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Tak-hwan Kim (Autre)Ki-jung Lee (Traducteur)François Blocquaux (Traducteur)
EAN : 9782360572540
286 pages
L'Asiathèque - maison des langues du monde (10/06/2020)
4.53/5   17 notes
Résumé :
Corée du Sud, 16 avril 2014 ; le naufrage du Sewol fait 304 victimes, pour la plupart des adolescents en excursion scolaire. Enorme scandale qui met en lumière des carences multiples, notamment dans l'organisation des secours. Ce drame et ses suites contribueront à la destitution de Park Geun-hye, alors présidente.

Le récit prend la forme d'une déposition écrite du narrateur - un plongeur professionnel - destinée à disculper un de ses collègues, accus... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Quand la plume est aussi acérée qu'une épée, aussi imposante qu'un obus, aussi précise qu'une balle tirée à bout portant. Quand des témoignages, réunis et structurés, permettent de faire exploser la vérité, de dégoupiller les rumeurs et de tuer toute forme d'indifférence et d'oubli. Quand un livre permet de réhabiliter des personnes, de leur offrir dignité et honneur. Quand un écrivain parle à la place de personnes bafouées, dont l'écrit ou l'oral n'est pas la culture, trop petites et démunies face à des monstres tels que le gouvernement ou la police, voire la société…

Voilà ce qu'est cette oeuvre « Les mensonges du Sewol » du coréen Tak-hwan Kim, aux superbes éditions l'Asiathèque. L'auteur a en effet pris la plume pour dénoncer, dire la vérité, réhabiliter. Guidé finalement par les mêmes questions que les plongeurs mis à l'honneur ici : est-ce bien et puis-je le faire ? Pour les plongeurs, ce fut une obligation morale d'aller remonter des cadavres afin que les familles puissent faire leur deuil, la réalité de la mort n'étant palpable qu'une fois le corps retrouvé et les funérailles terminées ; et en leur qualité de plongeurs, ils en étaient capables. de même l'auteur estime qu'il est de son devoir d'être solidaire des familles des disparus et des plongeurs, et il a ce talent d'écrivain. D'où ce roman. Roman magistral.

« Je ne veux pas que tout ce qu'ils ont fait, tous les dangers qu'ils ont rencontrés, tous les risques qu'ils ont pris, tous ces moments dramatiques, tombent dans l'oubli ».

« Lisez avec le coeur et indignez-vous avec la tête ! ». Oui, mon coeur déborde et se serre, ma tête s'indigne, après lecture de ce livre engagé et vibrant, véritable hommage, défendant des plongeurs coréens qui, au péril de leur vie, sont allés repêchés les cadavres de personnes après le naufrage du Sewol, ferry sud-coréen assurant la liaison entre Incheon et l'île de Jeju, le 6 avril 2014. Il transportait 476 personnes dont 325 lycéens. Ce naufrage a provoqué la mort de 304 personnes dont 293 retrouvées. Parmi les 304 défunts essentiellement ces lycéens alors en voyage scolaire.

Après cette tragédie, les plongeurs, habituellement taiseux sur leurs missions et tenus par des clauses de confidentialité, ont été maladroits, brutaux, parfois sanguins et volcaniques, bref ils ne maitrisaient pas les codes de la communication. L'auteur se fait ainsi leur porte-parole et donne parole à un des plongeurs, Na. A l'origine ce qui motive Na est de s'opposer à l'inculpation d'un de ses collègues, rendu responsable de la mort d'un des plongeurs. Il écrit donc au juge. Mais c'est aussi l'occasion pour lui d'expliquer le contexte, les interrogations, les incompréhensions, et surtout la recherche, à plus de 60 mètres de profondeur, de cadavres de lycéens…Les passages consacrés à cette recherche sont édifiants, terrifiants, superbement décrits. Comme l'explique Na, repêcher des cadavres signifie se faufiler dans les dédales du bateau en pleine obscurité, éviter les nombreux obstacles dangereux qui gênent la progression, entrer dans les petites cabines, puis, si un corps est trouvé, le prendre en l'étreignant afin de ne faire qu'un avec lui pour se faufiler de nouveau vers les sorties : « Derrière le lit, je distingue des corps. J'enfonce mon bras plus avant et, en tâtonnant, devine la situation. Dans ce réduit, des garçons se tiennent embrassés. Jong-hu et trois autres lycéens ont vécu là leurs derniers instants. En touchant leurs épaules et leurs mains entrelacées, je pleure à chaudes larmes ».
L'auteur mettra ensuite à l'honneur l'indignation, les séquelles parfois irréversibles, tant physiques (ostéonécrose, migraines, maux de dents, tremblements, déchirements musculaires, tendinites) que psychologiques (hallucinations, dépressions, haptophobie…).

