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Citations de Yan Lespoux (55)


On ne meurt vraiment que lorsque plus personne ne prononce votre nom.
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Un mois encore et ils rejoignaient l'Inde. Fernando sentit Goa bien avant de la voir. Il prenait son quart de garde sur le pont. Les voiles blanches tendues se confondaient avec un ciel que les nuages passant devant la lune rendaient laiteux. C'était une de ces nuits grises où le vent porte la promesse d'une pluie qui se fait attendre, où la houle écume sans se faire trop violente. En émergeant de l'écoutille, Fernando pris sa respiration pour se gorger du vent salé. Mais c'est une odeur, mélange de terre chaude détrempée par l'averse et d'humus, qui l'assaillit. Le sel était là, mais il se mêlait à une senteur de sous-bois. Après la chaleur de Ngazidja et la sécheresse de Mombasa, il eu la sensation de le mâcher et il s'en reput.
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Le scorbut en avait déjà emporté plusieurs dizaines et nombre de ceux-là étaient morts dans un meilleur état que Gonçalo Peres. Ses yeux étaient vitreux, sa bouche un puits puant, ses jambes enflées et constellées d'ulcères qui, au jour, donnaient à voir une fascinante palette de couleurs déclinant toutes les nuances, du rouge le plus clair au noir le plus sombre en passant par quelques bleus écœurants et des verts qui lui rappelaient les déjections de canards dans une basse-cour. N'importe quel humain conscient de sa condition de mortel se serait étendu une bonne fois pour toutes sur sa paillasse en attendant la mort. Mais pas Gonçalo Peres, déjà mort mais toujours vivant lorsqu'il s'agissait de dépouiller ses camarades au jeu ou d'essayer de sodomiser un mousse dans un recoin de l'entrepont. Tout cela parce qu'il était tout simplement incapable de se rendre compte de ce qu'il n'était plus qu'un corps rongé par la maladie. Ce n'était pas une pulsion de vie, un réflexe de lutte, qui le tenait debout, mais seulement l'habitude.
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En 2009, l'annonce du changement de la numérotation des plaques d'immatriculation et le fait qu'il n'était plus obligé d'y faire figurer le numéro de département a suscité une certaine émotion par ici. Non pas que l'on tienne à garder le 33 - d'autant plus que dans ce cas le risque est grand de passer pour un Bordelais lorsqu'on va acheter du Ricard au Pays basque- mais parce que, alors, comment faire pour reconnaître les Charentais? Le problème a été réglé assez vite grâce à la forte propension au chauvinisme des Français qui ont désiré pouvoir conserver leur numéro de département. Il y a quand même eu des gens pour poser la question: "Comme on peut mettre le numéro de département qu'on veut, qui dit que les voitures immatriculées avec un numéro des Charentes sont vraiment à des Charentais?" Question toute rhétorique, en fait. Car qui voudrait se faire par pour un Charentais?

Le Charentais se situe quelque part entre le Bordelais et le Parisien. Et pas seulement d'un point de vue géographique. C'est dire s'il est apprécié.
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Le courant l'aspire sous l'écume. Il s'agrippe comme il peut au ballot de coton auquel il s'est accroché après avoir sauté du navire échoué dont les flancs immenses geignaient sous les coups de la tempête. Ils craquent et se brisent à présent, loin derrière. Les vagues se succèdent. Elles saisissent ses jambes et l'entrainent vers le fond. Elles le tirent vers le large et, lorsque de nouvelles lames éclatent, elles écrasent son dos, maintiennent sa tête sous l'eau froide. Puis elles le recrachent vers l'avant. Son corps lui fait l'effet de n'être qu'une poussière sans consistance, puis le ressac lui fait à nouveau éprouver toute sa masse et celle de ses vêtements, gangue lourde et glacée. Il n'est plus alors qu'un poids mort que seule une balle de coton en train de se déliter permet de maintenir à flot, le temps d'aspirer quelques goulées d'air.
(Incipit)
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-On peut entrer ?
-Non.
-Et que fais-tu de l'hospitalité ?
Hélène hausse un sourcil.
-L'hospitalité ? Ici, elle est payante. Tu n'es pas au courant ? Et je prépare des philtres.
La Vive se tait. Il semble réfléchir, mais Hélène doute de sa capacité à produire un tel effort. En fait, il ne sait simplement plus quoi dire. C'est un autre qui prend le relais.
-Oh, la sorcière ! Tu as vu quelqu'un ? Un homme ?
-Il y a bien longtemps que je n'en ai pas vu. Mais je ne désespère pas.
(p.337)
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Dans un coin, certains jouaient malgré les réprobations des jésuites et dominicains qu’on logeait avec eux. Depuis le départ, les frères tentaient avec opiniâtreté de donner un peu de religion à cette assemblée, dans laquelle se mêlaient véritables gens de guerre, paysans enrôlés de force et criminels qui avaient préféré embarquer pour les Indes plutôt que de goûter aux prisons portugaises ou à l'échafaud. Mais ici, dans la pénombre de cet entrepont, il fallait bien se rendre à l'évidence : l'œil de Dieu lui-même n'aurait pu percer une atmosphère aussi épaisse, un air si vicié qu'on avait l'impression de respirer à travers une toile de jute humide. C'est en tout cas ce que se disait Simão Couto qui, au moment de lancer les dés sur le sol, se demandait par ailleurs si échapper ainsi à la surveillance étroite de son Créateur était une bonne ou une mauvaise chose. Lorsque les trois cubes d'os finirent de rouler, le silence se fit quelques instants, le temps pour chacun des joueurs de plisser les paupières et d'approcher la tête pour mieux discerner le score dans la semi-obscurité. Et Gonçalo Peres partit d'un grand rire tandis que les épaules de Simão s'affaissaient. Un peu à l'écart, Fernando Teixeira capta le regard de son ami et haussa les siennes. Une manière de lui signifier son impuissance face à cette perte. Il s'agissait d'une poule. Une poule grise au plumage mité qui caquetait faiblement dans la cage sur laquelle Peres venait de poser la main ; il exhibait un sourire édenté et des gencives enflées et noircies par le scorbut.
