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EAN : 9782380822489
368 pages
Anne Carrière (10/02/2023)
3.81/5   16 notes
Résumé :
Fin du 19e siècle. Depuis 20 ans, le silence d’Arthur Rimbaud interroge le Paris artistique. Rodolphe Darzens, jeune pigiste aventureux, se voit confier l’enquête de sa disparition. Le journaliste infiltre le milieu littéraire d’avant-garde et part à vélo sur la route des Ardennes pour retrouver la trace du poète. Il découvre chez l’un de ses anciens amis vingt-deux poèmes autographes inédits, et décide de les publier dans un recueil intitulé Le Reliquaire. Darzens ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
L'homme qui a sauvé Rimbaud de l'oubli

Pour son premier roman, Henri Guyonnet a choisi de réhabiliter Rodolphe Darzens. C'est à ce journaliste, émigré russe, que l'on doit la (re)découverte d'Arthur Rimbaud et de son oeuvre. Oubliant la biographie et l'hagiographie, son roman est une passionnant enquête, romanesque en diable.

C'est par le plus grand des hasards que Darzens va se voir confier la mission de retrouver Rimbaud. Lui qui s'intéresse plutôt aux sports et aux courses va se battre en duel avec un collègue. Son patron, qui veut l'éloigner, lui demande de retrouver le poète.
Muni des seules informations à sa disposition, «Il a eu une liaison avec Paul Verlaine et a disparu depuis vingt ans, déterrez-moi des témoins, des révélations, et où se trouve Rimbaud, c'est clair? Et surtout pas de vagues, c'est compris?», le voilà lancé dans une enquête qui va s'avérer aussi difficile que passionnante.
Il commence par se rendre dans une librairie et y déniche un exemplaire des poètes maudits. Sous la plume de Verlaine, il apprend que «que la plupart des oeuvres du poète n'ont jamais été publiées ou ont disparu. Une Saison en enfer, parue en 1873, sombra corps et biens dans un oubli monstrueux, l'auteur ne l'ayant pas lancée du tout. Il avait bien autre chose à faire. Il courut tous les Continents, tous les Océans, pauvrement, fièrement...»
Il décide alors de rendre visite à Verlaine, mais leur entrevue ne l'avance guère. Peut-être que l'éditeur pourra davantage le renseigner, lui fournir une adresse?
Comme dans un polar, on va suivre ses pérégrinations à la fois sur les pas du poète et de son oeuvre. Car fort heureusement ses ordres de tout brûler n'ont pas été suivis.
Henri Guyonnet a eu la bonne idée de faire alterner les chapitres consacrés à l'enquête avec ceux qui suivent Arthur Rimbaud au même moment. de retour d'Afrique, amputé et aigri, il a trouvé refuge chez sa mère et ses soeurs dans les Ardennes où il va essayer de se soigner pour repartir vers le continent noir. Des éléments biographiques qui donnent au récit toute sa vraisemblance et offrent au lecteur de (re)découvrir l'homme et son oeuvre, de mieux comprendre certains de ses poèmes ici placés dans leur contexte.
Au plaisir de la lecture s'ajoute alors la furieuse envie de se plonger dans les recueils désormais passés à la postérité. Voilà encore une vertu de ce premier roman très réussi!
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.


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Bonjour, j'espère que vous allez bien 😊
Il y a quelque temps, je discutais avec une amie en lui disant que j'avais du mal à me plonger dans la poésie, mais qu'il faudrait que je saute le pas. En recevant Brûlez tout ! d'Henri Guyonnet publié aux Editions Anne Carriere quelques jours dans le cadre de la découverte de la sélection des @68premieresfois , j'ai pu me jeter dans le grand bain.

Dans ce premier roman Henri Guyonnet m'a fait découvrir la vie d'Arthur Rimbaud au travers le personnage de Rodolphe Darzens, jeune pigiste russe vivant à Paris qui a fut le premier à publier vingt-deux poèmes autographes inédits dans un recueil "quelques jours avant le décès" de « l'explorateur » du XIXe siècle. À partir de ces 22 textes, Henri Guyonnet nous offre une exofiction que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire et qui m'a poussé à m'intéresser à la vie du poète et à ses textes.

