Monumentale, la demeure des Conroy, près de Philadelphie, théâtre de ce roman frémissant d’Ann Patchett, est un pôle d’attraction et de répulsion – un sortilège à hauteur d’existence, et le miroir brisé de la famille.
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À première vue, la maison des Hollandais, dominant Elkins Park, est une demeure opulente et lumineuse, dont toutes les fenêtres s’offrent aux regards des passants. En l’achetant, Cyril Conroy s’est aussitôt enorgueilli d’habiter un domaine néoclassique avec pelouse, tableaux anciens et faïences de Delft.
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Ann Patchett jongle avec le passé et les générations, dépeint les malentendus qui existent entre des gens qui devraient s’aimer, parle de vocations gâchées.
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La maison des Hollandais, c'est d'abord une grande demeure dans la petite ville d'Elkins Park, en banlieue de Philadelphie. Elle a été construite par un couple de Néerlandais, les VanHoebeek, dont le portrait trône dans le grand salon de la maison. Grâce à ses immenses fenêtres, on peut voir « à travers » cette maison que tout le monde connaît dans la région.
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Finaliste du prix Pulitzer 2020, La Maison des Hollandais de l’Américaine Ann Patchett est notre premier coup de cœur de l’année.
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Un frère et une soeur font tourner toute leur vie autour du souvenir de leur maison d'enfance dont ils ont été chassés au décès de leur père.
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Après sa première apparition à la Maison des Hollandais, Andrea a traîné comme un virus. Dès qu’on était sûrs de l’avoir vue pour la dernière fois, et que son nom n’avait plus été prononcé depuis des mois, voilà qu’elle réapparaissait à la table du dîner, d’abord refroidie par son absence, puis se réchauffant lentement avec le temps. Andrea, au summum de sa chaleur, avait pour unique sujet de conversation la maison. Elle discutait interminablement du moindre détail d’une moulure ou calculait la hauteur exacte des plafonds, comme si nous venions de découvrir leur existence. “Ça s’appelle moulure en ove”, me disait-elle, en levant le doigt pour les désigner. Quand sa présence devenait vraiment insupportable, elle disparaissait à nouveau, et une vague de soulagement déferlait sur Maeve et moi (et, pensait-on, notre père), dans le sillage de son glorieux silence.
Je me souviens du dimanche où, de retour de la messe, on l’a trouvée assise sur l’une des chaises en fer-blanc au bord de la piscine, à moins que ce ne soit Maeve qui l’ait trouvée. Maeve avait traversé la bibliothèque et l’avait aperçue par hasard par la fenêtre. Elle n’a pas appelé notre père, comme moi j’aurais fait, se contentant de sortir dans le jardin par la porte de la cuisine.
“Madame Smith ?” a dit Maeve, en mettant sa main en visière sur ses yeux. On l’a appelée Madame Smith jusqu’à leur mariage, puisque personne ne nous avait proposé de faire autrement. Après leur mariage, je suis sûr qu’elle aurait préféré qu’on l’appelle Madame Conroy, mais ça aurait seulement intensifié le malaise, vu que Maeve et moi étions aussi des Conroy.
Maeve m’a raconté qu’Andrea avait sursauté, qui sait, elle s’était peut-être endormie. “Où est votre père ?
— À la maison.” Maeve a regardé par-dessus son épaule. “Il vous attendait ?
— C’est lui que j’attendais, il y a une heure”, a rectifié Andrea.
Comme on était dimanche, Sandy et Jocelyn avaient congé. Je ne pense pas qu’elles l’auraient laissée entrer en notre absence, mais je ne pourrais pas en jurer. Sandy était la plus chaleureuse des deux, Jocelyn la plus méfiante. Elles n’aimaient pas Andrea, et elles l’auraient probablement fait attendre dehors jusqu’à notre retour. Il ne faisait pas très froid, la journée était suffisamment belle pour s’asseoir au bord de la piscine, avec les rayons du soleil scintillant à travers l’eau bleue, et les touffes moelleuses de mousse poussant entre les dalles. Maeve lui a dit qu’on revenait de l’église.
Ensuite elles se sont regardées fixement, et aucune n’a détourné le regard. “Je suis à moitié hollandaise, vous savez, a fini par dire Andrea.
— Pardon ?
— Du côté de ma mère. Elle était cent pour cent hollandaise.
