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EAN : 9782493206503
144 pages
Le bruit du monde (02/02/2023)
4.22/5   47 notes
Résumé :
La lettre d'une mère à sa fille pour conjurer l'effacement.
Le premier roman d'une poétesse engagée dans les questions politiques, sociologiques et artistiques contemporaines.
Que lire après De minuit à minuitVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Ce texte, c'est d'abord et avant tout une voix, celle d'une mère junkie qui vient de perdre la garde de sa fille encore bébé, et s'adresse à elle, « ma douce », pour le jour où elle osera demander qui est sa mère biologique.

Une voix en seize chapitres nommés très justement « mouvements » tant le texte est mobile, liquide avec sa forme versifiée qui oscille entre prose et vers libres. N'étant que peu habituée à cette forme poétique, il m'a fallu un peu de temps pour m'habituer et que le cri de cette mère me parvienne et que son instinctivité, sa sincérité brute me touche.

« L'écriture surgit de l'absence. Si je trace des plans sur le grand vide, sauras-tu funambuler jusqu'à moi ?
Je me suis dit : le fil, tisse le fil, je me suis dit : tresse le langage,
et la corde
jetée dans l'océan pour que tu puisses franchir le jour.
Il s'agir de vivre.
Aller de minuit à minuit,
encore
et encore
et encore. »

La déstructuration de ces phrases, avec leur syntaxe dérangée par les retours à la ligne, saccade le rythme de lecture pour dire au plus profond la fibre humaine qui anime cette mère déchue dont on découvre le parcours tragique, de l'enfance saccagée à la toxicomanie irréversible. On reçoit immédiatement toutes les nuances des mots choisis avec précision par l'autrice. La liberté de l'agencement des mots répond à la liberté trouvée à écrire, donnant ainsi un pouvoir sur le réel.

« Ils disent qu'on vit sur la colline du crack.
On vit sur le seul bout de terre
qu'ils nous ont laissé.
On crève.
On a l'iris-océan sur la dernière
grève et si la fin vient à venir, s'ils nous chassent
de la colline, on prendra les égouts et le silence de la nuit
pour leur rappeler qu'on existe. »

Le sujet n'est pas l'addiction, même si elle est très présente avec cette « colline du crack - «  grand charnier hurlant à l'ombre de la ville des lumières et du pays de l'égalité, de la fraternité et de la liberté » - où vit la mère ; il s'agit avant tout de solitude de l'être, d'une femme, non blanche, née pauvre, à qui Sarah Mychkine donne la parole comme elle la donnerait à quelqu'un qui n'est pas censé l'avoir, une de ses invisibles, marginaux considérés comme un rebut de la société.

« Si tu savais,
je t'aimerai jusqu'à ce qu'ils me tuent,
parce qu'ils finiront par nous tuer,
à menton-poignard
d'indifférence.
Mais je t'aimerai
jusqu'au bout et au-delà encore.
Je t'aimerai pour tous leurs silences, ma douce. »

Le récit se fait rapidement politique car la mère, à la fois martyre et témoin, veut montrer à sa fille la réalité d'un monde qui crée de la violence, maltraite les corps des plus faibles et tolère la misère sociale du moment qu'elle est loin des regards. La mère crie pour être, comme un contre-récit à la déréliction qui l'entoure et la submerge. Elle crie pour s'arracher à sa condition de mère-néant, guidée par cet amour maternel qu'elle crie dans le silence car cette adresse sera forcément sans réponse.

« Pardonne-moi.
J'aurais voulu accoucher de soleils pour que tu te saches plus
grande que l'univers.
Pardonne-moi.
Entre mes cuisses,
il n'y a que poussière. »

Un très beau texte à fleur de mots souvent au flow déchirant et puissant.
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C'est une vague hurlante qui s'échoue sur une grève brisée.
C'est le chant des sans voix, des rebuts du quart monde, des naufragés qui n'ont pas eu l'heur de périr sous les flots, mais qui ont échoué sur nos rivages indifférents.
C'est un passé maudit; c'est l'homme blanc qui flagelle la peau noire; c'est le sexe visqueux de générations de métis nés de femmes éventrées.
C'est de l'amour aussi, de l'amour dépouillé, dénudé de ses oripeaux, aussi nu et fragile que l'enfant qui vient au monde.
C'est un chant, un mantra, une litanie barbare.
Une lettre, une longue lettre jetée à la mer.
Les mots d'une mère à sa fille enlevée par les services sociaux.
La voix de ceux de la colline au crack dont les veines en fusion crachent leur ultime désespoir, dont les mains tendues aux carrefours s'emplissent de crachats aveugles.
Le cri des naufragés d'un continent rogné jusqu'à l'os, éviscéré, lacéré de nos ongles blancs et propres.
Écrit dans une langue scandée, rythmée par une respiration syncopée, ce livre est musique, requiem implacable et sauvage.
Il prend aux tripes, il force l'âme, il fait naître des ruisseaux de larmes nourries de honte. Il cogne sans pitié, nous dénude, vise au plus près du coeur pour y planter la lame.
Du post-scriptum ne reste qu'une mélopée murmurée ; quelques notes fragiles qui disent "ma douce", qui disent "je t'aime ".
Et l'on se surprend à fermer le livre comme on replie un testament, usant de mille précautions pour préserver le souffle de vie, soudain silencieux et emplis de respect pour celle qui a été, pour ce cadeau déposé à nos pieds, morceau d'amour brut forgé au ventre des mères, de toutes les mères.