En lisant "Brûlez tout !" en référence au souhait d'Arthur Rimbaud que soient détruits ses textes écrits avant son départ vers d'autres terres, j'ai beaucoup apprécié l'immersion que m'a procurée cette lecture. J'ai eu l'impression de suivre Rodolphe Darzens sur sa bicyclette, dans une France où le progrès technique s'installe en cette fin du XIXe siècle. J'ai aussi pu entrer dans certains cercles culturels et rencontrer notamment Paul Verlaine qui est resté très attaché à Arthur Rimbaud malgré des années d'absence.

Je tiens à remercier les 68premièresfois pour cette belle découverte vers laquelle je ne me serai pas forcément tournée et qui fut pour moi une belle entrée en matière lors de cette lecture poétique et mettant en valeur les textes d'un poète mort trop tôt...
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❝[...] il savait comment on fait tenir deux vers ensemble, et, ce qui est une autre paire de manches, comment dans la pince de deux vers on fait tenir un peu du monde.❞
Pierre Michon, Rimbaud le fils

❝Brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d'un mort, brûlez tous les vers que je fus assez sot de vous avoir laissés lors de mon séjour à Douai.❞
Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 10 juin 1871

Brûlez tout !, premier roman d'Henri Guyonnet, est une exofiction, genre littéraire poreux entre faits réels et fiction. Prenant pour contexte la fin de vie d'Arthur Rimbaud, s'invitant dans les béances qu'offre la réalité historiquement vérifiable, Henri Guyonnet lui substitue une vérité romanesque, bricole pour combler les trous, recompose les éléments glanés grâce à un immense travail de documentation qu'il faut saluer. (En fin d'ouvrage, pour ceux qui voudraient aller plus loin, l'auteur a eu la bonne idée d'inclure quelques notes).

S'il est intéressant que le récit s'organise autour de ses deux personnages principaux — Rodolphe Darzens et Arthur Rimbaud —, il est tout de même dommage qu'il (se) repose sur une alternance paresseuse :

✦ d'une part, les chapitres consacrés au jeune journaliste pigiste au quotidien le Gaulois, émigré russe parti sur les traces d'un poète au bord du gouffre de l'oubli ;

✦ d'autre part, ceux consacrés à Rimbaud revenu à la ferme familiale ardennaise après un séjour africain de plus de dix ans qui fut sa perte. Il y était allé chercher la vie hors des livres, hors de sa propre littérature et y avait développé une activité commerciale plus ou moins recommandable, vendant aussi bien du café, de l'ivoire, de l'or que des armes ou des hommes.

Au vrai, il m'est arrivé de regretter que, pour respecter coûte que coûte cet enchaînement soumis à un ordre strict et artificiel, certains des chapitres consacrés à un Rimbaud malade et amputé manquent de concision et laissent penser qu'ils ne sont là que pour faire oeuvre de remplissage. Je ne compte plus les pages inertes où il ne se passe rien — ou si peu. À Roche, les jours s'épuisent, lents et identiques, croupissent entre douleurs, insomnies, irritabilité liées à la maladie qui emportera Arthur Rimbaud ; sollicitude inquiète de sa soeur Isabelle ; bondieuseries et rebuffades de la Daromphe. Un ressassement.

À Roche, dans le monde trop étroit de la ferme, cette vie altérée, arrêtée, n'est déjà plus la vie. Rimbaud devient un fantôme de chair.

