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La littérature fantasy, ici il s'agit même plutôt de steampunk, propose parfois des univers originaux qui renouvellent l'intérêt de lecture, pari gagné avec ce titre qui se démarque de belle façon.
Pour ce qui est du contexte, il faut s'imaginer une ville flottante constituée de centaines de navires assemblés, une ville qui bouge lentement mais est néanmoins mobile. Cette "ville", nommée "Armada" est dirigée par les deux seigneurs scarifiés, un couple énigmatique que l'on surnomme aussi "les Amants", ils sont assistés d'Uther Dol, un mercenaire qui possède une épée d'un genre très particulier.
Ce peuple de l'eau obéit aux lois de la flibuste et vit de la piraterie, cela dit, le but poursuivi par les dirigeants d'Armada est d'une toute autre nature, il est question d'une quête, "la recherche d'un lieu légendaire sur lequel courent les mythes les plus fous."
"Jeune traductrice de langues oubliées, Bellis fuit Nouvelle-Crobuzon à bord du Terpsichoria en route vers l'île Nova Esperium. Arraisonné par des pirates, le navire est conduit vers Armada..."
Ainsi débute l'histoire, les talents de Bellis vont permettre à cette quête insensée de prendre corps, le voyage s'annonce bien sûr dangereux, on en n'attend pas moins.
J'ai aimé ce petit pavé pour les raisons citées plus haut, mais aussi pour la qualité de l'écriture et du scénario, il s'agit, et c'est à noter, d'un "one shot".
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ça me gonfle... J'abandonne...
Après un départ sur les chapeaux de roue, alléchant, là, dans Armada, franchement je me fais ch*** pour parler crûment.
Alors oui c'est très imaginatif, oui l'univers est fouillé, mais les personnages sont creux, voire vides, et l'intrigue n'a pas avancé d'un pouce 200 pages plus tard.
Trop de descriptions répétitives tuent ma curiosité, trop de digressions tuent mon attention.
C'est comme ça.
C. Miéville, c'est pas pour moi...
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Lorsqu'elle embarque à bord du Terpsichoria pour fuir sa cité d'origine, Bellis Frédevin n'imagine pas que son exil la portera bien au delà des mers et territoires connus. Seulement après à peine quelques semaines de navigation, le navire est arraisonné par des pirates qui s'emparent manu militari des passagers pour les débarquer dans un endroit hors du commun. Cet endroit, c'est Armada, formidable cité flottante constituée d'un agrégat de bateaux en tout genre, dont Béliss et ses compagnons d'infortune sont désormais les citoyens forcés. L'acclimatation est rude pour cette experte en langues étrangères particulièrement attachée à sa ville d'origine, d'autant plus que la cité-pirate connaît au moment de son arrivée des bouleversements sans précédents. C'est qu'il n'est désormais plus question pour les forbans de se limiter à piller les mers et les côtes ! Aujourd'hui, la ville flottante se lance dans un projet beaucoup plus ambitieux : capturer un advanç, cette créature marine légendaire aux proportions gigantesques, et atteindre grâce à elle les confins du monde connu. Cet univers de Bas-Lag, cela fait maintenant plusieurs fois que China Mieville y revient. D'abord avec « Perdido Street Station » qui se focalisait justement sur la ville natale de l'héroïne, Nouvelle-Crobuzon, puis avec « Les Scarifiés » dont il est question ici, et de nouveau quelques années plus tard avec « Le Concile de fer » (l'occasion d'un retour à Nouvelle-Crobuzon). Autant de romans qui se sont vus décerner une multitude de prix plus prestigieux les uns que les autres, du Locus au Grand Prix de l'Imaginaire en passant par le British Fantasy Award ou le Prix Arthur C. Clarke. Et on comprend sans mal pourquoi.