A cette narration, s'entremêlent des chapitres dédiés aux « voix du 16 avril », témoignages de protagonistes divers dont l'auteur souhaite conserver trace : parents de rescapés, parents d'enfants décédés, médecins, kiné, psychologue, fiancée de Na avec laquelle il devait se marier : « Dans le face-à-face avec ces interviewés, j'avais l'impression d'être dans une caverne sombre et humide, un nouveau Jonas dans le ventre de la baleine ».

Que dénonce plus précisément ce livre qui a permis, entre autres, de destituer le gouvernement coréen de l'époque ?

- La gestion des premières heures du drame tant sur le bateau où on a imposé aux élèves de ne pas bouger et de rester enfermés dans leurs cabines, qu'au niveau des secours : seuls 8 plongeurs peu expérimentés ont tenté de remonter des survivants les 72 premières heures, délai au-delà duquel il est vain d'espérer de retrouver des survivants du fait de la présence de poches d'air. Or les informations officielles faisaient état de 500 plongeurs. Enorme mensonge alors que les négligences et les retards, la gestion calamiteuse des secours, expliquent ce naufrage et surtout le nombre de victimes. « Les ministres, la police, les journalistes, tout ce beau monde a été défaillant et a manqué à ses devoirs. Au fur et à mesure que le temps passe, je me rends compte que seuls les plongeurs ont été efficaces ».


- le manque de suivi, de soutien et de respect vis-à-vis des plongeurs professionnels qui vont plonger deux à trois fois par jour au péril de leur vie et qui connaissent des conditions de travail dantesques, sans médecin ni psychologues sur la barge pour les épauler, barge sur laquelle directement ils dorment et mangent sans aucun confort. Leurs séquelles physiques et psychologiques vont s'avérer être catastrophiques alors que le gouvernement leur accorde juste quelques mois de soins remboursés après les avoir remerciés de façon irrespectueuse et brutale : « C'était l'hiver. On a eu l'impression d'être balancés, sans combinaison, dans une eau glacée ». de parfaits citrons les plongeurs : on les a pressés et à présent on jette ce qu'il en reste, cette sorte d'écorce rabougrie.

- Les rumeurs au sein de la population qui font dire que les plongeurs ont plongé uniquement pour l'argent gagné (5000wons par cadavre), le business des cadavres s'avérant ainsi juteux, les plongeurs laissant parfois exprès des corps afin de faire monter leurs primes au fur et à mesure des semaines écoulées. le cadavre devenant en effet une denrée rare, donc devant plus cher… rumeurs abjectes qui finissent de détruire les plongeurs. La société coréenne ne sait rien des plongeurs, ce livre permet de les éclairer.

Au-delà de la dénonciation, ce livre est très émouvant. La confrontation entre les plongeurs et les parents de victimes notamment est poignante. Les moments de recueillement près du lieu du naufrage pour les onze familles dont les enfants sont restés dans les profondeurs abyssales, sont déchirants. Les séquelles pour les plongeurs auxquelles nous assistons sont révoltantes ! Mais surtout, surtout, le respect qu'ont les plongeurs pour les défunts repêchés est magistralement traduit, tous les morts étant considérés dans leurs individualités et leurs caractéristiques. C'est comme s'ils prenaient vie sous la plume de Tak-hwan Kim.