❝La vie est la farce à mener par tous.❞
— Rimbaud, Une saison en enfer

Cependant qu'à Paris, c'est l'effervescence jusque dans le rythme du récit qui enfin secoue le lecteur. L'impulsif Rodolphe Darzens mène l'enquête avec autant de fougue qu'il pédale sur son vélo. Bien que chaque rencontre se déroule selon un schéma sensiblement immuable, le lecteur plonge avec Darzens dans le milieu littéraire parisien — ses amitiés, ses inimitiés — pour élucider ce que Rimbaud est devenu, retrouver la trace de cet Ardennais fugueur et furieux, et ainsi avoir une chance de lui parler. Il fait bon marcher dans ce Paris-là au tournant des XIXe et XXe siècles, et mettre sa roue dans celle de Darzens quand il va vers quelques personnages pittoresques, hauts en couleurs, tantôt érudits, taciturnes ou revanchards. La galerie de portraits est très riche alors que chacun livre « son » Rimbaud : Auguste Bretagne dit AB, Jean-Louis Forain, Jean Moréas, Georges Izambard, Riès, Charles Cros, l'ami/amant Verlaine seul protecteur des oeuvres de « Rimbe » et en particulier l'éditeur Paul Demeny auquel la nièce a désobéi en conservant les textes que le poète avait exigé de brûler. À partir du moment où Adèle Gindre remet en catimini les textes sauvés du feu à Darzens, l'histoire devient captivante, pleine de la ferveur du journaliste, un illégitime lui aussi en mal de reconnaissance. L'ennui est qu'il nous a fallu patienter jusqu'à la page 160… sur 348 !

Là commence vraiment l'enquête littéraire qui va de rebondissement en mise à pied, de chausse-trappe en coup bas, de duel au petit matin en virée dans les Ardennes, de Paris à Charleville-Mézières, de la ferme familiale de Roche à l'hôpital de la Conception à Marseille où le cancer fauchera Rimbaud à l'hiver 1891. Après avoir fait l'expérience de la révélation, Darzens nous aspire dans son sillage alors qu'il tente malgré les obstacles de publier les quelque vingt poèmes inédits dans Reliquaire, recueil qu'il préfacera et qui sera édité par Genonceaux en 1891.

Toute ressemblance avec des personnes ayant existé n'étant pas fortuite, peut-être les curieux auront-ils à coeur de démêler le vérifiable du romanesque, si adroitement imbriqués ici que les coutures sont quasiment invisibles. Henri Guyonnet tisse les faits historiques de fiction et brode son histoire autour d'extraits des poèmes de Rimbaud, cités abondamment et parfois in extenso. Ils sont la parole jaillissante, la vibration tellurique d'un fantomatique poète que l'on redécouvre terriblement seul au moment où il se meurt en France après de longues années d'absence ; ils dessinent la géographie en mouvement d'un voyageur impénitent condamné à l'immobilité avant d'être condamné tout court. À cette prégnance forte de la poésie rimbaldienne, à la stupeur de la voix poétique, Henri Guyonnet écrit en creux la vie qui en était l'essence et y oppose une langue simple, des phrases sèches et des dialogues aux incises un rien scolaires, qui ont le bon goût de ne pas chercher à rivaliser.

❝Tu te souviens de ce que dit le Mondanitaire : « Vous mettez un adverbe, vous prenez la porte. Vous ajoutez un adjectif, vous passez dans mon bureau. »❞

Se lancer dans l'écriture à partir d'une vie déjà accomplie, un épais dossier de recherches sous les yeux, est rassurant pour un primo-romancier, et je reconnais qu'il faut une bonne dose d'audace ? de liberté ? pour proposer, après tant d'autres, une nouvelle réécriture d'une aventure rimbaldienne tendue de clichés. Néanmoins, j'aurais aimé que l'enquête suive un cheminement moins strict et pesant, qu'elle se fasse zigzagante en hommage aux traces, éphémères ou durables, laissées par le poète aux semelles de vent avant de mourir. Et qu'elle nous interroge sur la relativité de la postérité quand l'éternité tient aussi à quelques poèmes sauvés du feu.
Rimbaud avait exigé Brûlez tout ! C'était oublier qu'une brûlure laisse une trace.

Premier roman lu dans le cadre de la sélection 2024 des #68premieresfois.
Lien : https://www.calliope-petrich..
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Dans ce roman, un conteur ensorcelant raconte la rencontre romancée d'un poète magnifique : Arthur Rimbaud et d'un personnage truculent à la vie romanesque : Rodolphe Darzens

Les personnages ont existé et les poèmes de Rimbaud sont authentiques : Ils transcendent les scènes de vie quotidienne dans les rues de Paris et dans la cour de ferme à Roche.

L'histoire :
Fin du 19e siècle. Depuis 20 ans, le silence d'Arthur Rimbaud interroge le Paris artistique. Rodolphe Darzens, jeune pigiste aventureux, se voit confier l'enquête de sa disparition.

