La corrida c'est comme le céleri, on aime ou on n'aime pas, c'est instinctif : moi c'est simple le céleri me fait vomir (en vrai), la corrida aussi (moralement). Mais je peux très bien comprendre que des gens aiment le céleri, ou que des gens aiment la corrida (plus exactement je veux bien l'accepter mais il m'est difficile de le comprendre). Quoi qu'il en soit la corrida existe. Et le concept « corrida » a inspiré plusieurs oeuvres artistiques (« Carmen » de Bizet, par exemple) et au moins deux excellents romans : « Arènes sanglantes » (1908) de Vicente Blasco Ibañez, et «
Sang et lumières » (1935) de
Joseph Peyré, auxquels il faut ajouter le récit d'
Ernest Hemingway «
Mort dans l'après-midi » (1932) et plus près de nous le reportage historique de
Dominique Lapierre et
Larry Collins « …
Ou tu porteras mon deuil » consacré à la vie d'El Cordobès. Toutes ces oeuvres ont comme point commun de présenter la corrida non pas comme simplement la mise à mort d'un animal (ce qu'elle est assurément) mais aussi l'accomplissement d'un rituel, (ce qu'elle est aussi, aussi discutable que soit ce rituel).
Sol y sombra. Ombre et lumière. C'est ainsi que se répartissent pour les spectateurs les gradins des arènes. C'est aussi un résumé fulgurant de la vie du torero (il n'y a qu'à l'Opéra que l'on voit des toréadors). L'habit de lumière qu'il revêt pour effectuer la faena face au taureau contraste avec la face cachée de son métier, particulièrement le fait qu'il remet à chaque fois sa vie en jeu (le taureau aussi, vous me direz, et lui une fois seulement). Sol y sombra, Vie et mort, Lumière et sang. Et pour les deux adversaires.
Le roman de
Joseph Peyré, comme d'ailleurs celui de Blasco Ibañez, n'est pas une apologie de la corrida. Il n'y a pas de complaisance dans l'évocation de la mort du taureau, au contraire, les deux écrivains témoignent du respect pour l'animal qui défend sa vie. Car tel est l'enjeu pour les deux combattants : défendre leur vie, même si l'un est mieux armé que l'autre (a priori, parce que ce n'est pas toujours évident). C'est le drame du torero. Il vient un moment où il est plus dans l'ombre qu'au soleil. Il est fragilisé physiquement, et surtout moralement. Jamais peut-être le sens de la vie et de la mort n'est aussi aigu que chez ces êtres sur la corde raide.
Ricardo Garcia, une gloire de l'arène en fin de carrière, est poussé par sa femme et son imprésario (apoderado, dans le texte) à faire une dernière corrida. L'histoire est racontée par don José, un de ses amis. L'adversaire, le taureau, s'il est bien réel, prend également une fonction symbolique : Ricardo se bat contre lui-même, contre ses faiblesses, il se bat contre l'adversité (nous sommes dans une Espagne en pleine crise, à la veille de la Guerre Civile), il se bat contre la Mort, sa propre mort et la mort d'un monde en passe d'être révolu.
Joseph Peyré n'a pas son pareil pour décrire avec finesse et sensibilité, cette âme espagnole, fière et hautaine, et en même temps immensément fragile, il dépeint avec vérité cette Espagne éternelle et contemporaine en même temps, il met toute son expressivité dans ces tableaux aussi dramatiques que pittoresques que représente ce double drame, celui du torero et celui du taureau.
Je comprendrai aisément que les anti-corridas ne lisent pas ce livre. Pourtant je les invite à le lire, ne serait-ce que pour l'évocation du drame humain.
Joseph Peyré a l'habitude de mettre en scène des êtres exceptionnels placés dans des situations exceptionnelles : le lieutenant Marçay dans «
L'Escadron blanc », Jos-Mari dans «
Matterhorn », et ici Ricardo Garcia dans «
Sang et lumières », tous en arrivent à un moment donné à se poser les questions essentielles.