Le principal point fort du roman est indéniablement son univers ultra développé avec lequel, il faut bien l'admettre, on met quelques chapitres à se familiariser. Des suppléments visant à aider le lecteur novice à se dépatouiller avec la multitude de termes faisant référence à tel lieu, telle race ou telle réalité (carte, glossaire, dramatis personae...) n'auraient notamment pas été de trop. Mais une fois l'acclimatation réalisée, quelle claque et surtout quelle cité ! Organisation quartier par quartier, noms et formes des navires abritant qui un marché, qui des habitations ou qui un parc, règle stricte de circulation des ouvrages papiers, fonctionnement de la presse, corps de métiers se partageant le travail sur et sous l'eau... : pas un aspect n'est laissé de côté par China Mieville qui fait de cette ville flottante d'Armada le véritable protagoniste de son roman. Si c'est avec un désespoir bien compréhensible que l'héroïne découvre peu à peu sa nouvelle patrie, le sentiment du lecteur est quant à lui plus proche de l'admiration béate. Pas un endroit de cette cité qui n'enflamme l'imagination. La selenef du Brucolac, formidable bateau se mouvant grâce aux vents de lumière lunaire, les aeronefs survolant Armada, le quartier hanté dans lequel rode on ne sait quelles créatures, les arènes, les rayonnages de la bibliothèque s'étalant de cale et cale, le parc de Lafflin et ses plantes exotiques ayant totalement recouvert au fil des siècles leurs supports nautiques... : tout est follement original et follement grisant. N'aller cependant pas croire que la cité d'Armada, pour exceptionnelle qu'elle soit, est tout ce à quoi se limite l'univers de l'auteur, bien au contraire.

C'est que l'héroïne en fait, du chemin, depuis Nouvelle-Crobuzon et la Baie de fer ! Il y a par exemple la ville de Salkrikaltorville peuplée d'humains et de Cray (créatures mi-hommes, mi-crustacés) et donc possédant des habitations et des commerces aussi bien sur que sous l'eau. Et puis il y a l'expédition de Silas Fennec sur la Mer de Crogourd chez les Strangulots, et celle de Bellis sur l'île des redoutables Anopheliae, sans oublier les mois de navigation par delà l'Océan Démonté jusqu'à l'Océan Caché à la faune et flore exotiques (« Tanneur réfléchit à toutes les choses qu'il lui reste à voir. Tout ce qu'on lui a dit exister là, dans l'océan. Les vaisseaux fantômes, les nefs fondues, les îles de basalte. Les plaines de vagues pétrifiées à l'eau grise et solide, où la mer est morte. Les lieux où elle bouillonne. le séjour des Auspicins. Les tempêtes de vapeur. La Balafre. »). Un autre des aspects parmi les plus développés de l'univers de China Mieville est sans aucun doute son bestiaire, chose à laquelle j'ai toujours été particulièrement sensible. Ecaillots, Cactacés (hommes-cactus), fulmen (élémentaux de foudre), strangulots, gigantoplaque... : voilà un petit échantillon des différentes espèces que vous pourrez croiser au cours de votre lecture. Sans oublier les Recrées, ces hommes condamnés pour un quelconque larcin à subir des transformation physiques constituant la plupart du temps en des greffes d'appendices appartenant à d'autres espèces (l'un des protagonistes, par exemple, est un homme-poisson doté de tentacules et de branchies suite à une succession d'opérations douloureuses). Vous l'aurez compris, l'univers de China Mieville regorge de surprises et c'est avec un plaisir presque enfantin que l'on saute d'une découverte à une autre, chacune plus étonnante que la précédente.




Avec un monde d'une telle richesse, il fallait une intrigue à la hauteur et là encore c'est un sans faute pour l'auteur. En dépit de ses impressionnantes neuf cent pages, le roman ne souffre en effet d'aucun passage superflu. Pas de ralentissement dans le rythme, pas de digressions : tout est utile au récit et absolument tout est passionnant à suivre. L'intrigue est ainsi ingénieusement construite puisque, dès que le lecteur pense avoir atteint le coeur de l'histoire, l'auteur parvient par divers effets de manche à relancer son récit sur une nouvelle piste encore plus enthousiasmante. On doit également à China Mieville des retournements de situation stupéfiants car totalement inattendus mais pourtant tout à fait cohérents avec les éléments que les personnages avaient jusque là pu réunir. Certaines scènes se révèlent ainsi particulièrement marquantes pour le lecteur amateur d'aventures et d'exploration, qu'il s'agisse de l'attaque des terrifiantes femmes-moustiques de l'île d'Anopheliae ou encore de la plongée claustrophobique d'une poignée de scientifiques à bord de la nef exploratrice en eaux profondes d'Armada afin d'examiner de plus près le gigantesque monstre tractant la ville. L'auteur opte pour un style fluide, efficace à défaut de poétique. Tout juste pourrait-on reprocher quelques maladresses occasionnelles (dont j'ignore si elles sont imputables à l'auteur lui-même ou à la traduction) ainsi qu'un recours un peu déstabilisant lors des premiers chapitres à des termes pointus en matière de zoologie ou de botanique (pensez à garder un dictionnaire à côté de vous au début de votre lecture, vous risquez d'en avoir besoin !)