Le journaliste infiltre le milieu littéraire d'avant-garde et part à vélo sur la route des Ardennes pour retrouver la trace du poète. Il découvre chez l'un de ses anciens amis vingt-deux poèmes autographes inédits, et décide de les publier dans un recueil intitulé le Reliquaire. Darzens s'attire les foudres de Verlaine, seul protecteur des oeuvres de Rimbaud.

Pendant ce temps, Arthur Rimbaud est rentré d'Abyssinie, malade et amputé. Il séjourne à Roche, dans la ferme familiale et questionne sa vie, ses amours, sa quête spirituelle et poétique.

Dans un chassé-croisé haletant, Brûlez tout ! mêle la traque du journaliste à la poésie prophétique de l'homme aux semelles de vent

Cette exofiction donne vie à un Arthur Rimbaud émouvant et touchant.
Foncez au coeur de ce voyage dans le temps au côté de l'homme aux semelles de vent de retour d'Abyssinie, amputé d'une jambe et souffrant le martyr.
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Mais pourquoi ? Et que faut-il brûler ? « Brûlez tout ! » : c'est l'ordre très explicite qu'Arthur Rimbaud donna à son éditeur Paul Demeny « Rimbaud rejetait son oeuvre passée et voulait que tout soit détruit ». Heureusement cet ordre n'a pas été suivi d'effet car nous serions passés à côté de l'oeuvre de toute beauté de ce poète de génie.
Encore un livre sur Rimbaud, surnommé « le roi des décadents », « l'homme aux semelles de vent », « le poète maudit » : Jean Teulé, Sylvain Tesson et le non moindre Pierre Michon s'y sont intéressés. J'ai moi-même lu « L'autre Rimbaud » de David le Bailly et je pensais tout savoir sur ce poète fantasque, disparu trop tôt et de façon tragique, malade et amputé. Eh bien, ce n'est pas le cas. Ce livre fort bien écrit recèle des informations que j'ignorais. Il n'est ni un récit historique, ni une biographie de Rimbaud mais une exofiction (catégorie de roman inspiré de la vie d'un personnage réel mais s'autorisant des inventions) ou biographie romancée.
Car Rodolphe Darzens, chroniqueur littéraire de la fin du XIXème siècle, curieux de savoir ce qu'était devenu Arthur Rimbaud a réellement existé. Il s'est réellement lancé dans une enquête de longue haleine. Il a découvert vingt-deux poèmes autographes inédits d'Arthur Rimbaud qu'il a publié malgré la volonté de l'auteur sous le titre « le reliquaire » et a lancé le mythe du « génie des Ardennes ». Rodolphe Darzens s'est révélé tenace dans ses recherches malgré l'animosité de Paul Verlaine qui fut l'amant de Rimbaud et la famille de ce dernier qui voulait le préserver de toute intrusion.
Henri Guyonnet dont c'est le premier roman s'est laissé porter par son imagination et s'est lancé sur la piste du journaliste. Il alterne les chapitres sur l'enquête et sur les derniers jours du poète après son retour d'Afrique, d'Abyssinie. de très beaux et nombreux extraits de poèmes de Rimbaud illustrent régulièrement le roman ce qui est un vrai régal. Et sur la première de couverture la photographie célèbre du jeune Rimbaud, un élève précoce qui émerveillait ses professeurs. Un être singulier qui se révèle très attachant malgré un caractère volcanique.
« Brûlez tout ! « une belle aventure en Rimbaldie !


