Une forte émotion à la lecture de ce premier roman, commencé et abandonné, il y a un long moment… repris grâce à la critique sensationnelle de Symphonie… Curieusement, ce petit texte , en dépit de déménagement récent et d'une bibliothèque en cours de rangement… était à portée de main… et je m'en souvenais... fort bien. Il attendait « sagement » dans son coin, le bon moment de sa lecture !
En réalité , j'avais choisi ce livre pour son sujet… mais il m'évoquait des éléments très dérangeants de mon enfance… J'imagine que mes résistances et mes reports de lecture sont partiellement dûs à cela. En reprenant cette lecture au sujet douloureux… j'ai été très heureusement surprise par la poésie , la pudeur du style. Pas de larmoiement, ni d'agressivité ou de ton négatif. le désir authentique d'une fille qui veut aider, accompagner sa mère, engluée dans un processus d'autodestruction… Mal-être, désespoir, dépression intense qui la font plonger dans l'alcool, puis la maladie survient… La fille, retrace par brefs chapitres, ses souvenirs, son enfance, les bons et les mauvais moments, son présent difficile pour comprendre, aider au mieux sa mère, qui se laisse sombrer, ne souhaite plus se battre. Chaque chapitre débute invariablement , par « Ma mère »…, comme une incantation…
La phrase qui suit, se situe au début de ce récit et donne bien la mesure de toute la tendresse et la difficulté de la fille ainsi que de ses frère et soeur envers cette mère, mal avec sa vie, et avec son rôle de maman :
« J'observe avec émotion que la première lettre des noms que nous lui avons donnés est à chaque fois M. Les trois jambages de ce graphème ne sont pas sans évoquer les seins maternels. Notre façon à nous, peut-être, dans cette quête de la mère, de lui prouver que si elle nous a obligés à être inventifs pour la nommer- parce qu'elle ne souhaitait pas être mère plus qu'il ne fallait- nous n'en étions pas moins profondément attachés à l'appellation originelle. (p.28)
Cette fille aimante, ayant construit vie familiale, métier…amis, est remise en question, placée brutalement dans un autre espace de vie : celle de sa mère qui justement la refuse, cette vie, se retrouvant après deux vies de couple, dans une solitude absolue ainsi qu'un délabrement physique et mental intenses…Ce qui interroge au plus loin la narratrice : « Cette gisante, c'est ma mère . Un être humain. Elle est la femme qui m'a enfantée et donné un goût inconsolable de la vie »
De la colère, de l'exaspération parfois, mais surtout le besoin de cette fille, de comprendre, d'aider et de pouvoir exprimer son amour à cette femme qui lui a donné la Vie. Un très bel hommage filial dans un contexte éprouvant d'années d'incompréhensions et de non-dits… Un texte positif où la bonne volonté et la vraie tendresse de cette fille, va dépasser le stade des récriminations et des regrets, pour parvenir à une relation pacifiée…
Je ne peux résister à retranscrire un long passage de ce texte bouleversant, offrant un bel exemple du style et du ton poétique, comme d'une atmosphère générale bienveillante . Une lecture stimulante, qui offre à partir d'un contexte douloureux, des interrogations universelles âpres mais aussi un regard sensible et constructeur...: La mort, la vieillesse plus ou moins heureuse de nos proches, la compréhension et la réconciliation avec les douleurs familiales, avec nos parents, la solitude, le désarroi des êtres que nous aimons, et dont nous ne décelons pas toujours l' importance, l'amour de la vie, et la tendresse vitale entre les générations, etc :
- « Ma mère n'a pas d'amant, pas d'amie, pas de chien, pas de chat, pas de biens, pas d'économies. Plus de temps à perdre. Elle nous a, nous, ses enfants et petits-enfants-sa descendance-, et la joie d'être en vie chaque matin pour quelques douces années. Elle ne s'inquiète pas de cette solitude retrouvée. Apprivoisée, elle n'a plus la même couleur, ni le même goût. Elle est une étape sur sa drôle de route.
Ma mère a compris que la vie n'est pas une course au bonheur ni à l'amour, mais un chemin que l'on fait à pied sur lequel il fait bon musarder, vagabonder voire s'arrêter. Pour mesurer la distance parcourue, celle à parcourir avant d'atteindre le point cardinal sur la carte de la vie. Un chemin où il advient que l'on fasse des rencontres. Des vraies. de celles qui illuminent l'instant, éclairent le monde, incendient le coeur, inondent les mouchoirs. Un chemin où il se peut aussi que l'on revienne sur ses pas parce qu'un moment a été manqué, qu'un noeud a lâché et qu'il faut resserrer » (p.146)
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Ce court récit de Régine Vandamme m'a littéralement bluffé. En 140 pages, la narratrice nous trace la vie cabossée de sa mère si vulnérable et si fragile, alcoolique et fumeuse invétérée, qu'elle n'aura de cesse de soutenir malgré ses excès. Les quarante sept chapitres débutent tous de la même manière: "Ma mère " , deux mots empreints de rage et d'amour d'une fille pour cette mère qu'elle porte à bout de bras.