Il reste encore à aborder la question des personnages qui, toute proportion gardée, sont sans doute le point le plus faible du roman. Non pas qu'ils soient antipathiques, fades ou peu convaincants : bien au contraire. Seulement on prend très vite conscience que le véritable protagoniste du roman, c'est avant tout cette fameuse cité flottante et que les personnages auraient mérité d'être un peu plus étoffés. Bellis, par exemple, est une héroïne attachante et complexe dont on comprend sans mal les atermoiements mais de laquelle on peine pourtant à se sentir proche. Il en va d'ailleurs de même de la plupart des personnages, à l'exception notable du duo Tanneur/Shekel : le premier parvenant à toucher par sa bonté et son sens de l'adaptation, le second émouvant surtout à l'occasion de son apprentissage de la lecture, une expérience inouï pour ce jeune illettré qui réalise soudain tout ce à côté de quoi il est passé (« Il avait appliqué cette technique à d'autres sortes de mots. Il en était entouré. Les panneaux dans les rues commerçantes, derrières les vitrines, dans la bibliothèque et partout dans la cité ; sans compter toutes les plaques en cuivre qu'il avait croisé dans sa ville natale : une clameur silencieuse, à laquelle il savait qu'il n'y aurait plus moyen de demeurer sourd à partir de maintenant. Une fois venu à bout de son livre, il fut saisi de fureur. Comment se fait-il qu'on ne m'ait rien dit ? fulmina-t-il. Quel est l'enfoiré qui m'a tenu à l'écart d'un truc pareil ? »). On peut aussi regretter de voir certaines relations possédant un véritable potentiel être trop peu exploitées, qu'il s'agisse de celle entretenue par les Amants, les mystérieux dirigeants du district d'Aiguillau, ou de celle entre Bellis et Uther Dol, guerrier aux pouvoirs surhumains que l'on a bien du mal à cerner.

Avec « Les scarifiés », China Mieville continue d'explorer et d'agrandir son univers qui possède déjà une richesse incroyable tant au niveau de sa géographie que de sa faune ou sa flore. Doté d'une intrigue solide et pleine de surprises, ce pavé de près de neuf cent pages se dévore avec une avidité révélatrice du talent de l'auteur et du caractère immersif de son décor. Si les personnages ne sont peut-être pas tout à fait à la hauteur du reste (tout ne peut pas être parfait...), le roman n'en reste pas moins une formidable réussite qui mériterait presque le statut de chef d'oeuvre. Amateurs de récits d'aventure et de piraterie, ce livre est fait pour vous !
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Généralement je n'appréhende pas les pavés mais lorsque China Miéville est à la barre, la lecture nécessite temps et concentration.

J'avais déjà expérimenté la manière de l'auteur, avec difficultés pour "Perdido Street Station" et dans la douleur avec "Le Concile de Fer".

Je préfère couper court aux inévitables donneurs de leçons : non je ne suis pas maso !
Avec son style baroque et foisonnant Miéville m'est harassant à la longue mais sa prodigieuse inventivité et sa capacité extraordinaire à échafauder des univers à la fois terre à terre et délirants l'emportent et je persiste à le lire.


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Après Perdido Street Station, continuons notre voyage en Bas-Lag en compagnie de China Miéville. Sauf que ne trouvant plus la version française (toujours traduite par Nathalie Mège) Les Scarifiés, j'ai donc lu cette deuxième histoire, The Scar, dans sa version originale.
L'action démarre quelques mois ou semaines après les événements de Perdido Street Station. La milice ayant repris en main la ville, la narratrice fuit de peur d'être interrogée un peu trop durement sur ses accointances passées avec Isaac Dan der Grimnebulin, l'un des protagonistes du roman précédent. Rassurez-vous. À part une ou deux allusions les romans peuvent se lire de façon totalement indépendante l'un de l'autre. Ici, La Nouvelle-Crobuzon n'est que mentionnée. La ville principale y sera l'Armada, la cité flottante pirate qui va capturer le bateau où se trouve notre narratrice Bellis, un zoologue spécialiste d'espèces multidimensionnelles et un lot de ReCréés destinés à être esclave dans les colonies. Une fois éliminé le commandement du bateau, l'Armada ne laisse plus le choix aux passagers et à l'équipage : rejoignez nos citoyens ou bien…
Tout au long du récit qui raconte l'épopée de l'Armada voguant vers le bout du monde, ou The Scar (la Balafre) du titre original, Bellis va être le témoin récalcitrant des événements, refusant de donner sa loyauté à cette nouvelle ville et de rester coincée toute sa vie à son bord. Contrairement à d'autres personnages, comme Tanner Sack qui y trouve enfin un sens à sa vie et une certaine liberté, elle n'est active que sous la contrainte, manipulée par les événements et son entourage. Ce qui donne ainsi au livre un point de vue à la fois extérieur et au coeur de l'histoire qui diffère pleinement de la façon dont Perdido Street Station était construit.