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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Avant-propos
À la fin du XIXe siècle, Rodolphe Darzens, jeune immigré russe, est chroniqueur dans différents périodiques littéraires et revues. Grâce à Jean-Louis Forain, célèbre caricaturiste, il découvre la poésie d’Arthur Rimbaud et en tombe amoureux. À cette époque, le poète est pratiquement inconnu, et il a disparu depuis près de vingt ans. Darzens entreprend alors une enquête pour reconstituer la vie de Rimbaud et retrouve chez l’un de ses anciens amis vingt-deux poèmes autographes inédits. Ces poèmes auraient dû être brûlés, selon la volonté de leur auteur.
Darzens décide de publier ces textes originaux dans un recueil intitulé Reliquaire. Quelques jours avant le décès ¬d’Arthur Rimbaud, dans l’anonymat à Marseille, le livre paraît.
Le Reliquaire révèle le poète au grand public et lance le mythe du génie des Ardennes.
À partir de cette intrigue historique, l’auteur a laissé libre cours à son imagination pour proposer cette exofiction mêlant la poésie prophétique de « l’homme aux semelles de vent » à la traque du journaliste, tel un voyage initiatique en Rimbaldie.
Ce livre n’est ni un récit historique, ni une biographie sur Rimbaud, mais un hommage au poète, et à celui sans qui certains de ses poèmes célèbres comme « Le dormeur du val », « Ma bohème » ou « Sensation », n’auraient peut-être jamais été connus.
Pour les besoins de l’intrigue, l’auteur a pris des libertés avec certains éléments historiques et personnages, dont Verlaine, qui n’a jamais été impliqué dans l’affaire du Reliquaire.

Prologue
Cimetière de Neuilly-sur-Seine, 1938

Par cette belle matinée d’hiver, le cortège avançait lentement le long des allées du cimetière.
En accompagnant la veuve et sa famille, le froid piquant serrait les témoins dans une assemblée insolite. Journalistes, écrivains, sportifs, industriels, hommes de théâtre, poètes bohèmes, connus ou anonymes ; ils étaient venus nombreux rendre hommage à Rodolphe Darzens.
Un peu à l’écart, une délégation de gens du voyage suivait le convoi. Leurs tenues bigarrées égayaient un peu le tableau.

Dans son testament, le défunt avait souhaité être conduit à sa dernière demeure en corbillard hippomobile. Toquade d’un vieillard sénile ou souvenir de sa jeunesse, son vœu exaucé donnait à la cérémonie ce panache désuet réservé aux personnages célèbres.
Soudain, le cheval noir surmonté d’un toupet blanc, sans doute dérangé par les cris de corbeaux matinaux, claqua du sabot sur l’allée, secoua son licol, hennit et prit le petit trot. Le cocher, sidéré, tirait sur les rênes. On entendit quelqu’un prononcer : « Il a toujours été impatient », et la procession hâta le pas pour se réchauffer.
Arrivés au caveau, certains s’étonnèrent qu’il s’agisse d’une sépulture commune déjà peuplée de quatre journalistes. Ils apprirent que Darzens, chevalier de la Légion d’honneur, ancien directeur du Théâtre des Arts, membre de la Société des gens de lettres, avait fini sa vie dans la misère et que l’Association des journalistes sportifs, en témoignage de ses hauts faits rédactionnels, lui avait réservé une place dans cette sépulture à la gloire des chroniqueurs.

Après la bénédiction du prêtre orthodoxe, Julien Le Cardonnel, du Journal, s’approcha, une feuille à la main et prononça cet éloge : « Ce fut l’une des figures les plus intéressantes du journalisme, des lettres et du théâtre. Darzens fut l’un des créateurs du journalisme sportif et l’un des premiers apôtres du sport en France. Par-dessus tout cela, il fut un grand directeur de théâtre, que le théâtre n’enrichit pas. On emploie, souvent à la légère, l’expression de personnage balzacien, mais s’il est un homme auquel elle convient, c’est bien à l’homme extraordinaire que fut Rodolphe Darzens, dont la personnalité fut diverse, riche, variée comme un personnage de la Renaissance... »
À cet instant, le miaulement guttural d’un chat de gouttière planqué derrière une stèle interrompit le panégyrique. L’orateur fit une pause, eut un sourire discret et reprit : « Né à Moscou de commerçants d’origine basque, il vint à Paris avec une troupe de cirque et commença une carrière journalistique étonnante. Darzens, grand amoureux de la vie, a dirigé vers l’action une imagination qu’il eût pu utiliser pour une grande œuvre littéraire... »
Le public écoutait dans le recueillement l’allocution hagiographique. Certains pourtant se lançaient des œillades sarcastiques.
S’ensuivirent l’homélie du prêtre orthodoxe et le scellement du caveau, ensuite le cortège prit le chemin du retour. Par familles, les petits groupes se reformèrent naturellement. Un bel homme emmitouflé dans un manteau brun au col fourré s’approcha de l’un d’eux.
« C’est qui ? chuchota une femme.
— Marcel Pagnol », répondit son amie.
Pagnol salua le discours mais regretta que l’apologie n’ait pas évoqué l’enquête passionnante sur Rimbaud que Darzens avait initiée le premier.
Son interlocutrice, surprise, lui avoua qu’elle n’avait jamais eu connaissance de cette affaire. Pagnol prit un air entendu et, dans un sourire, de sa voix chaude teintée de l’accent du Midi : « C’est très mystérieux, en fait... mais il gèle ici, je vous raconterai tout cela dans la voiture, si vous voulez bien. » Ils pressèrent le pas.
Les derniers à quitter le cimetière furent les Gitans.