L'auteur a magistralement réussi à ce que l'on n'oublie jamais et les défunts et les plongeurs. Notamment ce plongeur, Na, qui s'est suicidé peu de temps après.

le printemps arrive, la fleur s'ouvre.
La fleur s'ouvre, je suis triste.
Bien cruel est ce printemps.


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On sort abasourdi de ce roman au service de la vérité ! Kim Takhwan, pour qui « La vérité ne se révèle que dans les profondeurs », nous plonge corps et âme dans les limbes du naufrage du Sewbol, que la manipulation médiatique a noyé sous les mensonges. Vous avez peut-être entendu parler de ce ferry sud-coréen, chaviré le 16 avril 2014 avec 476 personnes dont 325 lycéens et professeurs, provoquant 304 morts, dont 5 corps non-retrouvés. Une brusque manoeuvre l'aurait retourné à cause d'une importante surcharge. Oui, le profit l'a encore emporté sur des vies humaines. Mais un naufrage près des côtes avec un sauvetage bien organisé n'aurait pas dû faire autant de victimes. Les informations répétaient que le gouvernement déployait plus de 500 plongeurs pour porter secours aux passagers. le narrateur, Na Kyong-su, était l'un d'eux. Pourtant lorsqu'il arrive sur les lieux 5 jours après le naufrage, du 20 avril au 10 juillet, ce n'est plus pour sauver des vies mais pour ramener les corps aux familles. Et ce qu'il découvre sur place le crucifie : Une équipe de 8 plongeurs seulement qu'il trouve à l'épuisement. Pourquoi l'Etat n'a pas dépêché l'armée des 550 promis pour sauver ces vies ? Peut-être parce que sa Présidente fut introuvable durant les 7 premières heures… Dans ces conditions, l'inculpation d'un collègue pour homicide par négligence après la mort d'un plongeur est la goutte d'eau qui fait déborder l'océan : Na Kyong-su écrit au juge pour le disculper, et incriminer l'organisation par les autorités. Son récit est le témoignage édifiant de ce que les plongeurs ont vu, entendu, vécu et subi. Pour l'écrire, l'auteur s'est rapproché de l'un des véritables plongeurs appelé sur ce drame. C'est leur histoire qu'il raconte. Une histoire d'épave et de gentils fantômes, qui les hantent tellement que le vrai plongeur s'est suicidé après avoir raconté son histoire.


Dans sa lettre au Juge, plaidoyer de presque 300 pages qui convoque de nombreux témoignages d'acteurs et de victimes du drame, Na Kyong-su rapporte ce que les informations officielles ont camouflés. A qui profite le crime ? Aux investisseurs et aux dirigeants, qui se glorifient d'avoir fait tout ce qu'ils ont pu alors qu'ils ont tout fait pour que personne n'en réchappe. Une vérité effroyable qui brise exceptionnellement l'omerta de cette armée de plongeurs professionnels exhortés au silence, écoeurés du système mais qui, pourtant, ont donné toutes leurs forces dans des conditions épouvantables pour que les âmes errantes des noyés puissent remonter à la surface, dire au revoir aux vivants. « Que ceux qui ne se sentent pas capables d'étreindre des cadavres et de les ramener jusqu'ici lèvent la main », les accueille-t-on. Des jours durant dans l'eau glaciale de l'océan, ils oscillent entre une surface truffée de mensonges et des profondeurs mortifères, naviguent entre les algues et les parois instables du navire, luttent à 40 mètres de profondeur dans des courants incroyables, cherchant les corps, leur parlant pour que leurs âmes les suive, se faufilent entre les bagages mouvants et les couvertures s'enroulant autour d'eux comme des méduses ; ils remontent avant de mourir de fatigue, respirent puis retournent, encore et toujours, danser sous les vagues, rejoindre les profondeurs marines noires comme les mines, où règne le silence des morts que l'on aurait pu, que l'on aurait dû éviter.