Si le premier volume de la trilogie de Bas-Lag était un thriller urbain dans un monde fantastique, The Scar est une épopée navale. Ce récit contient tous les éléments d'une bonne histoire de pirate : une quête mythique, des batailles navales impressionnantes, des combats à coups de sabre, des iles lointaines peuplées d'êtres étranges (comme les anophelii si tragiquement terrifiants), des coups tordus et des trahisons en cascade. le tout vu principalement par les yeux d'une ex-universitaire linguiste et citadine jusqu'au bout de sa longue jupe noire. Donc aussi à l'aise dans cet élément qu'un poisson dans les sables du désert.
Dans sa description de l'Armada et de ses différents districts, China Miéville laisse libre cours à sa passion pour la politique dans les différents systèmes de gouvernance qu'il présente (avec une mention spéciale pour l'impôt très concret levé dans le district de Dry Fall). Il montre également un foisonnement de races qui reprennent en partie celles déjà rencontrées à La Nouvelle-Corbuzon et en présente d'autres. le tout se faisant toujours de façon très imagée et parfaitement cohérente. le résulta est que, même si Bellis est particulièrement remontée contre ce qui l'entoure, elle nous entraîne dans son sillage dans The Scar et nous donne à rêver un monde fascinant.
Lien : https://www.outrelivres.fr/t..
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Attention, ce billet ne contient aucun sens critique et transpire l'admiration béate.

Déjà, la couverture de Marc Simonetti est magnifique. Celles des deux livres de poche de PSS m'avaient hanté pendant des jours, mais ces deux visages scarifiés m'ont accompagné tout au long des 850 pages de ma traversée des Scarifiés. Je parle volontairement de traversée au long cours car la densité des romans de Miéville est réelle. Il m'arrive de bouffer un polar en une nuit, mais lire la prose de cet auteur me demande beaucoup plus de temps. Ça tient à ses descriptions, très imagées, aux ambiances qu'il arrive à créer. Miéville bombarde le lecteur de références, de noms, de concepts... Son univers est foisonnant, il faudrait presque dédier un Wikipédia à part entière pour documenter les races, les pays, les villes, les quartiers, les pratiques, les guerres de Bas-Lag. Pourtant, on est jamais perdu dans cet univers. Il a beau faire allusion au débarquement ancien d'une race ou à un royaume de femmes-moustiques qui a failli dominer autrefois le monde, il n'y a pas besoin d'explication savante pour savourer ces concepts. de même, la coexistence de la thaumaturgie, de la chymie, de l'électrycité ne donne pas l'impression d'être un mélange commerciale destiné à plaire à un maximum de lecteurs : ça fonctionne.

L'histoire ? Elle est la conséquence directe de Perdido Street Station puisqu'une ancienne petite-amie du héros de PSS fuit Nouvelle Crobruzon en bateau suite au merdier provoqué par les personnages du premier roman. Sauf que son exil se complique fortement quand elle est faite prisonnière par une étrange nation flottante : Armada. Ne comptez pas sur moi pour vous spoiler le scénario, mais à l'instar de PSS, des choses importantes se préparent en coulisse.

Que dire pour vous convaincre de lire China Miéville en général et Les Scarifiés en particulier ? Un inventaire à la Prévert peut être ? Des hommes-cactus aux muscles fibreux, des hommes-moustiques à la bouche en forme d'anus, des vampères qui font payer un impôt de sang, des hommes modifiés corporellement en guise de punition judiciaire, de la magie sordide qui a toujours un prix, des créatures d'un autre plan à l'appétit insatiable, du sexe réellement sado-masochiste...

