L'auteure s'attaque sans ambages à l'émission la plus emblématique de ces dernières années sur une chaîne grand public appartenant à un milliardaire décidé à promouvoir sans s'en cacher et avec l'aval de l'Arcom son courant de pensée d'extrême droite. Elle analyse à la fois le discours (le fond) et le dispositif (la forme).
Son premier chapitre intitulé « Un dispositif médiatique du populisme » explique le rôle dévolu à chaque partie de la scénographie du présentateur-producteur : « le public, érigé chaque soir en figuration du peuple ; l'animateur, édifié en représentant de ce peuple ; et le plateau, dont les règles simplificatrices réalisent le système dual populiste. »
Et bien sûr critiquer l'émission revient à dénigrer le peuple dont il est l'émanation, puisqu'il communique avec lui en direct sur X, appelant ce bon peuple « mes chéris » dans un élan de proximité qui se limite à ses scores d'audience car il est évident que personne de « ses chéris » ne le croisera jamais dans un camping en Bretagne. On rappelle aux fans qui s'imaginent appartenir au même monde que l'animateur producteur a signé un contrat avec M. Bolloré de 50 millions d'euros par an sur cinq ans…
Amusant quand on songe à des remarques proférées par un habitué (M. G.V.) de cette émission du genre « entre le peuple et les élites, je choisis toujours le peuple ».
Bien sûr l'image de ce peuple est caricaturale à souhait : n'utilise pas de vocabulaire compliqué (et ce serait bête d'en utiliser à des fins de précision et d'édification), l'argot et les termes soi-disant jeunes sont de mise, la proximité entraîne la familiarité : il faut dénoncer les « élites » et surtout faire en sorte que le téléspectateur moyen ne souhaite pas accéder à une analyse fine. On ne sait jamais, il pourrait lire ou écouter de vrais spécialistes de chaque domaine et se rendre compte de la supercherie auquel il est invité chaque soir.
Car « le plateau, règne de l'opinion et simplification des enjeux » fait disparaître la notion de vrai et de faux. Toutes les opinions se valent, ce qui est cohérent avec l'idée qu'il n'y a pas besoin de connaissances préalables pour débattre d'un sujet.
En remarque personnelle (ce n'est pas dans le livre), on a le même paradigme dans l'univers moderne de l'éducation nationale : les connaissances ne sont plus nécessaires, on leur substitue des « compétences » souvent non académiques et la dernière nouveauté du baccalauréat, le « grand oral » évalue la capacité d'un futur bachelier (99,9% de chances de le devenir, quel magnifique système éducatif nous avons ! ) à … parler. Pas à connaître (secondaire) mais à échanger, rebondir, sur un sujet certes en rapport avec sa scolarité de terminale mais qui ne constitue pas l'objet de la note. La note, c'est de regarder un examinateur (deux ?, 1 million ?) dans les yeux et d'énoncer « Pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue », ou « Il n'y a pas d'inflation, c'est une perception erronée » ou tout autre axiome que l'on reconnaîtra sans problème.
L'auteure décortique ensuite les trois thématiques principales qui caractérisent le populisme discursif de « TPMP » : l'antiélitisme intellectuel et médiatique, l'antiparlementarisme ordinaire et le populisme pénal.
Le premier peut être illustré par ses attaques systématiques des personnalités extérieures au groupe de M. Bolloré (en interne, le linge sale ….) , désignées comme « intelligentsia », « bobos », « bien-pensants », « donneurs de leçons » dressant ainsi un portrait méprisant de l'intellectuel, bien évidemment majoritairement de gauche, issu parfois de l'audiovisuel public, bref, de l'opposé des idées politiques du présentateur qui « ne mord pas la main qui le nourrit » (je le cite).
« La liste des personnalités détestées s'allonge au fil du temps :
Alain Chabat,
Pierre Arditi,
Jean-Paul Rouve,
Michel Cymès,
Guillaume Meurice,
Charline Vanhoenacker,
Sophia Aram, etc. ».
L'Antiparlementarisme ordinaire est brillamment illustré lorsqu'un élu de la République (Louis Boyard, novembre 2022) est traité en direct de « merde » par l'animateur de l'émission. Lorsque les maîtres de ce dernier arriveront majoritairement à l'assemblée, gageons qu'il limitera ses flèches aux partis ou aux individus qui s'opposeront à eux. Gare aux humoristes, aux sociologues etc...
Le populisme pénal concerne les sujets de société ; l'insécurité, l'immigration, la religion, le communautarisme, etc… C'est une véritable promotion de certains thèmes électoraux qui est ainsi, discrètement mise en oeuvre. Titres exemples d'une émission annexe du même sicaire de M. Bolloré parmi d'autres : « Les policiers peuvent-ils encore intervenir en banlieue ? » (Septembre 2018), « Montée de la violence en France : doit-on vraiment avoir peur ? » (Septembre 2020), « 55 % des Français sont pour la peine de mort, êtes-vous d'accord ? » (Septembre 2020)…
En conclusion, l'auteure nous explique que cette émission montre les limites de la politique par le divertissement. Puisque toutes les opinions se valent même si elles ne valent rien, « alors il n'y a plus d'horizon politique selon les critères de la démocratie représentative, même participative ». Car « le débat démocratique est un processus conflictuel qui repose sur l'égalité de conditions des individus mais également sur l'élaboration d'un cadre normé où la parole se distribue en fonction de compétences, de savoirs et d'expériences reconnus. »
A qui profite ce genre de faux-débats stériles ? Tout le monde le sait mais bien sûr, comme pour d'autres sujets internationaux cette fois, on préfère fermer les yeux et regarder ailleurs. On a notre bonne conscience pour nous ma bonne dame ! Quand l'impuissance confine au fatalisme...