Quel dommage que les recueils de nouvelles ne soient pas plus sollicités en bibliothèque !
B.Cannone romancière et essayiste ajoute quelques textes déjà parus à quelques nouveautés et paraissent ainsi 10 nouvelles de longueurs différentes mais de même intensité.
Qu'il s'agisse de Céleste, petite fille qui disparaît dans les bois et qui comme le joueur de flûte de Hamelin amorce le départ des adolescents , des fillettes comme Khatar de la Goutte d'Or qui se retrouvent pour se reposer dans les tambours de machines d'une laverie.
Certaines m'ont laissée le coeur battant tant la force des mots rendait la lecture angoissante, surtout quand l'autrice s'adresse au lecteur pour lui demander si elle peut continuer et qu'est ce qui motiverait le lecteur en ce sens, désespoir ou attirance du mal ? Des enfants livrés à eux mêmes , des proies faciles; une nouvelle relative à la tragédie de Chambon /Lignon.
Et pourtant des moments de poésie et surtout une belle écriture.
Une bien belle lecture.
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Un superbe recueil de nouvelles qui met en scène des indésirables de toutes sortes.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Très loin là-bas la lune est passée devant le soleil et le ciel a posé son ventre de velours sombre sur le jour, les rires se sont tus et les grands buffles soufflaient, immobiles dans l’air épais et frais. Quelques villageois ont frissonné comme si un danger – un souffle de vent – courait sur l’étang – sur le monde. Ils se sentaient dehors comme s’ils étaient dedans, l’obscurité et le silence avaient refermé l’espace autour d’eux, ils se croyaient dans une immense bulle sans savoir si le reste de l’univers continuait sa vie à l’extérieur. Ceux qui avaient les mains levées devant les yeux, doigts écartés, les ont gardées ainsi, songeurs, et pendant un instant tous les tracas avaient disparu. Une très vieille femme qui restait sur son banc, devant sa case, s’est demandé si là-bas, chez ses enfants, en France, le soleil se cachait aussi.
On pourrait croire qu’elle offre son visage enfantin à la noria désordonnée des oiseaux piailleurs, peut-être joueurs, qui foncent sur elle puis l’esquivent au dernier moment en montant à la verticale, tandis qu’elle écoute le bruissement de leurs ailes. Elle aime sentir, bien qu’elle ait dompté la peur d’être atteinte, son cœur bondir quand les martinets surgissent comme des balles d’obsidienne, et une joie confuse la prend d’être capable, elle, si petite si frêle, d’interrompre leur trajectoire. Ses lèvres ne sourient jamais – grave, recueillie, si douce Minette –, mais parce qu’elle commande aux oiseaux, parfois, un éclat traverse son regard.
Les parents des trois disent que ça leur a rappelé leur jeunesse, à l’époque d’avant les générateurs, quand l’électricité était courante, comme l’eau, quand eux aussi avaient voulu vivre autrement, Mais ces jeunes, leur hostilité, ça faisait presque peur. Mais est-ce que vous avez compris quelque chose à cette foire ? Eh ben, en fait c’est pas du tout comme nous, nous on voulait juste plus de liberté et on était gais, alors que nos enfants sont très en colère, ils nous accusent, c’est surtout ça, leur truc, ils nous reprochent, ils nous reprochent tout, l’état du monde, de la planète, ils nous ont dit Vous avez tout bousillé. On les a regardés un peu étonnés, Au contraire, on leur a dit, on voulait tout améliorer, c’est pas notre faute si l’industrie, si les grandes entreprises, si tout ça, vous auriez vécu en ce temps vous auriez fait pareil, on était pris dans, dans, dans le mouvement. Ils nous ont interrompus, Vous avez trop profité. Et on ose à peine vous l’avouer, ont murmuré les parents, mais ils ont ajouté qu’on comprenait rien à rien, qu’on était englués dans nos avantages, et ils nous ont chassés comme des malpropres.
Au début, la seule à en parler est la mère. Et encore : peu et à presque personne. Les hameaux sont dispersés, il peut s’écouler du temps sans qu’on se voie, surtout quand la météo est rude, allez savoir qui est chez soi et qui a disparu. Pendant des semaines les habitants de la vallée n’y prennent pas garde. C’est l’épicier ambulant, lui qui passe chaque semaine dans toutes les maisons avec sa camionnette, qui lui dit un jour Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu ta fille. Elle s’est raidie, racontera-t-il ensuite, hautaine dans sa blouse grise, ou noire peut-être, ses cheveux gris, oui, gris et ramassés dans un chignon trop serré, raidie comme si je lui avais envoyé une décharge électrique. Il n’a pas insisté.
Le temps reste très froid. Les bouquetins s’enhardissent assez bas et il n’est pas rare de surprendre deux cornes au-dessus d’un rocher, près d’une maison. Le ciel est d’un bleu de glace, la neige sur les sommets aveugle.
Une conversation présentée par Raphael Zagury-Orly
Avec
Isabelle Alfandary, auteure et professeure
Belinda Cannone, auteure
Serge Hefez, psychiatre
Le «un» n'est jamais le chiffre de la vie. Certes, il y a les organismes unicellulaires, bactéries, levures, plancton et autre protozoaires… Mais eux aussi on besoin de quelque chose d'autre, d'un milieu.. A la base de toute molécule organique, outre la durée temporelle et les sources d'énergie, se trouvent des multiplicités, des altérités, des combinaisons d'éléments, carbone, oxygène, hydrogène, eau, azote, dioxyde de carbone, diazote… Bien sûr, cela fait la vie sur Terre, la vie des vivants, mais ne dit rien sur la façon dont les êtres humains, eux, choisissent de la porter, cette vie, c'est-à-dire d'exister. de là aussi l'unicité est exclue: on vient au monde «plein des autres», le monde ne vient à l'enfant que par les autres, et il n'y tient que si d'autres d'abord le tiennent et tiennent à lui. Né d'une union qu'il n'a pas choisie, il lui appartiendra ensuite de s'unir volontairement à qui il voudra, par affinité, par intérêt même, par amitié, par amour, et de constituer des couples, des clans, des groupes, des familles, des communautés, des sociétés… Il se peut dès lors que des personnes, pour supporter le faix de la vie, choisissent de la porter à deux, de faire de leur cohabitation une convivance, et de leur existence une coexistence, le plus souvent solidifiée par le ciment de l'amour. La «vie à deux» devient dès lors une vie rêvée que les partages quotidiens rendent réelle. Mais est-ce si sûr? Combien coûte le sacrifice du «un», de la libre et insouciante existence solitaire, qui n'a de comptes à rendre à personne? Combien coûte le sacrifice du trois, ou du quatre, d'union plurielles où la diversité fait loi, où les plaisirs varient et s'égaient de ne point devoir s'abreuver à une seule source? Est-il possible qu'une «vie à deux», soudée par le plus bel amour, résiste aux soudaines envies d'autonomie, demeure imperméable aux petites disputes, aux grosses scènes de ménage, aux soupçons, aux jalousies, aux perfidies, aux humeurs insupportables, aux messages indus sur le portables, aux désirs d'être seule(e), de partir seul(e), de dormir seul(e)? On ne sait pas. On ne sait pas si la «vie à deux» est le paradis de l'amour ou l'enfer de la liberté.
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