Difficile d'apposer une étiquette sur les écrits de Miéville. C'est de la SF, oui, mais mâtinée de politique. d'horreur, de fantasy. C'est par moment un joyeux foutoir, une sorte d'auberge espagnole de l'imaginaire. Mais tous ces thèmes s'emboitent adroitement.

Je tiens au passage à tirer mon chapeau à Nathalie Mège, la traductrice de Miéville. Elle fait un travail admirable de création de néologismes et de toponymie en plus de rendre toute la subtilité linguistique du texte original.
Lien : http://hu-mu.blogspot.com/20..
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Immense hommage à l'océan et à l'inventivité du langage et des formes, essence de l'étrange, politique subtile et fondamentale : quand China Miéville se confirmaitt parmi les très grands.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/06/29/note-de-lecture-les-scarifies-china-mieville/

En 2002, deux ans après l'irruption magnifique de « Perdido Street Station » sur la scène littéraire, l'univers de Bas-Lag connaissait sa première extension avec « Les Scarifiés » (titre français parcellaire et légèrement misguiding, car éliminant la superbe ambiguïté d'origine du titre original « The Scar »), traduit en 2005, à nouveau, au prix d'une fort belle prouesse (tant la langue développée ici par China Miéville est encore plus riche, précise, foisonnante et envoûtante que dans son premier roman), par Nathalie Mège pour les éditions Fleuve Noir.

On ne raconte pas « Les Scarifiés ». Si l'inventivité technique et langagière de l'auteur britannique fait à nouveau merveille, il s'agit cette fois, au-delà du rusé contexte socio-politique d'une ère victorienne réinventée « ailleurs » (et ô combien « ailleurs » !), d'un véritable roman d'espionnage, d'un thriller à rebondissements où les personnages ne sont que bien rarement ce qu'ils semblent d'abord être, où leurs narrations sont éminemment peu fiables, ou bien dotées de nombreux tiroirs secrets, et où les surprises machiavéliques saisiront la lectrice ou le lecteur jusqu'au bout de ces plus de 800 pages.

Admettons simplement ici que, s'il y a bien ici une narratrice principale, Bellis, dont le « journal de bord » en forme de lettre jamais envoyée (et même ce constat apparemment si simple devra être pris avec moult pincettes) rend compte de ce qu'elle saisit, au fur et à mesure, de ce qui se passe autour d'elle, aventurière fuyant en urgence la Nouvelle-Crobuzon et certains événements racontés dans « Perdido Street Station » (mais qu'il n'est pas réellement nécessaire de connaître pour vraiment apprécier « Les Scarifiés »), ce roman peut trôner avantageusement parmi les grands romans maritimes de la littérature. En dehors des grands classiques de la mer, auxquels certaines allusions rusées (que je vous laisserai le plaisir de découvrir le cas échéant) renvoient expressément, on admirera aussi les résonances profondes avec des ouvrages beaucoup plus récents, à l'image du beau « Les marins ne savent pas nager » de Dominique Scali, par exemple.

La beauté et l'inventivité des descriptions, la richesse profuse sans être envahissante du vocabulaire utilisé (encore : bravo à la traductrice !), l'imagination navale développée, entre magie et industrie, entre réalité documentée et pure fiction : autant d'éléments qui justifient, bien au-delà du seul genre « steampunk » ou même imaginaire au sens large, de considérer « Les Scarifiés » comme un chef-d'oeuvre de la mer, des marins et des terriens qui s'y retrouvent mêlés comme malgré eux.

Ce n'est bien entendu pas tout. Peut-être encore plus nombreuses que les références aux grands classiques de la mer – et à Joseph Conrad au premier chef -, ce sont celles renvoyant discrètement à John le Carré qui engendrent le véritable vertige : on admirera ici la puissance géopolitique (fût-elle liée à des géographies et à des politiques fictives) inscrite dans tous les creux et les bosses d'une intrigue qui ne se laisse pas épuiser facilement – même lorsqu'elle entreprend au passage d'ébranler certains mythes libertaires fondateurs de la piraterie, pour mieux les rehausser ensuite -, le savoir-faire de thriller d'espionnage inscrit dans des dialogues qui peuvent être relus si savoureusement lorsque certains secrets ont été dévoilés ultérieurement, et pour tout dire, la joie d'une narration sophistiquée qui trace son chemin déterminé en déployant tous les leurres nécessaires au fil de son chemin – ou de son erre.

