Seconde comédie de
Shakespeare un peu plus drôle d'ailleurs qui mêle plusieurs chassés-croisés amoureux et bien sûr des ruses propres à l'auteur. Si l'on peut reprocher quelques similitudes avec «
Roméo et Juliette », l'histoire reste cependant bien différente et elle est ponctuée de répliques à nouveau risquées pour l'époque mais qui font sourire le lecteur.
Résumé : Héro est la fille du gouverneur de Messine Léonato. Claudio, favori de Don Pedro est amoureux d'elle et souhaite l'épouser. Don Pedro lui propose son aide afin de découvrir les sentiments de la jeune fille. Don Juan, le frère de Don Pedro, croyant que c'est Don Pedro qui est amoureux d'elle, décide de faire passer la jeune femme pour une fille légère en la remplaçant par une autre. le stratagème fonctionne à merveille, Claudio aperçoit la fausse Héro dans les bras d'un autre et décide de l'humilier en public le jour de leurs noces. La pauvre femme s'évanouit alors et son entourage, choqué du comportement de Claudio, décide de la faire passer pour morte. Heureusement, se croyant seuls, deux hommes de Don Juan ayant participé à la ruse dévoilent le pot aux roses à des officiers municipaux. Ceux-ci révèlent alors la vérité.
Si cette histoire est la principale, elle s'entremêle avec une idylle plus complexe entre Bénédict, un autre favori de Don Pedro et Béatrice la nièce de Léonato. Cette dernière est une femme très moderne pour l'époque, qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui balance des répliques cinglantes et franchement marrantes. Ils sont l'un et l'autre attirés mais refusent de se dévoiler, criant à qui veut l'entendre qu'ils ne se marieront jamais. Mais leurs amis leur tendront un piège pour tenter de les réunir.
Acte I Scène 1 :
Léonato (au messager) : Monsieur, ne méjugez pas ma nièce : il y a une espèce de guerre joyeuse entre le signor Bénédict et elle ; ils ne se rencontrent jamais, qu'il n'y ait entre eux escarmouche d'esprit.
Béatrice : Hélas ! Il n'y gagne rien. Dans notre dernier combat, quatre de ses cinq esprits s'en sont allés tout éclopés, et maintenant il n'en reste qu'un pour gouverner tout l'homme. Si celui-là suffit pour lui tenir chaud, qu'il le garde comme une distinction entre lui et son cheval ! Car c'est le seul insigne qu'il ait encore pour être reconnu créature raisonnable.
[…]
Béatrice : Je m'étonne que vous jasiez toujours, signor Bénédict : personne ne vous écoute.
Bénédict : Eh quoi ! Chère madame Dédain ! Vous êtes encore vivante ?
Béatrice : Est-il possible que Dédain meure, ayant pour se nourrir un aliment aussi inépuisable que le signor Bénédict ? Courtoisie elle-même se travestirait en Dédain, si vous paraissiez en sa présence.
Bénédict : Courtoisie serait donc une comédienne ! Il est certain que je suis aimé de toutes les dames, vous seule exceptée ; et je voudrais pour elles trouver dans mon coeur un coeur plus tendre, car vraiment je n'en aime aucune.
Béatrice : Bonheur précieux pour les femmes ! Autrement, elles seraient importunées par un insipide soupirant. Grâce à Dieu et à la froideur de mon sang, je suis en cela de votre humeur. J'aimerais mieux entendre mon chien aboyer aux corneilles, qu'un homme me jurer qu'il m'adore.
Bénédict : Dieu maintienne votre Grâce dans cette disposition ! La figure de tel ou tel gentilhomme échappera ainsi à de fatales égratignures.
Béatrice : Si cette figure était comme la vôtre, les égratignures ne la rendraient pas pire.
Bénédict : En vérité, vous feriez un perroquet modèle.
Béatrice : Un oiseau parlant comme moi vaut mieux qu'une bête parlant comme vous.
Bénédict : Je voudrais que mon cheval eût la vitesse de votre langue et cette longue haleine. Au nom du ciel, continuez votre course ! Moi je m'arrête.
Acte II Scène 1 :
Béatrice parlant des hommes : Qu'en pourrais-je faire ? L'habiller de mes robes, et le prendre pour femme de chambre ? Celui qui a de la barbe est plus qu'un jouvenceau, et celui qui n'en a pas est moins qu'un homme. Or, celui qui est plus qu'un jouvenceau n'est pas pour moi ; et celui qui est moins qu'un homme, je ne suis pas pour lui. Aussi je consens à prendre pour douze sols toute la ménagerie des barbus, et à conduire tous ces singes-là en enfer.
Léonato : Eh bien, tu iras donc en enfer ?
Béatrice : Non, seulement jusqu'à la porte. Là, le Diable viendra au devant de moi avec des cornes sur la tête, comme un vieux cocu qu'il est, et il me dira : « Allez au ciel, Béatrice, allez au ciel, il n'y a pas de place ici pour vous autres vierges. » Sur ce, je lui remets mes singes, et je pars pour le ciel ! Saint Pierre m'indique où demeurent les célibataires, et nous vivons là aussi gais que le jour est long.
Acte IV Scène 1 :
Claudio (à son amour Héro qu'il accuse de tromperie) : Héro ! Quelle héroïne tu eusses été, si la moitié seulement de tes grâces extérieures avait ennobli tes pensées et les inspirations de ton coeur ! Mais adieu ! Adieu, toi, si affreuse et si belle ! Adieu, pure impiété, pureté impie ! Pour toi, je fermerai désormais toutes les portes de l'amour ; le soupçon flottera sur mes paupières, pour changer toute beauté en symbole du mal et lui ôter la grâce.
[…]
Le moine : D'abord ceci, bien mené, devra, à l'égard de votre fille, changer la calomnie en remords ; c'est déjà un bien ; mais l'étrange expédient que j'imagine enfantera, je l'spère, de plus grands résultats. Censée morte, grâce à nos informations, au moment même où elle était accusée, elle sera pleurée, plainte, excusée pour tous ; en effet, il arrive toujours que nous n'estimons pas un bien à sa juste valeur, tant que nous en jouissons ; mais, dès qu'il nous manque, dès qu'il est perdu, ah ! alors nous en exagérons la valeur ; alors nous lui découvrons le mérite qu'il ne voulait pas nous montrer quand il était à nous.
Acte V Scène 3 :
Claudio (s'approchant du tombeau d'Héro et lisant un parchemin) : Frappée à mort par des langues calomnieuses fut Héro qui gît ici. En récompense de ses douleurs, la mort lui donne un renom immortel. Ainsi la vie, qui mourut de honte, vit de gloire dans la mort.