Silvina Ocampo en su voz: "A una persona dormida"
“L'envie, la jalousie, la méfiance, le malentendu : tout cela pèse sur la vie de l'amour le plus parfait et le plus capable de sacrifice. Au fond, qui comprend qui ? Personne n'en sait rien.”
«La peur de ma peur me fait peur.»
MÉMOIRE DES PLUIES
Combien de fois les pluies de l’aube m’emportèrent
en rêve sur leur chemin lentement et heureuse,
vers le cristal des champs, entre des files de pins,
recherchant les bienfaits d’une lumière étonnante;
Combien de fois les ai-je vues revenir aux fenêtres
éteintes, parmi les arbres égarés dans les tumultes
purs de leurs ondes, enlacées aux rubans
du souvenir qui peuple ces murs transparents.
Je les entendis, éblouie, frapper sur les lucarnes
avec la suave insistance qui précède les éclairs,
alors que dans le feuillage luisaient les gemmes
liquides où baignent les fleurs et les tiges.
Toujours dans ces rumeurs je perçus l’écho d’un piano
qui séduisait le jardin de ses douces distances,
et découvris dans la façon de ces tissages
une profonde serre, bleu ciel en été,
Les colonnes et les statues asiatiques d’un temple,
des meutes qui dévalaient au pied d’une pente,
un Mercure entre platanes et senteurs extatiques
qui mouraient en désordre dans la nuit.
Je vis dans les trames troubles les déluges antiques
qui enfermaient les arbres, les tours et les hommes,
les villes naissantes et les champs blonds de blé.
dans des tombeaux de boue qui n’avaient pas de noms;
Et dans les trames distinctes, seuls, prédestinés,
les noms préférés tournaient en cercle
jusqu’à trouver en dociles mètres amoureux
les vers remémorés, les vers promis.
pp. 113-115
"Certains sont offensés de naissance."
Immortalité
Je suis morte tant de fois, o mon aimé,
d’une douleur insolite dans ma poitrine!
Je suis morte tant de fois dans mon lit
d’obscurité, d’amour désespéré,
que peut-être une mort véritable
me méprisera-t-elle comme ce volubilis
qui sans pitié en vain fut anéanti,
et qui resurgit dans la dure solitude
de ses fleurs rouges en détresse,
dans l’ombre furieuse de ses feuilles.
Sur le sable
Je voudrais pénétrer dans les profonds reflets,
pénétrer dans la lumière de ces grands miroirs
que la mer forme dans les sables de ses rivages,
et dans leurs profondeurs horizontales, loin,
mourir, vivre à peine.
Nous avons vingt-cinq ans. C'est beaucoup, c'est déjà trop.
(dans «Cornelia face au miroir»)
Vous voyez qu'il pleut dans la chambre.
Intéressé, j'inspectai la pénombre.
- Ces bassines, poursuivit-il en donnant un coup de pied dans un objet, sont destinées, non seulement à recueillir l'eau quand il pleut, mais à provoquer des insomnies et une musique imprévisible. Je pourrais jurer que chaque goutte de pluie qui tombe dans ces récipients produit un son infinitésimalement différent de celui qui le précède et de celui qui le suit. J'ai écouté plus de cinq cents pluies dans cette chambre.
J'allais lui dire : Vous aimez beaucoup la musique.
Je demandai prudemment:
- Pleut-il souvent?
(L'imposteur)
Comme les personnes respectables sont absurdes!
(dans «Cornelia face au miroir»)
Tout compte fait, en quarante ans d'existence, ce n'est pas beaucoup : aimer dix-huit fois ce n'est pas une preuve d'inconstance ni de manque de sérieux. C'est seulement la preuve qu'il est impossible de vivre sans amour.