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3.98/5 (sur 830 notes)

Nationalité : Croatie
Né(e) à : Split , le 02/11/1965
Biographie :

Jurica Pavičić est un écrivain, auteur de roman policier, nouvelliste, chroniqueur et critique de cinéma croate.

Il est diplômé d'histoire et de littérature à l'Université de Zagreb.

Son premier roman, "Ovce od gipsa" (1997) (Mouton en plâtre), est adapté au cinéma par Vinko Brešan sous le titre "Svjedoci" (Les témoins) en 2003.

En 2021, avec son premier roman paru en français, "L'Eau rouge" ("Crvena voda", 2017), il est lauréat prix du polar européen 2021 et du grand prix de littérature policière - étrangère.

Il est également l'auteur du recueil de nouvelles, "Le Collectionneur de serpents" ("Skupljač zmija", 2019), et de roman "La femme du deuxième étage" ("Žena s drugog kata", 2015).

Ses romans et recueils de nouvelles ont été traduits en anglais, allemand, italien et bulgare.

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Source : Wikipedia
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Citations et extraits (142) Voir plus Ajouter une citation
Ils sont douze. Principalement des Splitois, certains originaires d'Omis, de Brac, des jeunes mais aussi quelques hommes plus âgés. Avant la guerre ils avaient chacun leur vie, ils étaient tourneurs outilleurs, commerçants, ouvriers d'une cimenterie ou d'une laiterie. Certains étaient mariés, avec des grands enfants, d'autres sortaient directement du lycée, encore innocents et benêts. Qu'importe ce qu'ils ont été, ce qu'ils ont fait, ils attendent maintenant que la guerre se termine pour pouvoir rentrer chez eux et retrouver le cours de leur existence. Car tous ont mis leur vie en suspens, comme une parenthèse au milieu d'une phrase. Tous attendent que cette corvée se termine enfin, que la parenthèse se referme. Tous sauf lui, Adrijan.
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C'est vrai. Tout aurait été différent si elles n'étaient pas allées ce jour-là à l'anniversaire de Zorana. Si Suzana ce jour-là n'avait pas téléphoné pour lui proposer de l'accompagner, elle n'aurait jamais connu Frane. Si, comme elle l'avait prévu, elle était restée à la maison emmitouflée dans les couvertures, jamais de toute sa vie elle n'aurait rencontré Anka Sarié. Elle aurait avalé une aspirine et regardé Spiderman à la télévision, et Mme Sarié et elle n'auraient été que deux individus parmi la centaine de milliers d'habitants vivant dans la même chacun dans son rayon de ruche. Si elles s'étaient croisées, ça n'aurait été qu'incidemment, par hasard, dans un bus ou dans une queue à la caisse. Le regard de Bruna n'aurait noté qu'en passant ses hanches larges, ses cheveux courts et son visage anguleux. Ce visage se serait fondu dans le nerf optique, il se serait perdu dans un segment du cerveau, dans la banque de données infinies des visages sans importance qu'on voit et qu'on oublie aussitôt. Anka et elle se seraient côtoyées sans y prêter attention et auraient disparu dans l'anonymat.

Mais ça n'a pas été ainsi. Car ce jour de janvier 2006 Suzana l'a appelée et lui a proposé d'aller à un anniversaire. Bruna ne s'est pas glissée dans des frusques et n'a pas regardé Spiderman. Elle a avalé un antipyrétique, enfilé un col roulé et est sortie. Elle est allée à la fête de Zorana.

Et c'est pour cette raison qu'elle est là maintenant. Assise dans un coin d'une cuisine où elle pèle des pommes de terre pour les frites de ce soir. À la maison centrale de Poiega, depuis onze ans déjà.