« Si vous avez réussi à sortir un corps, ne le laissez surtout pas échapper car vous ne le reverrez jamais ». Ce roman est un hommage au sacrifice de ces héros. « Nos idées noires, nos chagrins, c'est à nous, les plongeurs, de les gérer, en solitaires. Avec qui d'autre pourrions-nous partager le côté dramatique de cette étrange étreinte ? » C'est aussi une condamnation de la manière dont a été traité ce drame par les autorités, tant au niveau du sauvetage que de la manipulation des informations et du public. C'est enfin la dénonciation du traitement infligé aux plongeurs, au mépris de leur santé physique et mentale à long terme. « Les cheveux du corps ondulent, me masquent la vue et réduisent à zéro une visibilité déjà très mauvaise. J'ai l'impression d'être étouffé, étranglé. Puis, un visage apparaît à hauteur de mes yeux et s'immobilise. Nous voilà face à face. Les yeux clos, la noyée semble dormir paisiblement. J'ai hâte de la ramener à sa famille qui l'attend. » Une incroyable plongée au coeur d'un désastre humain. Comme pour le Bateau-usine, je me dis que l'inhumanité n'a aucune limite lorsqu'il s'agit de pouvoir et d'argent. « D'un côté des plongeurs dévoués corps et âmes à la recherche des disparus, de l'autre un état qui se réfugie derrière des phrases »… le narrateur répète que le mot obscurité est insuffisant pour décrire la noirceur des profondeurs. Que dire de la noirceur des âmes humaines à l'origine de ce drame…?
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« le printemps arrive, la fleur s'ouvre.
La fleur s'ouvre, je suis triste.
Bien cruel est ce printemps.

Au printemps, les fleurs sont splendides, mais il suffit d'une brève pluie pour les faire tomber. »

Au moment même où je m'apprête à écrire ma critique, mes pensées s'entrechoquent. Comment exprimer mon ressenti après une telle lecture ?
J'ai commencé ce livre en août, après la bouleversante critique de HordeduContrevent, et je n'ai pas pu. Après seulement quelques pages lues, je l'ai refermé, envahie par mes émotions, préférant repousser cette lecture à plus tard, attendre un meilleur moment.
Cette histoire ne m'a pas quittée pendant ces trois mois où je l'ai laissée de côté, je savais que lorsque je la reprendrai, j'écouterai jusqu'au bout, ce précieux témoignage.

*
« Les mensonges du Sewol » est un livre choc, un livre coup de poing, un livre poignant. Je n'ai pas de mots suffisants pour exprimer mon ressenti de lectrice. Tout un tas d'émotions fortes m'ont envahie durant ma lecture, de la colère à l'écoeurement, en passant par la tristesse, la compassion. A certains moments, les larmes n'étaient pas loin.

Les étoiles que l'on met pour exprimer nos avis ont ici, un caractère puéril, indécent, voire irrespectueux car dans ce livre, il est question de centaines de vies humaines gâchées par l'irresponsabilité d'un armateur, l'incompétence de l'équipage, la lâcheté du capitaine qui a abandonné son navire, les graves manquements du gouvernement, la négligence des garde-côtes, les défaillances quant à l'organisation des secours.

Ce livre est le témoignage de Na Kyong-su, un des plongeurs professionnels qui a accepté de risquer sa vie pour remonter les corps des victimes piégées dans leur cabine.
Raconté simplement, ce témoignage n'en est que plus percutant et bouleversant.

« Quand je suis arrivé sur la barge, la première nuit, je me suis demandé comment je réagirais devant le corps d'un élève noyé dans ce chenal. En fait, ce cadavre trouvé, une seule pensée m'habite, celle de le sortir de là au plus vite pour le rendre à sa famille. Mes larmes commencent à couler. »

*
Le 16 avril 2014, le Sewol sombre dans le chenal de Maenggol, emportant avec lui 304 victimes, dont plus de 250 lycéens, partis en voyage scolaire.
Les causes du drame restent encore aujourd'hui confuses, mais le profit, la corruption, le mépris des règles de sécurité pourraient expliquer cette tragédie.

*
Des plongeurs professionnels vont alors se proposer pour aider les secours.
Ils seront en première ligne pour retrouver les victimes noyées dans les entrailles du ferry sud-coréen.
Malgré leur professionnalisme et leur expérience des plongées à haut risque, ces hommes aguerris et fiers vont plonger sachant pertinemment qu'ils mettent en péril leur santé et leur vie.