Dans Ma mère à boire , la narratrice traduit magnifiquement les déceptions, les espoirs, la déchéance et la renaissance de sa mère dûs aux excès d'alcool et tabagisme. de cet état de fait, elle brosse les différentes épreuves d'une mère rongée par un cancer des poumons dont elle sort triomphante, reprenant la cigarette dès sa guérison, histoire de faire un pied de nez à la vie. La vie, sa vie ? Elle en joue comme on joue du violoncelle jusqu'à se brûler les ailes, flirte avec la mort plusieurs fois pour renaître enfin, sans fard, très modestement, consciente du temps qui lui reste pour jouir pleinement de chaque moment qui s'offre à elle.
Un lecture intense et profondément humaine pour cette mère qui, après une longue traversée du désert trouve enfin la sérénité et la sagesse. Une relation mère-fille ambiguë, mais ô combien fusionnelle entre ces deux femmes.
Juste magnifique !
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Un court roman, en forme de coup de poing. Dans lequel l'auteur retrace la vie de sa mère qui boit et fume trop. Beaucoup trop. Entre amour et haine, entre compréhension et rejet...
J'ai eu des difficultés à le lire, mais ne le regrette pas. Ce livre restera gravé dans ma mémoire.
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Ce qui interroge , dans ma -Ma mère à boire", ce qui trouble tellement, c'est l'acharnement de la fille à faire de cette femme une mère, en dépit de sa répulsion, en dépit de sa colère, ou grâce à elles. C'est qu'elle en a besoin pour vivre, elle, pour tenir son rôle de fille, et s'inscrire à son tour dans les générations. (...)L'étonnement, c'est qu'elle gagne. Elle gagne sur la mort, à laquelle elle arrache une rémission. Mais surtout, elle parvient à remettre sa mère à sa place. A cette juste place où elle la veut. Elle aménage un espace où faire la paix avec le temps. ( Castor astral, réedition de 2006, et non le texte de 2001- p.7- Préface de Marie Desplechin)
[N.B: sur remarque et question justifiées de Symphonie... j'ai ajouté mon édition de 2006, qui contrairement à celle de 2001, est enrichie d'une préface de Marie Desplechin. Le souci c'est que j'ai tenté de modifier en ajoutant le nouvel ISBN... et comme cela m'est déjà arrivé, cela se confond avec l'édition différente, déjà existante dans la base... c'est un des nombreux soucis de référencement que j'ai rencontrés d'ailleurs... ce qui m'a fait croiser un certain nombre d'autres erreurs... ceci , je le retransmettrai à Bibalice....]
Les autres jours, elle laisse le petit écran faire son office: meubler le silence et peupler sa solitude. Tous les jours, elle allume la télé vers 19 heures comme elle irait ouvrir à celui qui partagerait sa vie et qui rentrerait du boulot. (p.54 / Coll. Millésimes-Castor Astral, 2006)
Ma mère, ses pieds sont immondes ! La répulsion et la honte me terrassent quand l'infirmière qui la prend en charge à son admission à l'hôpital lui ôte ce qui lui tient lieu de chaussures. Le spectacle et l'odeur de ses orteils fossilisés que de collantes et grasses strates de crasse macérée cuirassent, est déplacée dans la blancheur aseptisée de cette salle de soins.
J'ai les pieds de ma mère, qui a ceux de ma grand-mère. J'ai, moi aussi, jusqu'à avoir atteint l'âge d'acheter seule mes chaussures, porté du 39 alors que je chausse du 40. Mes orteils sont recroquevillés et bosselés à vie, mais ils ne me font plus souffrir de cette digne souffrance mise sur le compte de l'hérédité congénitale. Ces pieds-là, ils étaient la marque de fabrique des filles de la famille.
Vous pourrez consulter mon site www.lemotpassant.com à partir du 26 janvier 2013 pour une note ainsi qu'un résumé de notre débat en présence de l'auteure.
Merci
Lecture sur oreiller 1: "Ma voix basse" Régine Vandamme
Claude Enuset