Pages 9-10, Agullo 2022.
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Et pendant que Bruna observait ces gens, une image surgit comme un flash dont elle ne put se débarrasser. Elle regardait ces gens et elle les imaginait étendus côte à côte sur ces tables en acier avec ces évacuations. Cet homme sec, et le gros à la chemise, et la femme à la poitrine énorme qui nettoyait le poisson – tous étaient étendus sur le dos, les yeux clos, blancs comme des spectres, ils attendaient d’être disséqués par le scalpel du jeune médecin aux lunettes. Bruna voyait tourner cette image dans sa tête, et elle eut un éclair soudain et douloureux de conscience : un jour ou l’autre il en sera ainsi pour tout ce monde. Un jour, ils finiront tous allongés dans cette pièce. Un jour, peut-être dans trente ans, peut-être quinze, peut-être cinq. Pendant un instant, le temps d’un éclair ou d’un battement de cils à l’échelle de l’univers, ils seront tous pareillement gonflés, jaune maïs, ils reposeront tous sans vie sur cette table d’acier sans âme. Et tous le savent, tous savent qu’il en sera ainsi, et pourtant ils sont assis là, ils préparent du poisson, comme si tout allait bien, comme si ce qui devait advenir n’était pas si terrible. Bruna les regardait et ne manquait pas d’être étonnée par tant de courage ou d’aveuglement.
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Chez nous, les gens sont comme ils sont – ils aiment se mêler des affaires des autres. Ils guignent dans les cours, surveillent les arbres fruitiers, les vignes et les porte-monnaie. Ça les intéresse de savoir qui a combien, qui est brouillé avec qui, à quel prix tu as vendu une guimbarde ou un champ, combien tu as gagné en Allemagne et comment est ton nouveau gendre. Ils vont reluquer par-dessus ton épaule pour voir comment tu entretiens ton jardin, pour qui tu as voté et ce que tu as cuisiné. Mais il y a une chose dont ils ne se mêlent pas – c’est si tu cognes ta femme.
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Parce qu'on ne dilapide pas ce que l'on n'a pas gagné.
Parce que notre génération est tout ce qu'il y a de plus puant.
On croit qu'on peut vivre sans travailler, dépenser ce qu'on n'a pas acquis, on croit que tout ce qui est bon nous est dû. Eh bien non ! Rien ne nous est dû ! Et pour ça, je ne vais pas vendre, justement pour que ça aille pire. Parce qu'ils méritent tous que ça aille pire.
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Le monde n’est qu’une suite rectiligne de dominos mettant à bas d’autres dominos, eux-mêmes abattant les suivants, sans autre alternative.
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Les connaissances de Bruna en matière de police se résumaient à quelques films de détective qu'elle avait vus sans y prêter attention. De cette expérience lacunaire, elle savait que les inspecteurs se mettaient à deux pour interroger les suspects. Pendant que l'un faisait dans l'injure et la menace, l'autre vous apportait un verre d'eau et vous encourageait à vous confier à lui. Il y avait le méchant et le bon policier, c'était le cliché.
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Comme dans de nombreux villages qui se meurent, le cimetière était la seule chose qui soit entretenue et fleurie.
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Ce matin-là, ils n’ont pas été particulièrement inquiets. Aujourd’hui, ça paraît horrible aux yeux de Mate, mais il sait que c’est la vérité vraie. Ni sa mère, ni son père, ni lui ne se sont inquiétés.
Silva n’est pas là – elle a dormi ailleurs, ou bien elle est sortie tôt, ou bien elle est restée plantée quelque part hier soir. Mais elle va rentrer. Rien de mal n’a pu arriver. Car on n’est pas dans une métropole américaine , il n’y a pas de kidnappeur ici, pas de braqueur, pas de tueur en série. On est à Misto, et à Misto il n’est jamais rien arrivé à personne.
Mate se lève, prend sa douche, puis sa mère lui demande – à peine un soupçon de préoccupation dans la voix – s’il sait où est sa sœur. Mate lui dit ce qu’il sait. Elle est allée à la fête des pêcheurs hier soir, tout comme lui. Il y avait un groupe qui a joué, puis DJ Robi a passé de la musique après le concert. Silva a dansé. C’est à ce moment qu’il l’a vue pour la dernière fois : elle dansait, il était autour de onze heures.
Voilà ce que Mate a dit à sa mère. Mais il ne lui dit pas tout. Il ne lui dit pas qu’il a quitté la fête à onze heures avec une petite bande car ils avaient des bouteilles de Stock 84 et de la bonne herbe. Il ne lui dit pas qu’il a passé le reste de la nuit sur le rivage, en bas de la crique de Travna, à essayer de séduire une fille de Novi Sad qui parlait avec l’accent traînant et charmant de par chez elle. Il ne lui dit pas qu’outre quelques joints il s’est enfilé presque un litre de Stock et que le cognac italien lui cause maintenant un mal de crâne mortel.
Il ne dit pas non plus à sa mère qu’à onze heures, quand il a quitté la fête, il a vu Silva qui dansait avec Adrijan Lekaj, le fils du boulanger. Ni que Silva a demandé à DJ Robi de passer Red Red Wine de UB 40, une fois, puis deux fois, et qu’au moment où lui est parti, elle se trémoussait entre les bras d’Adrijan au rythme lent du reggae. Silva n’aurait pas rapporté à ses vieux les exploits de son frère. De même pour lui, il n’est pas question qu’il aille raconter ceux de sa sœur.
