Sureau François – "
L'infortune" – Gallimard, 1990, Grand prix du roman décerné par l'Académie française. (ISBN 978-2070385621)
Après "
L'obéissance" (cf recension), c'est donc le deuxième roman de cet auteur (né en 1957) que je lis.
Le récit tourne autour d'un personnage central, Augustin Pieyre, chirurgien de réputation à l'hôpital de la Pitié Salpétrière, et se déroule dans les années 1890-1917, avec de fréquentes allusions à la guerre de 1870, par le biais de deux personnages, le père du héros, Charles Pieyre, libraire, et son ami Nathanaël de Bussy, nobliaud du Berry, ayant participé de près à l'expédition de Ferdinand de Lesseps en Egypte pour y construire le canal de Suez.
C'est par le biais de ce dernier qu'Augustin Pieyre vient à l'idée d'acheter le petit château des Bussy, où il fait la rencontre de la jeune Marie Antoinette Grigorieff, épouse d'un vieux général russe retraité vivant à proximité. Il partage dès lors sa vie entre l'hôpital parisien et la campagne berrichonne.
Sa liaison amoureuse avec Marie-Antoinette l'amène à prendre la décision de s'engager volontairement après la déclaration de guerre de 1914 : il est envoyé sur le front oriental, dans les Balkans, dans cette peu glorieuse expédition qui se termine lamentablement à Salonique.
La trame narrative est assez lâche, et s'attarde volontiers sur des personnages "secondaires" (un tel roman comprend-il vraiment des personnages secondaires ?) pendant l'un ou l'autre chapitre. le père du héros est d'emblée caractérisé par sa détestation des grands hommes (p. 34), il fournit à son ami Nathanaël un roman "plein de grands évènements, où le héros n'apprends rien" car "c'est vrai qu'il n'y a pas d'apprentissage" (p. 148).
Le portrait et le prêche du Père Philibert (pp. 188-192) à l'occasion de l'enterrement de celui qui fut le chef de service redouté et renommé, Alcocer, constitue l'un des passages les plus subtils du roman.
L'auteur dresse un tableau du milieu médical parisien de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle, mais son objet principal réside dans l'approfondissement progressif de la personnalité du personnage central et de ses comparses immédiats, son père et l'ami de ce dernier. Sa façon de fouiller la description intérieure des personnages est quasi proustienne, tissant imperceptiblement les remarques essentielles dans les descriptions d'actes quotidiens.
L'écriture est remarquable, sans toutefois atteindre les sommets proustiens (pourquoi ?), faite de lenteur, de circonvolutions, de pesanteur.
A noter : l'un des personnages secondaires est un Alsacien qui s'appelle, bien entendu, Klein, dont le voyage à Niederbronn – alors terre de l'Empire allemand – fait l'objet du chapitre 12 d'une grande justesse de ton, ce qui est plutôt inhabituel de la part d'un auteur français.
Un auteur étonnant, à fréquenter...