis mais dont le graphisme glacial ne doit pas faire oublier la très grande qualité, au croisement des arts plastiques et conceptuels.