« Déjà sur la barge, la violence de la houle m'inquiétait. Au fond, le courant est bien plus rapide que ce à quoi je m'attendais. J'ai dit courant rapide. En fait, je me trouve à l'horizontale, comme un drapeau flottant au vent. Si je ne me cramponne pas à la corde, je serai emporté. Si je me raidis, je luxerai mes dorsaux et tordrai ma colonne vertébrale. »

Lors d'une plongée, ce sera l'accident et un des leurs décèdera.
Ce sera l'incompréhension et la consternation lorsqu'un d'entre eux sera rendu responsable de la mort de son collègue, accusé de négligence, de faute professionnelle et d'homicide involontaire.
Tenus au devoir de réserve, ses hommes ont offert leurs compétences, se sont investis au-delà de leurs limites physiques et psychologiques sans jamais se plaindre, considérant leur engagement de retrouver tous les corps comme un devoir moral envers les familles.

Le gouvernement en qui ils avaient une totale confiance, les a hypocritement utilisés, puis laissés tomber comme une vieille chaussette. Certains d'entre eux décident alors de ne plus se taire et de raconter.

*
L'auteur Kim Takhwan relate avec beaucoup d'humilité et d'humanité ce drame, se mettant au service des plongeurs pour dénoncer tous les mensonges qui ont entouré le naufrage, l'irrespect infligé aux plongeurs, l'attitude scandaleuse et honteuse du pouvoir en place, la vision étriquée de l'opinion publique, l'indécence des journalistes.
Comment ne pas ressentir de la colère face aux injustices dont ils ont été l'objet ?

Le récit prend la forme d'un long réquisitoire sous forme de lettres adressées au juge du tribunal de Séoul dans laquelle le narrateur, Na Kyong-su, tente de disculper son collègue.
Son récit est entrecoupé d'entretiens, de témoignages avec des proches des victimes, des rescapés, des parents endeuillés, des plongeurs, des pêcheurs, des journalistes, certains Coréens exprimant leur opinion méprisante sur cet événement douloureux.

*
Na Kyong-su se remémore la descente vertigineuse dans les profondeurs, les courants violents dans la passe, la visibilité quasi-nulle, la difficile recherche des cadavres dans l'épave, la remontée des corps.

« Une fois sous l'eau, je porte mon regard vers le haut et j'aperçois une flaque de lueur pâle qui s'estompe. Comment décrire cette sensation d'être chassé de la lumière du soleil ? Dire "obscurité" ne suffit pas. Même en plein air, cette impression perdure, celle d'une solitude. A croire que le chatoiement et le scintillement de la surface de la mer sous un soleil de printemps n'ont jamais existé. »


Il dénonce leurs conditions de travail éprouvantes, indignes.
Il décrit les maladies professionnelles auxquelles ils ont dû faire face après ces mois de plongées, les graves traumatismes dont ils sont encore victimes.
Il se révolte contre toutes les accusations mensongères et injustifiées, les stratégies de manipulation de l'opinion publique pour empêcher les gens de comprendre la responsabilité du gouvernement dans cette catastrophe.

*
J'ai été émue par le sacrifice de ces hommes, leur solidarité, leur humanité, leur silence.
J'ai été touchée par le choix des mots. Les moments les plus glauques, la découverte d'un corps, sont aussi des moments magnifiques. Vous ne trouverez aucune description sordide de l'état des corps, seulement du respect et de la compassion. Na Kyong-su parle à ces enfants, les manipulant avec douceur et humilité.