Merci à Babelio et aux éditions le bruit du monde pour ce moment bouleversant.
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Ce premier roman est composé du texte de la longue lettre en prose poétique qu'une jeune toxicomane adresse à sa fille nouveau-née dont la garde vient de lui être retirée. Articulé en seize mouvements plus un post-scriptum, chacune de ses phrases constitue un paragraphe qui se présente graphiquement tantôt scandé comme par des vers, tantôt en continu.
Contrairement à ce qu'avance la quatrième de couverture, la poésie n'est aucunement lumineuse ni ne parvient à conjurer la noirceur de son sujet. À l'inverse, dans le ton vrai d'un désespoir plombant, étouffant, irrémédiable, le texte restitue avec un réalisme extrême les sentiments de déchirement face à la séparation et d'urgence à communiquer un message, seul lien hypothétique avec la future adulte qui s'interrogera sur l'identité de sa génitrice. Dans ce texte hachée qui possède la puissance d'un cri de détresse mortifère, incarnant un lien de filiation à la vie à la mort, on suit le passage entre plusieurs étapes émotionnelles, qui se chevauchent avec quelques allers-retours. Il y a une adresse haineuse à « ils », les nantis, les assistantes sociales qui lui ont arraché son enfant et l'élèveront dans le mépris d'elle, les gens normaux qui sont capables de vivre et d'aimer, les personnes qui n'appartiennent pas à la marginalité, ni colonisés ni dominés ; il y a ensuite une introspection sur soi et son passé, adresse honteuse et humiliée à son identité de victime d'inceste, d'addict au crack par choix et par nécessité ; il y a enfin l'adresse implorante au « tu », « Ma douce », entre le souvenir de l'espoir d'une catharsis par l'amour maternel naissant, par la stupéfaction de l'apparition d'une nouvelle vie séparée de la sienne et le constat de la défaite devant son incapacité d'aimer. Il y a l'anticipation de la future recherche de ses racines par sa fille, une lucide exploration de son addiction, une féroce description de la « colline » mais surtout de la maladie d'exister dont elle est atteinte. Lecture-blessure à l'arme blanche, elle provoque un malaise dont on ne se remet pas facilement.
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« Je t'écris cette lettre parce que ma mère ne m'en a pas laissé. »
On lui enlève sa fille, elle ne peut pas la garder mais elle a la possibilité de lui écrire une lettre, une seule. Alors, en seize mouvements et un post-scriptum, elle explique, elle crie son amour. Comme d'autres hurlent leur désespoir, elle, elle partage son histoire avec son enfant. Pour lui dire qu'elle l'aime, pour lui donner des racines (tu sauras qui est ta mère), pour qu'elle lise ce témoignage bouleversant qui ne correspondra peut-être pas à ce qu'on lui communiquera.
Quel est le « seul possible pour échapper au néant » ? se demande cette femme qui écrit : « avant d'être une addict au crack, je suis une femme, une mère, ma douce. » Elle reconnaît que c'est plus la honte, que la drogue qui l'a condamnée. Elle est bien consciente que la vie qu'elle pourrait offrir à sa fille n'est pas celle qui l'aiderait à s'épanouir, à grandir. Mais elle tient à lui dire son affection, à transmettre ses ressentis. Pas question de fuir la vérité. Oui, c'est dur et compliqué, oui, elle est accro mais qui peut se permettre de la critiquer, de la juger ?
Elle explique combien elle a souffert de se retrouver à la rue, rejetée, pas aidée, pas accompagnée, alors quand une échappatoire s'est profilée…. Bien sûr, la drogue, ce n'est pas la bonne solution mais quand on commence, sait-on où cela nous entraînera ?
C'est un texte magnifique, une longue incantation, un poème où chaque mot est fort. le texte est écrit sous forme de vers
en allant
à la ligne
pour lui donner
plus de puissance.
Cette présentation donne de la force à l'écrit, montrant combien chaque mot s'échappe pour dire ce qui est si douloureux à vivre, à accepter. Pour celle qui ne peut garder sa fille, on sent que ce qu'elle veut partager se bouscule, que tout vient très vite, comme si elle était dans l'urgence de rédiger son courrier.
Alors elle écrit et ce récit épistolaire nous bouleverse par sa beauté, sa musicalité, ses intonations Il s'en dégage de l'émotion. Une émotion à fleur de peau, à fleur de mots.
En écrivant cette missive, cette mère aimante laisse une trace, elle permet à son enfant d'avancer dans la vie en connaissant son passé, en sachant qu'elle a été aimée. Elle lui offre son histoire pour qu'elle construise la sienne…
Un roman magnifique !
NB: la couverture est sublime !

