Depuis le temps que ça nous pendait au nez, il fallait bien que ça finisse par arriver.
Quoi donc ? La fin du monde, pardi !
L'apocalypse, l'effondrement final...
Ruines à perte de vue, pluies de cendres tombant en continu sur des villes ravagées, carcasses de voitures abandonnées au beau milieu d'autoroutes désertes ... et dans ce chaos deux silhouettes hirsutes, deux squelettes ambulants, deux spectres en haillons. Un père et son fils, seuls survivants (ou
presque) d'une humanité dévastée.
Ils marchent (beaucoup), ils parlent (très peu), ils n'espèrent rien sinon trouver dans les décombres quelques denrées comestibles, et être encore debouts demain pour reprendre la route. Toute la sainte journée.
Cap au Sud, sans trop savoir pourquoi.
Sur ce chemin semé d'embûches, chaque jour ressemble au précédent, chaque nuit est source d'une même angoisse, chaque page offre au lecteur de nouvelles scènes de désolation que certains jugeront peut-être répétitives, mais qui contribuent pleinement à faire de cette BD une oeuvre incroyablement immersive.
Case après case et dans un silence quasi total, l'excellent
Manu Larcenet construit en effet patiemment un monde de cauchemar à la hauteur de son talent, et rarement (jamais ?) une bande dessinée ne m'aura fait une si forte impression !
Un peu de brun et de rouille, des dégradés subtils de bistres et de sépias crépusculaires, mais bien sûr, avant tout, du noir. du carbone pur, du désespoir brut et entier.
Et dans ce perpétuel brouillard de cendre et de poussière où l'enfant peine à distinguer les bons des méchants, l'heure est à l'économie maximale.
Économie de couleurs, de mouvements, de mots. Les dialogues sont réduits au strict minimum, tout est dans les regards, les soupirs, les quelques consignes lapidaires transmises par le père à ce fils dont il a fait sa seule raison de vivre ("Jamais je ne te laisserai dans les ténèbres"), l'ultime étincelle d'humanité à préserver coûte que coûte ("Tu vas guérir ... il le faut ... sinon ce sera le dernier jour de la Terre").
L'enfant est encore jeune, plein d'innocence et de naïveté, toujours prêt à porter secours au premier vagabond rencontré, tandis que son père a appris à se méfier de tout et à ne faire confiance à personne. Bien malin le lecteur qui saurait dire avec certitude quel eût été son comportement en pareilles circonstances !
Après le superbe "Rapport de Brodeck",
Manu Larcenet signe là une nouvelle adaptation magistrale d'un roman déjà très fort, qu'il enrichit encore d'une identité graphique fascinante.
Moi qui avais lu (et aimé !) il y a longtemps le livre de McCarthy, je n'en gardais pourtant qu'un souvenir assez diffus. Il n'en sera sûrement pas de même avec cette version merveilleusement illustrée et de très grande qualité, que je ne n'oublierai pas de si tôt !
Du grand art, vraiment !