« Les cheveux du corps ondulent, me masquent la vue et réduisent à zéro une visibilité déjà très mauvaise. J'ai l'impression d'être étouffé, étranglé. Puis, un visage apparaît à hauteur de mes yeux et s'immobilise. Nous voilà face à face. Les yeux clos, la noyée semble dormir paisiblement. »

J'ai été indignée par certains témoignages, la bêtise des gens qui se laissent manipuler par les médias sans aucune réflexion.
J'ai été dégoûtée par l'attitude du gouvernement.
*
« Les mensonges du Sewol » est un récit bouleversant sur le courage de ces hommes simples qui ont plongé parce que c'était leur devoir.
A découvrir.
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Le 16 avril 2014, le Sewol, ferry reliant Incheon à l'île de Jeju, sombre quelques heures après avoir quitté le port. A son bord, 476 passagers, dont 325 sont des lycéens de la ville de Ansan. Dès l'annonce du naufrage, des pêcheurs, des bateaux commerciaux, la marine nationale et les garde-côtes se rendent sur place et sauvent 172 passagers. Car sur le bateau, ordre a été donné aux lycéens de rester dans leur cabine. Les canots de sauvetage n'ont pas été mis à l'eau. L'équipage n'a pas su gérer la crise. Pour les parents, l'espoir demeure de retrouver leurs enfants vivants, protégés par le système de cloisonnement du bateau et les possibles poches d'air. Mais aucune décision n'est prise pour des recherches sous-marines. le gouvernement annonce la présence de cinq cents plongeurs sur les lieux mais il n'en est rien. Quand, trois jours après le drame, une équipe réduite de plongeurs privés commencent les recherches dans des conditions périlleuses, ils savent tous qu'ils sont là pour remonter les corps sans vie des lycéens d'Ansan.
La catastrophe provoque une onde de choc en Corée du sud. Comment un tel drame a-t-il pu se produire ? Qui est responsable ? L'armateur qui n'a pas respecté les capacités de chargement du ferry ? le capitaine qui a commis une erreur de navigation ?
Mais des questions se posent aussi sur le sauvetage. Pourquoi la Corée a-t-elle refusé l'aide internationale ? Pourquoi les secours officiels n'ont-ils pas été mobilisés immédiatement ? Pourquoi l'équipage a-t-il demandé aux passagers de ne pas quitter leurs cabines ?
Autant d'interrogations sans réponses ou plutôt une multitude de réponses qui ont mis à jour un système de corruption, d'impréparation, d'incompétence…

Comme tous ses concitoyens, l'écrivain Tak-Hwan Kim a été profondément touché par ce drame. Et il a lui aussi cherché des réponses, en interrogeant les parents des victimes, les avocats, les journalistes, mais aussi les citoyens lambda parfois exaspérés par les manifestations de colère des parents endeuillés. Et, surtout, il s'est intéressé au sort des plongeurs envoyés sur les lieux pour remonter les cadavres.
Son ‘'roman vrai'' prend la forme d'une longue lettre adressée à un juge d'instruction par un plongeur pour disculper un collègue et ami accusé d'homicide involontaire, suite au décès accidentel d'un plongeur surmené et surexploité. Ce plongeur, renommé Na Kyong-su, livre dans un touchant plaidoyer sa version d'une opération qui n'avait plus rien d'un sauvetage. Contrairement aux déclarations de l'Etat qui estimaient leur nombre à plus de cinq-cents, ils étaient huit. Huit volontaires qui ont plongé jour et nuit, sans respect des temps de repos, dans des conditions périlleuses aggravées par la profondeur du site, les vifs courants marins, l'obscurité et les pièges d'un bateau sens dessus dessous. Accusés de vénalité, ils ont non seulement mis leur vie en danger, mais aussi leur équilibre psychologique en côtoyant ces cadavres d'enfants, cette jeunesse sacrifiée. Et s'ils ont eu le sentiment du devoir accompli et la reconnaissance de parents soulagés de pouvoir enterrer leurs enfants, ils ont été abandonnés par l'Etat. Plonger en eau profonde n'est pas sans conséquence pour la santé et aucun ne s'en est sorti sans d'importantes séquelles. Les soins, longs et coûteux, n'ont été pris en charge que durant cinq mois. Démunis, amoindris physiquement, détruits psychologiquement, ils ont été sacrifiés sur l'autel de l'économie, de la loi et de l'envie des gouvernants d'oublier le naufrage et ses conséquences.
Avec Les mensonges du Sewol, Tak-Hwan Kim signe un roman coup de poing, émouvant et révoltant. Au-delà du drame, il raconte les failles d'un pouvoir qui n'a pas su prendre soin de ses enfants. La catastrophe a mis en lumière des défaillances, des collusions entre politique et industrie et a contribué à déstabiliser une présidence déjà mise à mal par des accusations de corruption et d'autoritarisme. C'est dans les moments de crise qu'on juge un gouvernement et celui de Geun-hye Park n'a pas été à la hauteur, ni sur le moment, ni pour gérer l'après.
Un livre nécessaire, pour les Coréens, mais aussi pour le monde car nul n'est à l'abri d'un tel évènement, imprévu mais évitable.

