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Sylvia Bénichou-Roubaud (Traducteur)Paul Bénichou (Traducteur)
EAN : 9782070327041
352 pages
Gallimard (22/05/1992)
4.38/5   39 notes
Résumé :
On reconnaît, dans ces Enquêtes, la même substance dont sont faites les célèbres nouvelles de Fictions, les mêmes thèmes sur lesquels l'auteur exerce sans fin son esprit : la multiplicité du monde, ses pièges et ses détours, l'irréalité du moi, l'inconsistance du temps, l'obscurité de l'être, les paradoxes de toutes sortes de l'univers.
Mais on y trouve en outre une curiosité ouverte et multiple, une intuition parfois étonnamment concrète des êtres auxquels i... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Publié dans un premier temps en 1952, puis dans sa version définitive établie par Borges pour ses « Oeuvres complètes » en 1974, « Enquêtes » est un recueil atypique de l'auteur argentin dans le sens où il ne contient pas de nouvelles comparables à celles de ses recueils les plus célèbres, « Fictions », « l'Aleph » ou le « Le livre de sable ».

« Enquêtes » recèle les thèmes spéculatifs chers à l'auteur argentin, mais se présente avant tout comme une multiplication d'hommages rendus aux génies de la Littérature. Borges revient avec l'ironie et la faconde qu'on lui connaît, mais également avec une forme de tendresse et de sensibilité nouvelle, sur les auteurs qui ont façonné son imaginaire. « Enquêtes » est ainsi un recueil très littéraire qui propose, pour l'essentiel, de courts textes, aussi érudits que percutants, consacrés à Pascal, Quevedo, Cervantes, Valéry, Oscar Wilde, Chesterton, Wells et d'autres encore.

Pour rendre la couleur de ce recueil qu'il est très difficile de chroniquer au sens classique du terme, j'ai choisi de proposer le texte qui suit. Il s'agit d'un pastiche du texte « Sur Oscar Wilde », écrit en 1946 et figurant dans l'édition définitive d'« Enquêtes ». Il mêle des collages du texte original omettant les parenthèses d'usage avec une prose personnelle, et substitue à l'hommage rendu à Oscar Wilde un hommage imaginaire à l'intention de Jorge Luis Borges.

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Mentionner le nom de Borges, c'est nommer un dandy des lettres argentines qui aurait aussi été poète, c'est évoquer l'image d'un monsieur tout entier consacré au dessein d'étonner par son érudition remarquable et son inclination pour le vertige métaphysique associé à la révélation soudaine d'un temps et d'un espace infinis.

C'est aussi évoquer la conception qui fait de la littérature un jeu choisi et secret. C'est évoquer la terreur existentielle du XXème siècle, et le vide affolant d'un monde abandonné par la transcendance.

Aucune de ces évocations n'est fausse mais j'affirme qu'elles ne correspondent toutes qu'à des vérités partielles et qu'elles contredisent, ou négligent, une réalité insoupçonnée et profonde.

Examinons, par exemple, l'idée selon laquelle Borges aurait été une sorte de prestidigitateur littéraire, un adepte froid des jeux de l'esprit. Elle s'appuie sur une accumulation des univers jouant avec la notion vertigineuse de l'infini.

Dans « La Bibliothèque de Babel », paru en 1949, il imagine une bibliothèque qui contient dans ses salles hexagonales éternelles toutes les variations possibles de 25 caractères typographiques dans des livres de 410 pages de 40 lignes de 80 caractères. Elle est infinie, car elle est cyclique et se répète sans cesse.

Dans « Le livre de sable », paru en 1975, il imagine un livre dont le nombre de pages est exactement infini. Aucune n'est la première, aucune n'est la dernière.

Si « La Bibliothèque de Babel » était infinie au sens où elle contenait tous les livres, elle est détrônée par un seul livre qui est infini et contient tous les livres.

Ces deux nouvelles tendent à accréditer le présupposé selon lequel Borges ne serait qu'un adepte sans âme de jeux littéraires intégrant froidement la notion d'infini, que le lecteur ne sait appréhender sans ressentir une forme de vertige.

J'affirme que derrière le masque du magicien des lettres, de l'écrivain féru des jeux des miroirs, des labyrinthes aux méandres inextricables, des cercles dont le centre est partout et la circonférence nulle part, se dissimule le métaphysicien le plus authentique du XXème siècle.

L'obsession de Borges pour les thèmes tels que l'ubiquité, la frontière ténue qui sépare le rêve de la réalité, l'identité, la dualité ou la circularité n'est pas un jeu, elle traduit son inclination sincère pour l'invisible et sa quête d'une transcendance oubliée.

L'apparente froideur de ses textes est au fond une forme de pudeur qui tend à dissimuler la pureté de sa quête métaphysique.

