Duong Thu Huong,
Les collines d'eucalyptus .
Lorsque
Duong Thu Huong, romancière vietnamienne, parle de son livre
Les collines d'eucalyptus ( éditions
Sabine Wespieser) et du destin d'un adolescent fugueur, c'est tout le Viet nam qu'elle évoque. Et l'ancienne combattante anti-colonialiste, aujourd'hui dissidente et exilée, ne mâche pas ses mots. Entretien
Dominique Conil, video de Nicolas Serve.
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La femme est plus clairvoyante que l’homme sans doute justement grâce à ce fond obscur de son âme où l’intelligence s’arrête, où l’intuition érige ses antennes invisibles mais efficaces.
Ceux qui vivent dans le monde des truands doivent obéir à sa loi. Ils pillent dans l'ombre, ils sont pillés, pourchassés dans l'ombre. Ils ne peuvent gagner ou perdre, survivre ou mourir, ils ne peuvent pas appeler à l'aide. C'est le monde ténébreux des bêtes sauvages. Pas de S.O.S. possible. Il grouille d'êtres humains et pourtant il est plus vide, plus more que le désert. Là, l'amour relève du superflu.
Deux ans après la libération de Saïgon, en 1977, fut soudain lancée la campagne "d’ éradication de la culture décadente », comme le pouvoir l’avait déjà fait auparavant dans le Nord. Morts de peur, tous les libraires et bouquinistes ont organisé en cachette la destruction des ouvrages interdits : ils les ont brûlés ou jetés dans le fleuve.
p. 324
Dans l'aube automnale, les grappes de fleurs vert foncé lui brisent le cœur. Leur douceur soyeuse, comme un acide empoisonné, détruit sa volonté, son endurance. Il jette sa faucille et son sac sur le côté, se roule à terre. Il a envie de crier, de hurler, de fendre le ciel paisible au-dessus de la vallée. Mais un troupeau de chèvres broute sur la colline voisine. Leurs gardiens doivent s'abriter quelque part alentour. Il a peur d'être pris pour un fou. S'il n'y prenait garde, il suffirait de quelques incartades de ce genre pour qu'on l'enferme dans un camp d'aliénés. Il deviendrait alors totalement fou et mourrait entre les murs d'une prison. Il se résigne à tambouriner des poings ses cuisses, ses hanches, sa poitrine. Mais la douleur physique n'arrive pas à le calmer. Une étendue de fleurs vagabondes, une mer d'émeraude à travers le ciel où s'égayent les vagues dansantes, les papillons sauvages blancs, jaunes, et les libellules en chaleur... Pourquoi ne lui est-il pas donné de vivre l'innocente et joyeuse existence de tous les êtres vivants? Pourquoi ne peut-il pas se transformer en cette fleur étrange qui ne vit que quelques heures mais dans la plénitude de sa splendeur, de son bonheur, de son orgueil ?
L’admiration est rare et ne s’exprime pas ouvertement. En revanche, le mépris et la haine s’affichent et servent même de caution pour prouver que l’on est « normal », que l’on est « légitime », qu’on est du côté de la majorité, car la majorité, c’est la force.
Il comprenait que l’amitié, comme l’amour, pouvaient naître du mystère, mais que ce mystère était une arme à double tranchant, car elle suscitait le doute ; et dans toutes les relations humaines, le doute est l’ennemi de la sincérité. Un équilibre bien fragile, comme une petite barque lancée sur les eaux tumultueuses d’un torrent.
"Les citadins recherchent la montagne ou la mer, parce que la nature leur manque. Aussi attendent-ils impatiemment le dimanche pour fuir vers la banlieue et se plonger dans le vert de la chlorophylle, respirer le parfum des herbes et des fleurs, se laisser charmer par le bruissement des arbres. Ils essaient de combler le vide de leur quotidien."
Le pays natal n'a de sens que si on y trouve un toit chaleureux. Là où on trouve ce toit, là est le pays natal.
Au début, elle ne venait que les nuits sans lune. Plus tard, elle vint aussi les nuits de lune en croissant.
Élancé, avec sa ramure souple et nervurée, l'eucalyptus attend avec exultation la brise pour entamer la danse. Ses frondaisons entonnent alors un chant sophistiqué, un chant à part dans le concert des arbres.