Piergiorgio Pulixi offre un moment de répit à ses inspectrices Rais et Croce en s'intéressant dans ce roman à Vito Strega, un personnage que l'on avait croisé dans «
L'illusion du mal ».
Enfin, ça c'est si on se fie à l'ordre des parutions de Gallmeister, qui fonctionne à l'inverse de celui de l'auteur en Italie. Si le choix de l'éditeur se comprend car la deuxième aventure des inspectrices a permis d'introduire Vito Strega et de se raccorder par la suite à l'ordre de parution de l'auteur, en revanche cela se ressent que «
Le chant des innocents » a été écrit avant, ce qui m'a un peu perturbée.
Le commissaire milanais Vito Strega est, à l'ouverture du roman, dans une mauvaise passe : suspendu de son métier pour avoir tué son coéquipier, sa réintégration dépend de l'avis d'une psy qu'il déteste consulter, et sa femme vient de le quitter, lassée de passer derrière des affaires qui ne le quittent jamais.
Car Vito Strega est l'archétype du flic ténébreux et complexe, obsédé par son métier, par l'envie de rendre justice aux victimes, afin de faire taire leur chant qui résonne sans discontinuer dans sa tête (et qui d'ailleurs donne son titre au roman et à la série de romans qui en découlent).
Et c'est précisément quand il n'est plus en pleine possession de ses moyens policiers (et sûrement psychologiques) qu'une épidémie de meurtres commis par des adolescents sévit à Milan, l'obligeant à reprendre illicitement du service, car ces affaires servies sur un plateau (des meurtriers qui attendent sagement de se faire arrêter à côté de leurs victimes) lui paraissent étranges.
J'ai beaucoup aimé «
L'île des âmes » et «
L'illusion du mal » pour leur ambiance et leur maîtrise. Ici, on retrouve ce qui a fait le succès des tomes précédents, mais avec une certaine redite par rapport à «
L'illusion du mal », l'auteur reprenant le même schéma en ce qui concerne les coupables, lui permettant de placer sa théorie « d'un mal omniprésent, au milieu d'un océan d'indifférence », comme le résume Vito Strega dans ce volume. Un mal qui se propage comme une maladie, les monstres engendrant d'autres monstres, mécanisme facilité par une société en déliquescence.
Cette réutilisation d'un même matériau ne m'a pas tellement gênée (après tout, ce n'est pas le premier auteur à avoir son leitmotiv) en comparaison du style d'écriture, qui n'est pas fantastique… comme je l'écrivais plus haut, ce roman est bien antérieur aux autres, et j'ai en effet eu la sensation de lire un brouillon de ceux-ci : les chapitres sont très courts, plus que d'habitude, font alterner l'intrigue principale avec des secondaires qui sont trop nombreuses, pas utiles, et échouent dans leur tentative d'ajouter de la tension. Au final, ils font surtout ressortir que l'intrigue est un peu mince, car Vito Strega la résout à la Hercule Poirot, ce qui n'est pas vraiment le style du roman.
Les passages plus « sentimentaux » du roman ne sont pas des plus réussis, le comportement de Vito Strega envers sa femme, proche du harcèlement, occasionnent des échanges un peu faibles ; quant à ses pensées concernant les proches des victimes, elles tombent facilement dans un définitif grandiloquent un peu ridicule (par exemple : « La femme monta dans sa voiture et Strega la regarda partir, retrouvant la douleur qu'il avait perçue chez la mère de Rosalia. La douleur d'une mère qui a perdu sa fille pour toujours. »).
Mais tout n'est pas à jeter dans ce roman, que j'ai quand même pris plaisir à lire : l'auteur réussit à intégrer un peu de complexité par son sujet moderne et malheureusement pertinent (l'actualité de ces derniers jours en France résonne douloureusement) mais aussi par son traitement du caractère de Vito Strega, en ce qu'il oblige aussi le lecteur à se décider sur qui il est : un gentil commissaire, bien que problématique par certains aspects ? Un colérique dangereux pour lui comme pour les autres ?
«
Le chant des innocents », présenté par Babelio comme le premier tome d'une série, est donc pour moi à réserver aux fans de l'auteur, les néophytes privilégieront les romans déjà parus. A voir donc ce que le nouveau roman de Pulixi, «
La septième lune », va donner.