Citations sur Kafka, tome 1 : Le temps des décisions (62)
Kafka, lui, ne croyait pas à l'idéal éculé et depuis toujours factice du génie qui renonce à la vie pour l'immortalité. Tout le monde veut vivre, sans exception. Mais il est vrai que certains n'y arrivent pas ; ils sont distraits, trop occupés "à l'intérieur".
[...] la mère jouait une fois encore le rôle de modératrice, empêchant le plus terrible, perpétuant la terreur.
La vie étrangère nous échappe, apparaît comme apparaît un soir une bête à la lisière d'une forêt, s'évanouit à nouveau.
C'est comme si l'on suivait un homme qui tâtonne dans le noir. On y voit aussi peu que lui, mais dès qu'on tente de sortir de cette dépendance en le laissant s'éloigner, l'unique repère est perdu.
Il n'y a pas chez Kafka le moindre rebut narratif, ni de motif sans suite, ni de détail purement illustratif - qu'il s'agisse de la couleur d'un habit, d'un geste caractéristique ou seulement de l'indication de l'heure. Tout signifie quelque chose ; tout renvoie à quelque chose ; tout revient.
« Je hais W., non parce que je l’envie, mais je l’envie aussi. Il est en bonne santé, jeune et riche, et je suis différent en tout. De plus, il a tôt et facilement écrit de très bonnes choses avec un vrai sens musical, il a la vie la plus heureuse derrière et devant lui, je travaille avec des poids dont je ne peux pas me débarrasser et je suis totalement coupé de la musique. »
Cet exhibitionnisme latent, qui nous déroute parfois chez Kafka comme chez tous les hypocondriaques, s'explique par le fait que l'hypocondriaque se définit dans une large mesure par le biais de son corps. Il ne peut le passer sous silence sans se nier lui-même.
Or l'empathie n'est pas un état psychique convocable à volonté, mais un acte complexe qui requiert tout d'abord -non moins que cette disposition qu'on nomme "intelligence"- l'aliment du savoir et de la culture.
Puis il se compare à un mort-vivant, à un zombie par la bouche duquel retentit la voix tentatrice du diable, et qui s'écroule comme une enveloppe vide dès que ce démon est expulsé de lui. "Il en va pareillement, tout à fait pareillement du rapport entre moi et la littérature..."
Écrivant la scène d'exécution du "Procès", où deux bourreaux obséquieux plantent un couteau dans le cœur de l'accusé, Kafka se laisse entraîner à un point tel que, quelques secondes avant la mort de son héros, il perd le recul du narrateur et tombe soudain tête en avant dans son roman : "Je levai les mains et écartai les doigts", lit-on dans le manuscrit. "Je".