Je sais que je ne rencontrerais plus jamais rien ni personne qui m'inspire de la passion. Tu sais, pour se mettre à aimer quelqu'un, c'est une entreprise. Il faut avoir une énergie, une générosité, un aveuglement... Il y a même un moment, tout au début, où il faut sauter par-dessus un précipice ; si on réfléchit, on ne le fait pas. Je sais que je ne sauterai plus jamais.
Si je pouvais m’empêcher de penser ! J’essaie, je réussis : il me semble que ma tête s’emplit de fumée… et voilà que ça recommence : « Fumée… ne pas penser… Je ne veux pas penser… Je pense que je ne veux pas penser. Il ne faut pas que je pense que je ne veux pas penser. Parce que c’est encore une pensée. » On n’en finira donc jamais ?
Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter.
Quand on vit, il n'arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. Il n'y a jamais de commencements. Les jours s'ajoutent aux jours sans rime ni raison, c'est une addition interminable et monotone.
Si seulement je pouvais m'arrêter de penser, ça irait déjà mieux. Les pensées, c'est ce qu'il y a de plus fade. Plus fade encore que de la chair. ça s'étire à n'en plus finir et ça laisse un drôle de goût.
Je suis plein d'angoisse : le moindre geste m'engage.
Si je ne me trompe pas, si tous les signes qui s'amassent sont précurseurs d'un nouveau bouleversement de ma vie, eh bien, j'ai peur. Ce n'est pas qu'elle soit riche, ma vie, ni lourde, ni précieuse. Mais j'ai peur de ce qui va naître, s'emparer de moi -- et m'entraîner où ? Va-t-il falloir encore que je m'en aille, que je laisse tout en plan, mes recherches, mon livre ? Me réveillerai-je dans quelques mois, dans quelques années, éreinté, déçu, au milieu de nouvelles ruines ? Je voudrais voir clair en moi avant qu'il ne soit trop tard.
c'est toujours trop tard ou trop tôt pour tout ce qu'on veut faire. p30
Je sais très bien que je ne veux rien faire : faire quelque chose, c’est créer de l’existence – et il y a bien assez d’existence comme ça.
Peut-être bien, après tout, que c’était une petite crise de folie. Il n’y en a plus trace. Mes drôles de sentiments de l’autre semaine me semblent bien ridicules aujourd’hui : je n’y entre plus. Ce soir je suis bien à l’aise, bien bourgeoisement dans le monde.