Citations de Édouard Louis (815)
Mon privilège c'était d'avoir connu la vie sans privilège.
Être transfuge de classe, c'est un impossible repos, une tension dont on ne se défait jamais totalement.
C'est étrange, parce que ton père était violent tu répétais obsessionnellement que tu ne serais jamais violent, que tu ne frapperais jamais aucun de tes enfants, tu nous disais: Je ne poserai jamais la main sur un de mes enfants, jamais de ma vie. La violence ne produit pas que de la violence. J'ai répété cette phrase longtemps, que la violence est cause de la violence, je me suis trompé. La violence nous avait sauvés de la violence.
Toute la journée avait été une fête.
Chez ceux qui ont tout, je n'ai jamais vu de famille aller voir la mer pour fêter une décision politique, parce que pour eux la politique ne change presque rien. Je m'en suis rendu compte, quand je suis allé vivre à Paris, loin de toi : les dominants peuvent se plaindre d'un gouvernement de gauche, ils peuvent se plaindre d'un gouvernement de droite, mais un gouvernement ne leur cause jamais de problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les pousse jamais vers la mer. La politique ne change pas leur vie, ou si peu. Ça aussi c'est étrange, c'est eux qui font la politique alors que la politique n'a presque aucun effet sur leur vie. Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne. Pour nous, c'était vivre ou mourir.
Il m'a dit qu'il était kabyle et que son père était arrivé en France au début des années soixante. [...] Son père avait été contraint d'aller vivre dans un foyer pour les émigrés de la banlieue nord de Paris, je ne sais plus dans quelle ville exactement, avec quelques vêtements sur lui et une poignée d'objets bourrés dans une petite valise, non pas parce qu'il n'avait rien, même s'il n'avait pas grand-chose, mais parce qu'il était interdit de s'installer avec plus d'affaires, comme si à la pauvreté s'ajoutait une sorte d'exigence de paraître-pauvre.
(p. 61)
Chaque jour était une déchirure; on ne change pas si facilement. Je n'étais pas le dur que je voulais être. J'avais compris néanmoins que le mensonge était la seule possibilité de faire advenir une vérité nouvelle. Devenir quelqu'un d'autre signifiait me prendre pour quelqu'un d'autre, croire être ce que je n'étais pas pour progressivement, pas à pas, le devenir (les rappels à l'ordre qui viendront plus tard "Pour qui il se prend ?").
La chambre de mes parents était éclairée par les réverbères de la rue. Les volets,usés par les années, le froid et la pluie du Nord, laissaient pénétrer une lumière faible permettant seulement d'apercevoir des ombres se mouvoir. La pièce sentait l'humidité, une odeur de pain rassis.La lumière filtrée permettait par ailleurs de voir la poussière volante, comme flottante, comme se mouvant dans un autre temps qui s'écoulerait plus lentement. Je passais des heures ainsi, immobile, à l'observer.
Quand la proviseure, Mme Coquet, m'a fait la proposition de tenter d'intégrer cet établissement, je n'avais jamais envisagé de passer le baccalauréat, encore moins en filière générale. Personne ne le passait dans la famille, presque personne dans le village si ce n'est les enfants d'instituteurs, du maire ou de la gérante de l'épicerie. J'en ai parlé à ma mère : elle savait à peine de quoi il s'agissait (Maintenant il va passer le bac l'intello de la famille).
Le crime n'est pas de faire, mais d'être. Et surtout d'avoir l'air.
Je pense qu'il faut moins considérer les livres comme un espace à l'intérieur duquel on peut se reconnaître que comme un espace de fantasme, et peut-être même se demander si ce n'est pas le vrai pouvoir qu'ont les grands livres, le fantasme, au sens d'une erreur dans l'identification qui produit des effets sur la réalité.
in Retour à Reims, Didier Eribon, Précédé par un entretien avec Edouard Louis
Je me sens tellement éloigné des écrivains qui racontent leur découverte de la littérature à travers l’amour des mots et de la fascination pour la vision poétique du monde. Je ne leur ressemble pas. J’écrivais pour exister.
Affirmeriez-vous que vos actes sont imputables à des contraintes extérieures ou avez-vous la sensation que seul votre libre arbitre était en jeu dans cette affaire ?
J’ai compris que d’avoir regardé pendant toute mon enfance la télévision sept, huit heures par jour, m’inscrivait dans une histoire particulière, l’appartenance au monde des déshérités, des pauvres, de ce que les riches voient de l’extérieur comme des enfances perdues. J’ai compris que pour eux étudier aussi naturel que de ne pas étudier chez nous.
Tu étais autant victime de la violence que tu exerçais que de celle que tu subissais.
les dominants peuvent se plaindre d'un gouvernement de gauche, ils peuvent se plaindre d'un gouvernement de droite, mais un gouvernement ne leur pose jamais de problèmes de digestion, un gouvernement ne leur broie jamais le dos, un gouvernement ne les pousse jamais vers la mer.La politique ne change pas leur vie, ou si peu.Ca aussi c'est étrange, c'est eux qui la font la politique alors que la politique n'a presque aucun effet sur leur vie. pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde. pour nous c'était vivre ou mourir.
Nous n'étions pas les plus pauvres. Nos voisins les plus proches, qui avaient moins d'argent encore, une maison constamment sale, mal entretenue, étaient l'objet du mépris de ma mère et des autres. N'ayant pas de travail, ils faisaient partie de cette fraction des habitants dont on disait qu'ils étaient des fainéants, des individus qui profitent des aides sociales, qui branlent rien. Une volonté, un effort désespéré, sans cesse recommencé, pour mettre d'autres gens au-dessous de soi, ne pas être au plus bas de l'échelle sociale.
Est-ce qu'il est normal d'avoir honte d'aimer?
Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n'entre pas dans son système, elle le fait disparaître.
Je ne sais pas si les garçons du couloir auraient qualifié leur comportement de violent. Au village les hommes ne disaient jamais ce mot, il n'existait pas dans leur bouche. Pour un homme, la violence était quelque chose de naturel, d'évident.
On pardonne plus facilement des filles de parler aux pédés.