Lien : https://wcassiopee.blogspot...
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Ma Douce,
Quand tu auras 18 ans, tu pourras lire cette lettre
Écrite par ta mère
Tombée dans la toxicomanie
Sur la colline du crack, elle t'a laissée
Pour te sauver
Pour se sauver
Pour vous sauver

Ma Douce,
Tu es le premier roman
D'une jeune autrice de talent
Qui chante les fragilités
Les déchirements
Le déterminisme social
Les femmes
Les femmes racisées
L'enracinement
Le déracinement

Ma Douce,
De minuit à minuit
Ce cercle infernal
En vers libres
Il raconte la mère avant tout

Ma Douce,
Tu ne te lis pas
Tu t'écoutes
Transporté par la musicalité de tes mots
La lumière qui brise derrière les ténèbres

« Écrire c'est comme bruler l'horizon », nous dit
@saramychkine

De Minuit à minuit vous transportera par sa beauté, et la force de sa jeune autrice.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
A l’instant où j’achèverai cette longue ligne,
j’irai rejoindre
le vide,
comme enivrée par son
odeur,
puis la vie reprendra
le dessus.
L’ignominieuse
vie.
On a beau dire,
c’est la seule chose pour laquelle on serait prêt à tout faire,
notre vie,
parce qu’on sait toujours,
dans un coin reptilien du crâne,
un coin fossile,
qu’elle est notre seule possible
pour échapper
au néant.
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4. « Pardonne-moi, ma douce.
Je choisis de vivre en toi plutôt que de mourir
en te laissant inengendrée.
Trop de filles ont déjà connu cette odieuse blessure.
Je te ramènerai à mon monde plutôt que de te laisser flotter
dans des mondes
qui ne sont pas les tiens.
Pardonne-moi
si je t'enferme sur une terre si petite.
J'ai essayé de me peindre à la lumière
de ce qui a fait de moi une bête
dans leurs yeux,
puis dans les miens.
Pardonne-moi.
J'aurais voulu accoucher de soleils pour que tu te saches plus
grande que l'univers.
Pardonne-moi.
Entre mes cuisses,
il n'y a que poussière.
Après toi,
qu'y a-t-il ?
Après t'avoir vue naître,
après t'avoir perdue,
que peut-il me rester à vivre ? » (pp. 116-117)
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Il faut que tu te souviennes,
mes arrière-grands-mères, mes arrière-grands-pères,
la chaîne de souffrance infinie dont je suis le dernier maillon,
la grande machine coloniale qui a réduit les terres de nos
ancêtres à des éponges de sang et le chant des espoirs creux qui
poussent les nôtres à prendre la mer pour retrouver la misère
et la haine sous un autre visage.

Il faut que tu te souviennes, la grande machinerie capitaliste
qui a fomenté
la révolution industrielle et broie les rêves et esclavagise les
êtres pour
les recracher tas de larmes
et brisures
d’os un
peu plus
bas.
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Il a fallu si peu pour qu’ils t’enlèvent à moi.
Il a fallu les sirènes, les crissements des pneus de bagnole, les pas qui frappaient les ordures et laissaient sillons de regard-haine. Quelques mots balancés comme on tranche une tête.
Je n’ai même pas su crier.
J’étais partie dans l’autre monde alors,
où rien ne compte plus,
où ta naissance n’est plus que dans mes rêves,
où vivre n’existe pas tout à fait
et les grandes plaies sur le coeur ne sont pas que des dessins
absurdes laissés au crayon de papier.
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Tu sais, moi, quand je l’ai quittée, je n’ai pas su pleurer de cette manière. J’avais dix-sept ans, la clope aux lèvres, et j’arpentais les jours comme une ombre perdue.
dans un tunnel sans fin. Et puis le froid, la faim, la violence
des regards jetés
sur les rues,
les sexes dévorants
de ceux qui jouissent de
notre perte
ont fini par tarir chaque
pli de mon corps.
Si tu savais comme, sur
la colline,
toutes, elles ont connu
ceux-là.
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