La Grande Russie
Moscou, 1885

Une nuit d’orage. Les éclairs qui déchirent la voûte obscure et profonde révèlent avec brutalité l’horreur sur terre. Des piles de livres que les militaires russes jettent dans un bûcher monstrueux. Les flammes affolées lancent aux fronts des lumières pourpres et fugaces, des cendres étincellent dans l’obscurité. Le fracas du tonnerre ajoute à la terreur, le ciel prend part aux événements. Les uniformes cuirassés tranchent sur les corps mous des pauvres gens, couverts de laines grises comme les cendres. C’est tout ce que voit Rodolphe Darzens du haut de son mètre quatre-vingts, l’autodafé, les livres gémissants, les uniformes et le peuple soumis. L’odeur de livres qui brûlent est particulière, l’encre des mots semble alourdir l’air et le charger d’une vérité à jamais perdue. Rodolphe s’agite derrière le cordon de sécurité des gardes.
Une rixe éclate devant le libraire. Darzens l’apprécie beaucoup, ce M. Bloomfield, l’homme le plus aimable de la rue Arbat. Quand Rodolphe était petit, il lui avait offert son premier abécédaire. Quinze ans qu’ils se connaissent et le voilà sous ses yeux molesté, battu par ces brutes, ces cosaques ! Darzens profite de la mêlée devant l’échoppe pour se frayer un passage dans la foule qui manifeste sa haine du Juif.
Au moment d’enjamber la corde des sentinelles, une main de fer se pose sur son épaule. Il arme déjà son poing, quand il reconnaît son camarade Igor.
« Ne fais pas le con, Rodolphe.
— Laisse-moi, Igor. Tu vois bien ce qu’ils font ! » Il se dégage de la poigne de son ami.
Igor le retient par le bras. « Tu crois que tu vas les arrêter en te battant avec tes poings ?
— Je fais ce que j’ai à faire, lâche-moi !
— Calme-toi, il y a d’autres moyens de lutter. Rentre chez toi et retrouve-moi demain chez Dimitri. On en parlera avec les autres. »
Un officier les observe dans la lumière des torches. Rodolphe, la rage au cœur, se retire.