Un grand merci aux éditions de l'Asiathèque et à Pascaline Siméon pour cette lecture éprouvante et essentielle.
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Comment noter un livre qui pour moi est allé bien au-delà du coup de coeur ? Cela me paraît presque futile, au regard du sujet qu'il évoque, des interrogations qu'il soulève, et de la force du témoignage, d'une incroyable véracité, d'une humanité désolante, confrontée à la plus ingrate indifférence envers les vies humaines sacrifiées lors de ce naufrage du Sewol dans le chenal du Maenggol, le 16 avril 2014, il y a maintenant sept ans. Les faits sont d'une cruauté glaçante : le ferry surchargé transportait 476 personnes, dont seules 172 ont été sauvées. Une partie de l'équipage s'est enfuie, après que l'on a donné aux passagers la consigne de ne pas bouger de leurs cabines et des couloirs où ils devaient attendre les secours. Secours qui ne sont jamais arrivés, car le bateau n'a pas été approché avant le 19 avril - lorsque les équipes de plongeurs sont intervenues, c'était pour retrouver des morts (le délai de survie est fixé légalement à 72 heures). Parmi ces morts, de nombreux lycéens qui effectuaient un voyage scolaire sur l'île de Jeju, qui n'ont commis comme seule erreur que d'obéir à la consigne de rester dans les étages inférieurs, et se sont noyés lorsque le navire s'est incliné à 90 degrés.

Pour être claire, je défie quiconque de commencer ce livre et d'arriver à s'arrêter avant la fin. C'est un documentaire poignant, dans lequel l'auteur a pris le parti de mêler les souvenirs d'un plongeur en partie fictif, Na Kyong-su (en coréen, le nom de famille est placé devant), et les "voix du 16 avril", différents témoignages que l'auteur avait réunis pour un podcast. Il s'inspire en grande partie de l'expérience véridique du plongeur Kim Kwan-hong, mais le portrait qu'il dresse et romance légèrement est si saisissant que j'en ai fini par confondre le plongeur réel et le plongeur fictif.

L'auteur a fait un choix très pertinent qui confère une densité rare aux événements : nous suivons l'intervention des plongeurs privés, réquisitionnés pour aller chercher les corps dans le navire, opération périlleuse, car le passage est étroit, encombré par les objets renversés lors du naufrage - pour sortir un corps, il faut le serrer dans ses bras, dans une étreinte éperdue, ne surtout pas le lâcher, en une heure environ, car les courants s'inversent avec les marées, et ceux du chenal sont particulièrement puissants. Ajoutez à cela que la visibilité est quasi-nulle, et surtout que les plongeurs officient deux à trois fois par jour, sans journées de repos (ils sont en nombre insuffisant), sans médecin ni kiné, sans caisson de récupération, et dans un confort tout relatif. Comme si ces dangers et la douleur atroce de remonter des enfants morts, ou de ne pas arriver à les remonter ni à les trouver, ne suffisaient pas, un plongeur nouvellement arrivé dans l'équipe meurt dans un accident, et le chef bien-aimé des plongeurs, Lyu Chang-dae, est accusé de négligence et inculpé pour homicide involontaire.

Face à cette injustice, Kyong-su prend la plume pour écrire une longue déposition adressée au juge, relate les faits entre son arrivée sur la barge le 21 avril et le message sans remerciement qui les congédie le 9 juillet, alors qu'il reste des disparus à retrouver. Les faits vécus sont sans commune mesure avec les mensonges officiels et la désinformation ; les plongeurs, qui n'en demandent pas tant, sont soit portés aux nues soit vilipendés et accusés de s'enrichir aux frais des contribuables. Pourtant, la réalité est que de l'équipe, tous subiront de gravissimes pathologies, alors même que l'Etat décide au bout d'un an de ne plus rembourser leurs soins. Loin de se plaindre, Kyong-su cherche à se faire pardonner des familles, il noue des liens, et se bat pour faire connaître la vérité de l'affaire. le récit nous apprend aussi l'après, pour les familles, les policiers, les rescapés...