Enfin, comme c'était déjà le cas, naturellement, pour « Perdido Street Station » (et comme cela le restera pour l'essentiel du travail ultérieur de China Miéville), « Les Scarifiés » offre une saisissante synthèse de ce que les littératures de l'imaginaire peuvent produire de plus accompli, surtout lorsque, comme ici, elles ne se préoccupent guère des frontières littéraires entre genres, sous-genres et sur-genres (à propos de quoi on consultera avec profit aussi bien Apophis que Francis Berthelot).

Bien que parcourant avec malice les méandres de l'avidité et du pouvoir comme ceux de la curiosité scientifique débridée, ou ceux de la fusion authentiquement weird (et l'on songera ici logiquement parfois au Jeff VanderMeer de la « Cité des Saints et des Fous » ou de la trilogie du « Rempart Sud ») entre magie et calcul, China Miéville ne perd jamais totalement de vue les racines pulp et rôlistes qu'il revendique sereinement en plus d'une occasion (on peut se reporter par exemple au superbe entretien d'époque avec Joan Gordon, publié dans Science Fiction Studies en 2003, ici) : il adore inventer des créatures complexes, aux écologies et aux anthropologies ramifiées (et de ce point de vue, « Les Scarifiés » propose un véritable festival) – et inventer bien d'autres choses, on le verra amplement ici, mais il excelle encore davantage – ce qui ne saurait après tout nous tant nous surprendre venant du signataire en 2002 de l'article « Marxism and Fantasy » dans la revue universitaire britannique Historical Materialism ou du coordinateur de l'étude collective « Red Planets: Marxism and Science Fiction » – à mêler de très près, comme Darko Suvin osait à peine le rêver dans son approche théorique (« Metamorphoses of Science Fiction », 1979), le sense of wonder le plus prononcé à la visée politique la plus fine et la plus efficace.

Avec ce troisième roman, China Miéville s'installait en tout cas définitivement à la table des très grands.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Et Bellis commença à comprendre l'immense machination dont elle était la victime inconsciente depuis tout ce temps... Je résumerais donc 850 pages comme ça. China Miéville n'est pas chiant, enfin pas toujours, il sait écrire correctement et filerait la nique question inspiration à n'importe quel littérateur parmi ses contemporains. Malheureusement il n'y a pas que l'inspiration.
L'histoire de Bellis est assez belle, son exil volontaire de Nouvelle-Crobuzon, son enlèvement et sa séquestration sur Armada, ses trois flirts, là où va Armada même, ville pirate cosmopolite rassemblant des milliers de navires et dérivant lentement sur les flots, imposant son règne dur aux plus hardis croisant dans ses parages. Souquez, souquez, moi j'en ai soupé.
Oui c'est beau, on est happé par l'histoire, ses personnages ont du caractère même s'ils finiront par se reveler creux au possible. on est bien loin de Perdido Street Station à ce propos. Les Scarifiés est un roman qui déroule un fil de laine infini et qu'il a bien fallu casser à un endroit. Mais nul souffle n'habite ce bouquin finalement qui vaudrait d'être lu en partie pour une seule scène absolument démente : l'attaque des femmes-moustiques sur l'île ghetto de cette espèce. Voilà une scène qui renverse. le convoi doit parcourir trois kilomètres en zone non protégée, on entend déjà des cillements d'ailes, des vrombissements sourds. Hommes et femmes, sous un soleil de plomb accèlerent la cadence, fermement encadrés par des soldats cactacés en armes. Une anopheliae approche. Elle n'a que la peau sur les os, ses muscles saillent, tendus vers la faim qui l'agite, qui ne cesse de la tourmenter. Sanglante est la raison qui l'anime, elle ne peut pas interrompre sa course, elle sait les gardes armés, elles ne voit que la chair et les litres de sang qui s'avancent. Son visage se tend, de sa bouche naît une trompe aiguisée, son vol se fait plus rapide et plus prompt, elle va manger très bientôt. A ce moment là, les gardes lâchent les cochons et les moutons en arrière de la troupe. Eux connaissent la panique, et ce vrombissement qui ne cesse de ternir encore l'espoir de fuite. le bétail court, l'anopheliae se projète vers sa cible, son dard s'élançant comme au devant d'elle. Elle s'abât sur un porc, ses jambes l'enserrant et sans coup de semonce, embrasse avec une force inouie le pauvre animal. Il ne mettra qu'une minute ou deux à predre conscience. Elle en mettra trois à se repaître. Lui se déconstituera sous nos yeux. Elle retrouvera des formes de femme dans le même temps. Voilà pour la scène incroyable du livre. Elle prend le coeur du lecteur à mesure de la progression du groupe. Evidemement, la retranscription que j'en fais ne la met peut-être pas à son avantage mais passons...
China Miéville propose dans ses livres un bestiaire incroyable d'êtres hybrides, des animaux, des plantes, tout cela sous une forme d'hominidés. Ces croisements improbables, s'ils semblent freiner la relation au livre dans un premier temps sont au contraire tout le sel qui nous accroche à l'oeuvre à mesure de lecture. On peut se lasser de ces psychologies effleurées et de ces personnages un peu vides, uni-sensitif, mais quant à leur modèle de représentation, il faut avouer à China Miéville un grand talent d'inventeur. je passe volontairement sur le rôle joué par les scarifiés dans le roman, ils n'ont aucune substance sinon celle qu'il (l'auteur) voudrait bien y placer. Uther Dol avait bien plus de caractère, China Miéville serait bien inspiré de lui dedier son prochain livre.
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Un conseil aux éventuel(le)s prochain(e)s lectrices/lecteurs de ce bouquin ; le résumé du roman suggère le plein d'aventures au cours d'un voyage pleins de découvertes... c'est le cas en quelques sortes mais ça se passe bien plus lentement que l'on ne s'y attend.

