Dupont Jean-Michel (scénario) et Vaccaro Eddy (dessin) – "
Les Gueules rouges" – Glénat, 2017 (ISBN 978-2-344-01183-6) – format 30x22cm, 116p.
Réactions mitigées après lecture et re-lecture de cette bande dessinée (mais je ne suis vraiment pas un connaisseur en ce domaine), qui m'a été offerte surtout parce qu'elle évoque la vie dans les mines de charbon du "Nord" (le département qui réunit des morceaux des Flandres, du Hainaut, de la Thiérache) au tout début du vingtième siècle (en 1905).
La mise en page, le dessin, le graphisme, les couleurs me semblent très réussis, rendant bien l'atmosphère d'un milieu aussi dur que les mines, les corons, les terrils etc. Les personnages sont également fort bien croqués, aussi bien les enfants que les adultes, y compris les indiens. Seul bémol : le dessinateur aurait peut-être pu créer un contraste graphique fort entre ce monde de la mine et celui du cirque à la Buffalo Bill, au lieu de conserver un même type de graphisme d'un bout à l'autre de la bande dessinée.
Je suis moins enthousiaste au sujet du texte.
N'étant ni papiste ni calotin, je trouve qu'il convient – juste par honnêteté – de mettre un gros, un énorme bémol sur la place donnée au curé représentant l'église catholique : il y eut certes des curés de cet acabit, mais le Nord fut aussi profondément marqué par un curé comme Achille Liénart (par la suite évêque de Lille de 1930 à 1973), par l'implantation du syndicalisme chrétien, par le développement du "catholicisme social" ; par ailleurs, la séparation de l'Église et de l'État donna souvent lieu à des exactions et des interventions plus que musclées de prise de contrôle violente des églises par les forces anti-cléricales.
L'évocation de la fusillade de Fourmies (1er mai 1891) réduite à une bourgade près de Maubeuge (p. 100) est plutôt lapidaire, le rôle courageux de l'abbé
Margerin est oublié.
Mais ce qui me révolte le plus, c'est la place donnée aux "cafus", ces femmes qui triaient le charbon dans des conditions épouvantables, et que l'auteur réduit ici à des prostituées, ce qui est profondément blessant et constitue une injure inadmissible à la mémoire de ces femmes (il me semble qu'il existe une association réunissant des descendants de ces femmes, j'espère qu'elle élèvera une vigoureuse protestation).
L'insertion de mots ch'ti me laisse perplexe : exemple en page 8 (dernière vignette en bas), soit on fait causer le personnage en français standard "pousse-toi, je ne vois rien", soit on le fait causer en ch'ti, genre (dans la variante que je connus) "pouch'ti, j'arwète rin".
Il me paraît maladroit de faire causer le père dans ce français standard émaillé de mots ch'ti, surtout en se référant à 1905, une époque où le picard ch'ti était encore nettement dominant, mais bon, il est vrai que le reste de la population française aurait bien du mal à comprendre (la tête de mon amie du Centre France le plus profond, lorsqu'un oncle lointain lui adressa une diatribe commençant par "quin j'allo acater eum'maronne...").
Merci tout de même pour l'évocation du "lapin al'prone" et de "la tarte à gros bords avec deul'cassonade" (p. 12)...
Par ailleurs, introduire la tournée du cirque Buffalo Bill était une très bonne idée, permettant de montrer le contraste saisissant entre deux côtés d'une même époque. Mais l'ajout d'un prêchi-prêcha tendant à démontrer que le sort des mineurs est quasiment le même que celui des indiens, à travers une intrigue policière tirée par les cheveux (et les chevaux, hi, hi, hi), voilà qui est plutôt mal venu, à mon humble avis.
Une impression donc fort mitigée.
Mais le dessin justifie à lui seul la lecture de cette BD.