La nouvelle « Les ruines circulaires », parue en 1940 nous conte l'histoire d'un mage qui rêve un homme et réalise au crépuscule de son existence, qu'il est lui-même le fruit du rêve d'un autre homme. Borges, le magicien, dessine ici un cercle qui se referme sans fin sur le rêveur qui réalise qu'il est aussi le rêvé d'un autre rêveur qui est également le rêvé d'un autre rêveur et ainsi de suite.

De prime abord, cette nouvelle peut se lire comme une nouvelle exploration de l'une des obsessions de l'auteur : la circularité. En multipliant les lectures, le lecteur assidu parviendra à s'affranchir du piège tendu par la pudeur de l'écrivain, à mesurer la profondeur et à saisir le véritable enjeu du texte. La circularité des ruines est un leurre. La nouvelle aborde le désir de paternité, l'enfantement, et la tendresse qu'un père éprouve pour son enfant.

Comme dans la « Lettre volée » d'Edgar Poe, tout le génie de Borges est d'invisibiliser le coeur de son propos en ne le dissimulant point, en le laissant sous nos yeux, d'une manière tellement évidente que nous ne le voyons pas.

Pour découvrir le véritable objet du texte, il faut lire ce qui est écrit au sens littéral : l'enfantement EST un rêve. La circularité évoque ce chiffon doré qu'agite le magicien pour attirer notre regard ailleurs tandis que se déroule son tour de magie. Je soutiens que « Les ruines circulaires » est avant tout un texte qui explore la mystique du désir d'enfantement.

Lorsqu'il apprend que son enfant est insensible au feu, le mage craint que celui-ci ne réalise qu'il n'est qu'un rêve. Il ne devrait pas se laisser emporter par cette crainte, tout enfant serait heureux d'apprendre qu'il est le rêve de ses parents. le texte procède alors d'une analogie biblique en punissant la crainte insensée du mage, qui périt par là où il a pêché, lorsqu'il réalise qu'il ne craint pas le feu, et qu'il est donc, lui-aussi, le rêve d'un autre.

En lisant et en relisant Borges, au cours des années, je remarque un fait que ses panégyristes ne semblent pas même avoir soupçonné : le fait élémentaire et facile à vérifier que Borges a presque toujours raison.

Comme Chesterton, comme Oscar Wilde, comme Pascal, Borges est un de ces bienheureux qui n'ont pas besoin d'être approuvés par la critique ni même parfois par le lecteur ; le plaisir que nous procure leur commerce est irrésistible et constant.

2023
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Borges le lecteur est autant sinon plus génial que le Borges écrivain. C'est un livre rempli de fins portraits de grands auteurs tels que Wilde, Hawthorne, Carlyle et Swift, agrémentés de nombreuses anecdotes passionnantes sur leur vie et de propos toujours pertinents. Érudition fantastique qui fait rêver n'importe quel lecteur.
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Recueil de conférences du grand maître argentin.
Quelques passionnants chapitres ("la fleur de Coleridge" , "les précurseurs de Kafka"), d'autres moins palpitants ("Le Temps de J. H Dunne") quant à celui intitulé "Les larmes du professeur Americo Castro" , là , énorme potentiel soporifique.
En revanche, les entretiens de Georges Charbonnier avec Borgès sont vraiment intéressants.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuits dans le livre des "Mille et une nuits" ? Que Don Quichotte soit le lecteur du "Quichotte" et Hamlet le spectateur d'"Hamlet" ? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages de fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou leurs spectateurs, pouvons aussi être des personnages fictifs. En 1833, Carlyle a noté que l'histoire universelle est un livre sacré, infini que tous les hommes écrivent et lisent et tâchent de comprendre, et où aussi, on les écrit.
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Le monde est, pour l'Européen, un cosmos, à l'intérieur duquel chacun est en accord intime avec la fonction qu'il exerce ; pour l'Argentin, le monde est un chaos. L'Européen et l'Américain du Nord jugent qu'un livre doit être bon, dès lors qu'il a mérité un prix quelconque ; l'Argentin admet qu'il puisse ne pas être mauvais, malgré le prix.
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Proposer aux hommes la lucidité dans une ère bassement romantique, dans l'ère mélancolique du nazisme et du matérialisme dialectique, des augures de la secte de Freud et des commerçants du surréalisme, telle est la mission méritoire qu'a accomplie (et accomplit encore) Valéry.
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Schopenhauer a déjà écrit que la vie et les rêves sont les feuillets d'un même livre : les lire en ordre, c'est vivre ; les feuilleter, rêver.
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Pourquoi sommes-nous inquiets que la carte soit incluse dans la carte et les mille et une nuits dans le livre des "Mille et une nuits" ? Que Don Quichotte soit lecteur du "Quichotte" et Hamlet spectateur d'"Hamlet "? Je crois en avoir trouvé la cause : de telles inversions suggèrent que si les personnages d'une fiction peuvent être lecteurs ou spectateurs, nous, leurs lecteurs ou spectateurs, pouvons être des personnages fictifs.
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