Personnellement, j'ai aimé découvrir Armada, la façon dont elle fonctionne et disfonctionne, j'ai vraiment apprécié l'unique escale en terre étrangère sur l'île des Anopheliæ. Mais ce roman est surtout un long voyage d'observations et les personnages se sont pas conçus pour que l'on s'y attache (du moins, c'est mon impression) alors j'imagine fort bien qu'après avoir lu ce résumé alléchant qu'est la quatrième de couverture, quelques lectrices et lecteurs se retrouveront refroidi(e)s par ce qu'elles/ils lisent.

Heureusement ce ne fût pas mon cas, je n'ai pas besoin de m'attacher émotionnellement à un ou plusieurs personnages pour apprécier un roman ; si l'histoire est bonne et que je la trouve bien racontée alors je suis satisfaite et China Miéville sait raconter des histoires. Certes sa façon de faire est particulière tout comme ses récits le sont mais ça me plais et c'est grâce à lui que j'ai remis le nez dans la fantasy que j'avais délaissé quelques mois (années ?) plutôt.

Donc oui, ce n'est pas un récit bourré d'aventures palpitantes, de personnages trop cool qu'on adore mais je ne me suis pas ennuyée une seconde durant ma lecture.
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Les scarifiés est tout simplement un excellent roman, a mes yeux, tout aussi bon que son prédécesseur, le formidable Perdido Street Station, qu'il complète de la plus belle des façons dans un univers, le Bas Lag, où il reste tant à écrire. Tant par le fond que par la forme, tout est parfait du début a la fin, et même s'il n'est pas facile d'accès, même si ses premières pages ne sont pas évidentes et qu'il faut sacrement s'accrocher, il me semble qu'il mérite largement tous les efforts possibles car au final, il ne pourra que vous ravir. Indéniablement, China Miéville est un auteur immense, au talent tout bonnement étonnant ; cela fait deux oeuvres que je lis de lui et j'en ressors estomaqué a chaque fois, ce qui, je le reconnais, ne m'arrive pas souvent. Alors oui, comme dans Perdido Street Station, cela ne finit pas si bien que cela, pas de happy-end a l'américaine comme on en voit dans tellement d'oeuvres, et ce fait déplaira a certains, mais franchement, est ce vraiment un mal ? Je ne le pense pas. Reste ce titre, Les scarifiés. Evidement, ce sont les Amants, les dirigeants d'Armada, aux visages sans cesse changeants et qui veulent ne former qu'un seul être, mais c'est aussi la Balafre, ce lieu du Bas Lag dévasté il y a des milliers d'années par l'arrivée d'êtres venus d'ailleurs, formidable cicatrice dans le réel du monde ; et des cicatrices, il y en a d'autres, dans la chair de certains, bien évidement, mais aussi dans les coeurs, dans les certitudes de beaucoup a l'issue des événements voir même dans la ville, Armada, qui n'en sortira pas indemne. Bref, un grand moment de lecture, comme j'aimerais en connaître plus souvent et un univers dont j'ai vraiment hâte d'y replonger.
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