Le lendemain, dans sa modeste datcha, la famille Darzens est réunie pour le dîner. Rodolphe fait allusion au libraire. Son père, un petit homme rond à moitié chauve, est désolé que ce soit arrivé mais il rapporte, à mi-voix, que Bloomfield vendait des livres interdits...
« Lesquels ? demande vivement le jeune Darzens.
— Je n’en sais rien, et cela ne nous regarde pas ! » réplique le père, qui en profite pour reprocher à Rodolphe ses fréquentations et ses idées révoltées. Il craint pour son commerce de vin. La mère essaie timidement de défendre son fils. Le père s’emporte : « Il n’y a jamais eu de hors-la-loi chez nous ! » appuie-t-il d’un poing sur la table.
Rodolphe jette sa serviette et monte dans sa chambre. La tête dans les mains, assis sur son lit, il se demande s’il est vraiment son fils...
Plus tard, après avoir enjambé le garde-corps de sa fenêtre, il s’accroche à la vigne sauvage et saute dans la rue.
Chez Dimitri est un lieu de rendez-vous clandestin dans le quartier des tanneurs. La maison délabrée ne présente aucune entrée accessible et semble abandonnée. On y pénètre en passant par le jardin derrière la bâtisse, ensuite il faut descendre à la cave.
Rodolphe, après s’être assuré qu’il n’est pas suivi, s’approche de la maison. Il ouvre la trappe, s’engouffre furtivement et retrouve son ami Igor au bas des marches. Celui-ci lui donne l’accolade et le félicite d’avoir su garder son calme. Il faut se faire respecter en restant unis. Plusieurs cerveaux valent mieux qu’un. Il le présente aux nouveaux membres du groupe La Phalange.
L’endroit humide sent le vert-de-gris et la vieille barrique. La seule lumière, blanche et oblique, provient d’un bec de gaz et aboutit sur la dalle poussiéreuse au centre de la pièce. Au fond de la salle voûtée, encombrée de chaises, un comptoir rassemble les invités à la fin des réunions.
L’assistance est composée de jeunes gens, d’intellectuels et d’ouvriers, mais elle reçoit aussi des artistes et des moines orthodoxes. Igor y prend ses missions. Il a introduit Rodolphe dans ce mouvement anarchiste, sentant chez lui la même flamme de révolte contre le pouvoir. Les deux amis se sont connus au collège de Saint-Pancrace au sud de Moscou. Rodolphe, plus jeune que lui de trois ans, le voit comme un modèle. Igor le Magnifique, son surnom au collège, impressionne par ses reparties, sa culture et son allure princière. Darzens rêve de devenir un jour aussi populaire que lui. Il répond toujours présent à ses appels et l’accompagne dans des campagnes clandestines d’affichage.
Le débat porte ce soir sur le pogrom des Juifs et des Gitans. À la suite des votes, l’option pour l’information directe a été préférée à l’affrontement. La non-violence, plutôt
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Darzens, étourdi, a perdu ses repères, il se pose sur le lit pour reprendre sa lecture. Verlaine révèle que, incompris dès sa jeunesse, Rimbaud en vrai maudit a rejeté les valeurs de la société. Il s’est conduit de manière provocante, dangereuse, asociale ou autodestructrice. Le journaliste apprend aussi que la plupart des œuvres du poète n'ont jamais été publiées ou ont disparu.
Une Saison en enfer, parue en 1873, sombra corps et biens dans un oubli monstrueux, l'auteur ne l'ayant pas lancée du tout. Il avait bien autre chose à faire. Il courut tous les Continents, tous les Océans, pauvrement, fièrement.., écrit Verlaine.
Poursuivant le recueil, les louanges dithyrambiques de Verlaine sur son amant n'étonnent plus le journaliste, mais la destinée troublante de ce poète inconnu commence à l'intriguer. p. 88-89
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Rodolphe a une semaine de mise à pied, s’il ne trouve rien d’intéressant avant la fin, il sera viré. Il le rappelle, il lui faut un pseudo: ce sera. Lardenay, et le congédie d’un geste en reprenant ses lectures.
Darzens, satisfait et un peu surpris, reste sur place et lui demande le sujet de l'enquête. Interloqué, le patron répond: «Rimbaud.
— Rambot? répète Rodolphe, dérouté.
— Rimbaud Arthur, le poète! articule Meyer, agacé. Il a eu une liaison avec Paul Verlaine et a disparu depuis vingt ans, déterrez-moi des témoins, des révélations, et où se trouve Rimbaud, c'est clair? Et surtout pas de vagues, c’est compris?» Ses yeux transpercent le journaliste à travers ses binocles.
Darzens acquiesce, comme absent. Il réalise dans quel traquenard il vient de se fourrer. Tout ce qu’il ne supporte pas: les poètes, homosexuels en plus! Disparus depuis vingt ans, tant qu'à faire.
Rodolphe sort du bureau accablé. En passant, il fait signe à son ami Pierre de ne pas s'inquiéter et quitte le journal sous les regards plissés des sympathisants de Ferdinand.
De retour chez lui, dans son petit garni sous les toits, le journaliste tourne en rond avec cette enquête improbable. «Un poète, en plus! Disparu depuis vingt ans! Que personne ne connaît, à part quelques intellectuels ou pseudo-artistes, pour sûr! À mettre tous dans le même panier, comme Moréas! J'aurais été verni que je serais tombé sur un sculpteur, au moins ceux-là ils transpirent. p. 73
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il y a autant de jouissance de réaliser une performance sportive que d'écrire un poème
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