(P.18-19)
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Elle pensa à Vincente de Brito dont elle allait trahir la confiance. Et elle pensa à elle. Nul ne saurait plus lui dire que faire après cela. En volant ces joyaux, elle affirmait sa rupture avec un monde qu'elle méprisait autant qu'il la dédaignait. Tous ceux qui, depuis des années, avaient fait d'elle cette élégante mais négligeable poupée au service de gens qui auraient dû être ses pairs si le destin n'avait pas fait obstacle au chemin qui lui était tracé, sauraient dès lors qu'elle était autre chose. Et que cette autre chose était plus dangereuse qu'ils ne le pensaient et bien plus libre qu’ils ne l’étaient eux-mêmes, pièces d'échec dont les déplacements étaient limités par des règles immuables, arbitraires et stupides. Ils l'avaient dégradée. Ils en avaient fait un pion. Elle était en fait une reine. Elle irait où elle voudrait. Et même au-delà des cases de l'échiquier. Et elle n'attendrait certainement pas son tour pour jouer.
(p.261)
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"Comme on peut mettre le numéro de département qu'on veut, qui dit que les voitures immatriculées avec un numéro des Charentes sont vraiment des Charentais ?"
Question toute réthorique, en fait. Car qui voudrait se faire passer pour un Charentais ?
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Le Parisien, c'est une sorte de Bordelais. D'ailleurs, parfois, c'est même un Bordelais. C'est juste que l'on dit que c'est un Parisien parce que c'est plus pratique et que ça permet de ne pas le confondre avec le Bordelais qui habite là toute l'année, même s'il est de Bordeaux.
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"T'as lu Sud Ouest?"
Quand on te demande ça, ici, ce n'est pas pour parler de l'état du monde, de la crise économique, ou même des derniers résultats sportif. Sauf si les Girondins jouaient. Là, à la rigueur, on peut avoir une hésitation. En l'occurence, on est mardi, et il n'y avait pas de match de foot la veille.
Alors il répond que oui, il a lu Sud Ouest.
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Les deux Bordelais remballent leurs couteaux. Au fond ils sont contents. Si on les a menacés de leur mettre un coup de fusil, c’est bien parce que l’on les considère un peu comme des copains du coin.
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Et puis ça nous rappelle que nous, pendant ce temps-là, on est vivants.
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Ils avaient voulu voir le monde. Elle espérait que pour quelques instants au moins le voyage avait été beau.
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Un autre monde… il s’en est vite aperçu sur le plateau où il travaille. Il a appris, quand on lui demande d’où il vient, à dire qu’il est originaire d’une station balnéaire connue. Il précise donc toujours, après le nom de la commune, « Océan ». Ça fait moins tiquer que « Médoc », et ça évite les railleries sur l’alcoolisme, l’inceste et la sauvagerie. Enfin… la plupart du temps. Il se fond dans le moule, revient de moins en moins chez lui, coupe les ponts.
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J'avais assez grandi pour cette nuit, je pouvais me blottir encore un peu dans le confort de l'enfance.
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Le Charentais se situe quelque part entre le Bordelais et le Parisien. Et pas seulement d’un point de vue géographique. C’est dire s’il est apprécié. Si on supporte assez mal le Parisien et le Bordelais toute l’année, on tolère toutefois le Charentais de – en gros – janvier à novembre, c’est-à-dire, pour faire court, l’époque où il reste chez lui. Il arrive bien sûr que des Charentais viennent chez nous durant cette période. Pour voir de la famille, par exemple. Mais c’est assez rare, et les rapports demeurent distants mais cordiaux. Dans une certaine mesure. (…) Dans une discussion de bistrot, si un Charentais s’y arrête et engage la conversation (ils ne peuvent pas s’en empêcher), on lui demandera d’où il vient. Et quand il aura répondu, on lui dira que ça serait bien qu’il y retourne.
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On imagine. On laisse courir son esprit, on forge des mensonges qui deviennent au moins l’espace de quelques instants des vérités.
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Fernando sentit Goa bien avant de la voir. Il prenait son quart de garde sur le pont. Les voiles blanches tendues se confondaient avec un ciel que les nuages passant devant la lune rendaient laiteux. C'était une de ces nuits grises où le vent porte la promesse d'une pluie qui se fait attendre, où la houle écume sans se faire trop violente. En émergeant de l'écoutille, Fernando prit sa respiration pour se gorger du vent salé. mais c'est une odeur, mélange de terre chaude détrempée par l'averse et d'humus, qui l'assaillit. Le sel était là, mais il se mêlait à une senteur de sous-bois.
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Le premier noyé de la saison, c'est un peu comme l'ouverture de la cabane à chichis, la première grosse pousse de cèpes ou la première gelée, ça annonce une nouvelle période, un changement de lumière le matin quand on se lève. Ça rythme l'année. Et puis ça nous rappelle que nous, pendant ce temps-là, on est vivants.
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