Version anarchopunk d'ouvrages sociologiques d'observation participante, comme l'Établi, de
Robert Linhart, la Culture du Pauvre de Richard Hogarth ou
À la Ligne de
Joseph Ponthus.
La dérision, l'ironie et le foutage de bordel y remplacent l'empathie avec le monde ouvrier, l'introspection, l'analyse et la proposition de solutions.
Le narrateur est ici, d'abord et avant tout, un guitariste d'un groupe punk, d'ailleurs durant ses heures de boulot, il se planque pour enregistrer sur son portable des riffs de guitare qu'il chante…
Quand on lui demande son nom, il n'hésite pas à répondre
Iggy Pop, se bidonnant parce que son chef, à des lieux de soupçonner l'existence de l'univers des Stooges et de l'Iguane, inscrit sans rechigner le nom sur son carnet.
Le lendemain :
« Bonjour Monsieur Pop, vous allez bien ?
Bien et vous ? Vous pouvez m'appeler Iggy si vous voulez. »
On rit à longueur de pages...mais pas que...Parfois on se demande si on ne doit pas pleurer.
Sous les facéties, l'excès et la déconnade permanente se cache une véritable analyse de notre société et de l'incommunicabilité qui s'y développe.
« "Tu dois toujours, et je dis bien toujours parce que sinon tu vas être dans le jus, prendre les rouleaux de papier toilettes discount, ce sont ceux qui partent le plus vite. Tu dois toujours prendre une palette de papier toilette discount et mettre les autres rouleaux qui manquent dessus."
J'étais à deux doigts d'éclater de rire. Toute cette mise en scène pour une histoire de PQ. Il ne manquait plus qu'un violoniste et on se serait pris dans les bras en jurant fidélité pour la vie adieu PQ. »
On n'est pas vraiment dans le monde du Bull Shit Job mais dans celui des emplois à la con où les tâches pour utiles qu'elles soient révèlent les absurdités du monde de la consommation à marche forcée.
«On m'explique le truc. Les moules et le fond de tarte sont congelés. J'ai juste à couper des fraises et à les placer en rosace. Ensuite je dois asperger le tout d'un liquide rouge (colorant sucré) à l'aide d'une espèce d'arrosoir.»
Histoire de deux univers qui se côtoient sans jamais se rencontrer :
« Y a quelques heures j'étais défoncé et en train de parler dans un anglais incompréhensible avec des Singapouriens. Dans le magasin on parle tous la même langue mais personne n'a l'air de capter ce que je raconte. Faut dire que j'ai la pâteuse et que si mon corps est bien présent, mon esprit, lui, est encore englué dans les souvenirs de ces quelques jours de concerts...»
À l'origine des CDD, Pôle Emploi, l'AFPA, les bilans de compétence, les lettres de motivation et autres stages pour retrouver l'estime de soi :
« Avec une conseillère Pôle emploi qui se nomme Mme Bâtard, le stress du premier rendez-vous n'existe pas ! On sait déjà que ça va mal se passer ! La boule au ventre a grimpé de quelques étages pour se stocker au niveau de la gorge. »
Quelques comparaisons pour rire et pour finir
Dans
l'établi de Robert Lhinard :
« Et il n'est pas rare de voir un nouvel embauché prendre son compte le soir même du premier jour, affolé par le bruit, les éclairs, le monstrueux étirement du temps, la dureté du travail indéfiniment répété, l'autoritarisme des chefs et la sécheresse des ordres, la morne atmosphère de prison qui glace l'atelier. »
Dans le travailleur de l'extrême :
« Je réclame des lunettes pour me protéger ainsi que des bouchons pour les oreilles (le bruit est insupportable. La patron me regarde avec des yeux de taré et me demande si je ne veux pas cent balles et un mars non plus.(…) Je me casse. »
Dans
À la ligne de
Joseph Ponthus :
« Demain
En tant qu'intérimaire
L'embauche n'est jamais sûre
Les contrats courent sur deux jours une semaine tout au plus
Ce n'est pas du
Zola mais on pourrait y croire On aimerait l'écrire le et l'époque des ouvriers héroïques
On est au xxre siècle
J'espère l'embauche
J'attends la débauche
J'attends l'embauche
J'espère »
Dans le travailleur de l'extrême :
« Yeah ! Génial ! Encore un contrat précaire. Un CDD de trois semaines au rayon liquides d'un grand supermarché. Nous sommes en septembre et c'est la période des foires au vin à la con. La magasin a besoin d'une main d'oeuvre d'appoint pour gérer tout ce joyeux bordel. »
Conclusion : Si vous voulez, rire lisez le Travailleur de l'extrême, si vous voulez pleurer lisez plutôt
L'établi ou
À la ligne.
Cela dit, je ne peux m'empêcher de citer cet extrait de la Culture du Pauvre qui montre que Äke Anställning n'est pas si loin que ça de la réalité :
« Selon Tocqueville, les sociétés démocratiques "énervent" plus qu'elles ne "corrompent" : les divertissements modernes détruisent la sensibilité à la racine, en sorte qu'il devient bien difficile au public de se reprendre et de s'apercevoir que le gâteau qu'on lui offre n'est que de la sciure de bois. »
Mon avis : Je recommande la lecture de ce livre