Dans l'élaboration de ma vision de la société et la compréhension des tensions et des conflictualités qui la traversent, il y a eu indéniablement un avant et un après
Michéa.
Grâce à ses ouvrages, j'ai pu mettre les mots sur cette répulsion que m'inspire cette gauche post-mitterrandienne qui a troqué la défense des ouvriers et des dépossédés contre la défense des minorités. Cette gauche qui a substitué à la lutte des classes et au marxisme, des principes moralisateurs allant de l'inclusivité à la tolérance pour se donner bonne conscience. Cette gauche que je côtoie dans le monde professionnel truffé de cadres métropolitains (dont je fais partie) et qui n'hésite nullement à soutenir une réforme antisociale tout en donnant des leçons sur le sexime ordinaire en entreprise.
Qu'on me comprenne. Je ne cherche nullement à opposer ces luttes. C'est cette gauche convertie au libéralisme qui les a opposées. Je pense à ce néo-féminisme qui revendique le droit de toutes les femmes à intégrer le camp des exploiteurs, à ce dogmatisme pro-immigration dont la première victime est le migrant lui-même, travaillant pour un salaire de misère dans l'irrespect total du droit du travail et autres absurdités qui n'intègrent nullement le social, ou quand elles cherchent à l'intégrer, c'est uniquement pour réaliser un agglomérat d'individualités sans que jamais se dessine une réflexion systémique, un raisonnement en termes de collectif, bref en termes de "classes".
Ces mots raviront probablement les gens se considérant comme de "droite". Il y en a beaucoup qui sont des admirateurs de
Michéa et jubilent sur son aspect "conservateur". Mais son conservatisme n'est qu'un petit instant, essentiel certes, dans sa critique radicale du capitalisme. Les soi-disant libéraux conservateurs peuvent circuler, il n'y a rien pour eux. Car, oui,
Michéa est un socialiste authentique qui démasque l'opposition factice du libéralisme économique et du libéralisme culturel. Ces deux libéralismes ne sont que les deux faces de la même médaille, et c'est peut être là le principal à retenir de
Michéa.
Dans la continuité de ses précédents ouvrages, ce dernier point est développé dans son dernier livre à l'aune des dernières dérives du capitalisme. L'extension du capitalisme va au-delà du domaine économique pour s'attaquer au culturel, à l'intime et à l'anthropologique. le capitalisme est un "fait social total", il a atteint son "état chimiquement pur" et se cristallise chez ces "agents dominés de la classe dominante", cadres CSP+, lobotomisés par Netflix, errant en monades déracinés, touristes dans leur propre pays et pour qui toute évocation de Marx est une hérésie d'un passéisme crasse.
Comme à son habitude,
Michéa décrypte à merveille les mécanismes sociaux économiques et culturels du capital auquel il oppose, dans la lignée d'Orwell, cette "common decency" ou ce bon sens populaire, héritage de milliers d'années de tradition qui résiste. L'anticapitalisme de
Michéa est d'abord et surtout un humanisme radical appelant au sursaut de la conscience, à renouer avec sa véritable nature et à élever son âme pour s'affranchir du consumérisme et du fétichisme de la marchandise.
Critiquez
Michéa, soyez en désaccord avec lui, opposez lui que la common decency n'est qu'un fantasme, mais lisez le bon sang !