Dans un roman aussi palpitant qu'un polar, l'auteur aborde une question qui revêt une acuité déterminante en 2022, l'interprétation de l'histoire et le rôle que les dirigeants sont tenté de lui faire jouer pour servir leur conception de la conduite des affaires d'un pays quitte à manipuler l'opinion.
Il prend pour exemple l'histoire récente de la Pologne et le rôle des Polonais dans la Shoah. Sujet brûlant.
L'exemple est parlant pour l'auteur mais les concepts qu'il développe dans son ouvrage pourraient aussi bien s'appliquer au massacre des amérindiens, à la révolution française et plus près de nous à la guerre d'Algérie, ou à la guerre en Ukraine.
L'auteur se garde de tomber dans le débat repentance ou pas repentance en montrant que la recherche historique répond à des standards scientifiques et ne peut se réduire à l'analyse de faits passée à la moulinette de l'idéologie.
Le roman est tellement réel que le lecteur se demande parfois si le récit de l'auteur n'est pas une histoire vraie...
Un jeune artiste polonais, adepte de
Roman Cieslewicz, l'artiste polonais exilé à Paris après la purge anti-juive de 1968, qui déclarait "une image qui ne choque pas ne vaut rien", provoque un scandale national en présentant, lors d'une exposition à Cracovie sur le thème de la Shoah, une interprétation de la judéité qui choque et finit par être censurée par le pouvoir en place.
Sa performance n'est pas analysée de la même façon par un consortium financier IAE lui offrant de faire partie du projet de création d'un grand parc à Lodz en Pologne. Ce
Ghetto Park proposerait, grâce à l'utilisation de technologies nouvelles notamment les hologrammes et l'intelligence artificielle, de placer les visiteurs dans les mêmes conditions que les habitants du Ghetto au cours de leur visite.
Pour convaincre l'artiste, le responsable du projet, Alex, fait référence aux reconstitutions de batailles de la guerre de sécession aux USA, ou encore le Puy du Fou et son succès exprimé en millions de visiteurs.
Il prend également comme référence des films comme Mondwest et la série qui en a été tirée West World.
Cette vision ludique de l'histoire, prétend-il permettra une appropriation de l'histoire...
Les questions morales posées par le projet sont ignorées par notre héros qui voit là l'occasion d'une revanche après la censure de son exposition.
Malgré les mises en garde de sa compagne qui finit par le quitter, il persiste et prend une part active au projet en dépit de ses réticences, notamment quand Alex cherche la caution du gouvernement polonais et de l'église.
Les chapitres prennent quasiment une dimension de documentaire tant la réalité des réformes entreprises par le parti conservateur Droit et Justice (PiS) au pouvoir depuis 2015 sont évoquées avec justesse et réalisme.
Notre héros s'interroge alors sur la façon dont les visiteurs vont réagir aux scénarios que le Park va mettre en place à partir de la documentation rassemblée par la troupe de théâtre de Lublin présentant "la trame complète et émouvante du quotidien d'une incroyable quantité de vies qui s'étaient croisées, avaient prospéré, avant d'être soufflées, de s'éteindre."
La réalité de la vie quotidienne dans le ghetto juif de la ville conservée dans "8732 boites d'état civil et 2700 photos du ghetto" peut-elle servir de base à une mise en scène où des visiteurs sont sensées jouer le rôle des disparus ?
"Ce qu'il y a de tragique et de paradoxal, là-dedans, c'est que si tu réussis, tu n'auras pas recréé la réalité du ghetto : tu l'auras effacée. Tu l'auras habillée d'une nouvelle peau (...)"
Le projet se met en place, commence à fonctionner, mais les événements politiques vont le percuter de plein fouet. L'auteur donne à son récit une dimension dramatique et va offrir au lecteur une fin totalement inattendue.
Un livre à lire et à faire connaître.
Merci aux éditions Folies d'encre et à la Masse Critique Babelio pour cet envoi.