En plus de nous gratifier de scènes d'une beauté terrifiante, où l'amour des profondeurs côtoie la mort, où le travail et la passion d'une vie aboutissent à des visions de cauchemars, de couloirs et cabines sous les eaux, d'enfants noyés, d'objets flottants, le tout dans des ténèbres silencieuses, presque un autre monde déjà... Mais nous apprenons aussi de l'éthique de Kyong-su/Kwan-hong, qui nous donne à voir le courage d'un homme simple, qui dans toute situation se pose deux questions : est-ce que je dois le faire ? est-ce que je peux le faire ? - puis prend sa décision et s'y tient, quel que soit le risque encouru. Que devons-nous sacrifier, et jusqu'où, pour vivre en accord avec la vérité et la justice ? L'écriture enfin est toute de simplicité et de naturel, ramassée telle un fauve prêt à bondir. Je ne peux qu'engager les lecteurs à découvrir ce livre qui nous maintient en apnée, et dont il est difficile de revenir.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Déjà sur la barge, la violence de la houle m’inquiétait. Au fond, le courant est bien plus rapide que ce à quoi je m’attendais. J’ai dit courant rapide. En fait, je me trouve à l’horizontale, comme un drapeau flottant au vent. Si je ne me cramponne pas à la corde, je serai emporté. Si je me raidis, je luxerai mes dorsaux et tordrai ma colonne vertébrale.
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Les cheveux du corps ondulent, me masquent la vue et réduisent à zéro une visibilité déjà très mauvaise. J’ai l’impression d’être étouffé, étranglé. Puis, un visage apparaît à hauteur de mes yeux et s’immobilise. Nous voilà face à face. Les yeux clos, la noyée semble dormir paisiblement. J’ai hâte de la ramener à sa famille qui l’attend.
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Une nuit, il m’avait demandé quel était le charme de la plongée en eaux profondes. Je lui avais répondu en posant mon poing sur la poitrine : Tu entends ce que ton cœur te dit. Les oreilles ne te servent à rien. Tu écoutes à travers tout ton corps. 
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Tout le monde avait des problèmes physiques. La plongée, surtout celle en eaux profondes, est une activité à haut risque. On explorait la coque deux à trois fois par jour. Ce n’était pas une balade touristique avec les poissons multicolores. Au contraire, il fallait se contorsionner, éviter des obstacles de toutes sortes, solliciter les muscles à tout instant, faire face à des situations inattendues. L’excès d’azote provoque une nécrose des os. Quand on découvrait des cadavres, il fallait les remonter, bien sûr. Je n’ai pas vu un seul plongeur s’endormir paisiblement quand je le massais. Au bout de cinq minutes, ils se réveillaient en sursaut. Quelques-uns pleuraient dans leur sommeil et criaient.
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Les familles se précipitaient, soulevaient les linceuls, scrutaient les visages qu’ils avaient du mal à identifier n’ayant jamais vu de noyés, palpaient bras et jambes, examinaient le dos et le ventre, à la recherche d’un grain de beauté ou d’une cicatrice. On n’entendait que des cris de désespoir et des gémissements.
Et les photographes mitraillaient. Tout était bon : visages, corps, bras, jambes, torses, ventres, familles en pleurs à côté d’un cadavre, cadrées serré pour rendre la photo plus dramatique. Ils étaient parfois plus près du mort que les parents eux-mêmes. Ils savaient pourtant que les photos des morts ne seraient pas publiées mais la pression de leur rédac’ chef et la concurrence entre eux étaient telles qu’ils appuyaient quand même sur le déclencheur pour prouver leur compétence, terrorisés à l’idée de passer à côté de quelque chose d’important.
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