2+2=5
Les textes lus à l'adolescence sont pour certains si marquants que nos souvenirs sont tenaces et résistent au temps.
J'avais lu
1984 autour de mes 15 ans, je savais alors du haut de ma courte expérience que ce texte était important. Je me souvenais évidemment du « Big brother is watching you », du Ministère de la Vérité, d'un totalitarisme atteignant son paroxysme, du travail harassant, de ces appartements exigus au confort spartiate et sous surveillance constante.
Je me souvenais que
Georges Orwell était un visionnaire reconnu et salué, que ses textes trouvaient leurs sources dans les maux du temps présent…
Et les années ont passé, ce roman je ne l'ai jamais vraiment ouvert à nouveau, relu cependant quelques passages ci et là ; et c'est alors que du haut de mon expérience plus mûre, je me suis retrouvée avec ce roman graphique dans les mains, saisie par cette couverture coup de poing en forme d'affiche de propagande et me suis surprise à être impressionnée par ce regard stalinien mais aussi ces dessins, couleurs, visages et textes troublants.
Et cette première impression n'était que le début des émotions que j'allais vivre en vivant sur plus de 200 pages les effets pervers et inéluctables d'un régime totalitaire ultra contrôlé.
Winston est un parmi les autres. Visage émacié aux traits portant la résignation, le labeur, l'obscurité d'un monde et parfois la haine parce qu' "instinctivement, il calquait son attitude sur celle de ses voisins : il fallait cacher ses émotions, maitriser ses réactions ».
Winston c'est un peu l'archétype discret de l'espoir d'une sortie de ce monde, tapi dans l'obscurité de ce régime du néant intellectuel.
Car Winston est un criminel, un criminel par la pensée. Il écrit à l'abri du regard du Big Brother, premier acte révolutionnaire, il emploie des mots effacés du dictionnaire de la néo-langue et surtout ses rêves le rappellent à un passé lointain, ténu, presqu'oublié, où l'amour existait.
Mais Winston comme les autres est un être asservi par des techniques de manipulation de la pensée vertigineuses et effrayantes, soumis à des restrictions tentaculaires et ultra contrôlées… alors il apprend à lire les regards, à comprendre qui est définitivement du côté du système et qui, comme lui, semble réchauffé par un feu intérieur animé par la révolte et l'amour.
L'amour contre la haine, une idée simple et puissante face au système. Mais toujours Big Brother veille…
Totale expérience immersive dans un système dominé par une haine inouïe et une politique de la terreur et de la manipulation des esprits qui vous prend aux tripes par sa capacité à humilier et anéantir l'âme humaine.
J'ai été totalement séduite par les grandes qualités de cet ouvrage et le message puissant qu'il porte. L'atmosphère, les dessins, les couleurs, le texte, les regards, tout nous pousse vers un dénouement extrême et, progressivement, par l'action et le jeu des couleurs, nous plongeons toujours plus intensément dans la terreur et l'aliénation fatale des êtres.
A lire, à vivre, pour réfléchir et réagir tant qu'il est encore temps.