Sa mère l’écoute, secoue la tête d’un air désapprobateur, puis elle retourne dans la cuisine et commence à éplucher les pommes de terre. « Elle doit être chez Brane. Elle va arriver », dit Jakov. Après quoi il redescend dans son atelier, parfaitement insouciant, parfaitement détendu.
Les cent dix minutes suivantes, Jakov les passe dans son atelier, affairé à ses activités de radioamateur. Vesna met au four un poulet avec les pommes de terre puis s’assoit à la table de la cuisine et entreprend de lire le journal dominical. Mate avale discrètement un cachet contre le mal de crâne et se retire dans sa chambre – les volets maintenant tirés – en attendant que la douleur disparaisse. Quand il se réveille, la migraine n’est plus là. Il regarde sa montre : il est une heure et quart.
À une heure et demie, il retourne dans la cuisine. Le déjeuner est servi. Les assiettes, la salade, la bouteille de vin blanc sont disposées sur la table et le poulet embaume dans le four. Mais Silva n’est pas là. Mate se souvient de ce moment : pour la première fois il est inquiet, rien qu’un tout petit peu.
À deux heures et quart, Silva n’est toujours pas là. Vesna se tient contre le frigidaire, la répréhension et l’exaspération se lisent sur son visage. Le père est debout à côté de la table où sont disposés les verres et les assiettes et il jette des coups d’œil à la pendule au mur avec sa grande aiguille qui s’approche du quatre. Finalement, à deux heures vingt, il dit : « Mate, va faire un tour au village. Va voir où elle est passée. »
« Mate, va la chercher », dit le père, à deux heures vingt, le 24 septembre 1989.
Mate ne le savait pas. Maintenant il le sait : ce jour-là, à cette heure-là, c’est dans sa vie le commencement des recherches.
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Mate se rend dans le centre du bourg. Il va à l’église, mais elle est fermée. Il fait le tour des cafés. C’est dimanche, il fait chaud, et tous les habitants sont assis aux terrasses. Les marins en congé, les étudiants en vacances, les gars du coin derrière leurs Ray-ban, les employés et les chômeurs, tout le monde est là, à se prélasser comme des lézards dans la chaleur, tout en discutant politique et en dégustant un café serré. Elle seule n’est pas là. Silva n’est nulle part.
Finalement, Mate se dirige vers le seul endroit où il pourrait encore la trouver : la boulangerie du père d’Adrijan. C’est l’après-midi et la boulangerie est fermée. Il passe par la cour et trouve le vieux Lekaj à la poursuite d’un rêve sous le figuier après sa nuit de labeur. Il le salue depuis la porte et le vieux Lekaj lui répond par un marmonnement ensommeillé. Il traverse la cour et entre dans la maison.
À peine aperçoit-il Adrijan, Mate sait que Silva n’est pas avec lui. Il le trouve affalé sur le canapé. Il est nu jusqu’à la taille, vêtu d’un simple short Adidas. Il regarde un match de la ligue italienne de football à la télévision. Quand Mate entre dans la pièce, Adrijan le regarde avec étonnement.
Mate demande à Adrijan où est Silva, et une expression de gêne se dessine sur le visage du garçon.
Il ne sait pas où elle est. C’est vrai, dit-il, ils étaient ensemble hier soir. Oui, ils ont dansé jusqu’à onze heures. Et Silva a proposé, aux alentours de onze heures, qu’ils aillent faire un tour à l’écart. C’est comme ça qu’il a dit, faire un tour à l’écart, et il est visiblement très embarrassé. Oui, dit-il, ils sont restés ensemble jusque vers une heure. Ils ont été au cap de la Croix. Là-haut, sur la butte, au-dessus de la citerne.
Ils étaient sur le belvédère, au niveau de la grande croix. À l’endroit – l’un et l’autre le savent – fréquenté par des générations de Mistaniens pour leurs ébats sexuels de contrebande. Mate – il se souvient de cela – s’est aussitôt senti submergé de honte. Parfois il ne comprend pas sa sœur.
– Quand vous êtes-vous quittés ? demande-t-il en essayant de rester détaché.
– Autour de minuit et demie, une heure. Silva a dit qu’elle devait rentrer, qu’il fallait qu’elle se dépêche.
– Qu’elle se dépêche de rentrer à la maison ?
– Elle a dit qu’elle devait se lever tôt, car elle partait en voyage.
– Elle partait en voyage ? Où ça ? demande Mate.
– Je n’en sais rien, répond Adrijan. C’est plutôt tes parents et toi qui devriez le savoir.
Mate à cet instant pressent pour la première fois que quelque chose ne tourne pas rond. Alors qu’à la télévision, baissée à mi-volume, un journaliste sportif salue un but de la Fiorentina contre l’Inter, ou bien de l’Inter contre la Lazio, il éprouve pour la première fois une sensation de plomb dans son estomac. Le sentiment d’un malheur imminent.
Il quitte précipitamment la maison des Lekaj. Passe près de l’église et grimpe la rue qui mène chez eux. Entre en courant dans la maison. Trouve ses parents attablés dans la cuisine, qui attendent. Il ne leur dit pas un mot et file dans la chambre de Silva. Ouvre le tiroir de son bureau.
Dans le tiroir, il n’y a rien. Ni son porte-monnaie, ni son répertoire téléphonique, ni son passeport.
Il sait que Silva a une cachette. Il sait aussi qu’elle garde planqué l’argent qu’elle économise. Il se penche sous l’armoire et attrape une boîte en bois dans le double fond d’un tiroir. Il l’ouvre.
La boîte est vide. Il n’y a dedans ni argent ni rien d’autre.
Il retourne dans la cuisine. Il s’assoit à la table. Et il dit une phrase. Il la dit le plus calmement possible, pour ne pas susciter plus de panique. Il dit à ses parents qu’il pense qu’il faudrait appeler la police.
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