— On est irlandais”, a dit Maeve.
Andrea a approuvé de la tête, comme si un désaccord venait d’être tranché en sa faveur. Quand il est devenu évident que la conversation ne se prolongerait pas, Maeve est rentrée annoncer à notre père que Mme Smith attendait au bord de la piscine.
“Mais merde, où est-ce qu’elle a bien pu garer sa voiture ?” m’a demandé Maeve, après que notre père est sorti de la maison. Elle ne jurait presque jamais à l’époque, encore moins juste après la messe. “Elle se gare toujours devant la maison.”
Alors on est partis à la recherche de la voiture, d’abord au bout de la propriété, puis derrière le garage. Quand aucun des endroits évidents n’a marché, on a redescendu l’allée, le gravillon crissant sous nos semelles du dimanche, jusqu’à la rue. On n’avait aucune idée de l’adresse d’Andrea, mais on savait qu’elle ne vivait pas dans le coin et qu’elle n’avait pas pu venir à pied. On a fini par trouver son Impala crème garée un pâté de maisons plus loin, le coin gauche du capot tout froissé. Maeve s’est accroupie pour inspecter les dégâts et je suis allé jusqu’à toucher le pare-chocs qui avait subi l’accrochage, admirant les phares épargnés. À l’évidence, Andrea avait heurté quelque chose et elle voulait nous le cacher.
On n’a rien dit à notre père concernant la voiture. Après tout, il passait sa vie à tout nous dissimuler. Il ne parlait jamais d’Andrea, ni lors de ses disparitions, ni lors de ses réapparitions. Il ne nous disait pas s’il avait prévu de lui faire jouer un rôle dans notre avenir. Quand elle était là, il faisait comme si elle avait toujours été là, et quand elle disparaissait, on n’avait jamais envie de lui rappeler son existence, de crainte qu’il ne la réinvite. Je ne crois pas qu’Andrea l’intéressait tant que ça en vérité. Ce que je crois, c’est qu’il était incapable de se mesurer à sa ténacité. La stratégie de notre père, pour ce que j’en savais, consistait à l’ignorer jusqu’à ce qu’elle disparaisse. “Ça ne marchera jamais”, m’a dit Maeve.
La seule chose qui intéressait vraiment notre père dans la vie, c’était son travail : les immeubles qu’il construisait, et possédait, et louait. Il était rare qu’il vende quelque chose, choisissant plutôt d’utiliser ses biens pour en acquérir de nouveaux. Quand il avait rendez-vous avec la banque, le banquier se déplaçait chez lui, et mon père le faisait attendre. Mme Kennedy, la secrétaire de mon père, offrait une tasse de café au banquier en lui disant qu’il n’y en avait plus pour longtemps, ce qui n’était pas toujours vrai. Le banquier se retrouvait contraint à rester assis dans la petite antichambre du bureau de mon père, son chapeau à la main.
Toutes les injustices que Maeve et Celeste avaient pu commettre l’une envers l’autre des années auparavant étaient devenues des abstractions. Elles s’étaient désormais habituées à leur détestation réciproque. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que si ces deux femmes s’étaient rencontrées en dehors de moi, elles se seraient beaucoup appréciées, ce qui avait d’ailleurs été le cas au début. Elles étaient intelligentes, et drôles, et férocement loyales, ma sœur et ma femme. Elles mettaient leur amour pour moi au-dessus de tout, sans jamais reconnaître la souffrance que je ressentais à les voir s’entredéchirer. À mes yeux, elles étaient toutes les deux responsables. Elles auraient pu arrêter. Elles auraient pu faire le choix de mettre leur rancune de côté. Mais non. Elles s’accrochaient à leur amertume, autant l’une que l’autre.
Je n'avais jamais de temps pour moi à l'époque, et je refusais de passer le peu que j'avais de disponible assis en face de cette fichue maison, pourtant c'est toujours là qu'on échouait : comme les hirondelles, comme les saumons, on était les esclaves impuissants de nos schémas migratoires.
Cette nuit-là, dans le lit de ma sœur, j’ai fixé le plafond en ressentant pour de bon la disparition de notre père. Pas celle de son argent ni de sa maison, mais celle de l’homme à côté duquel je m’asseyais en voiture. Il m’avait tellement protégé du monde que j’ignorais totalement ce dont le monde était capable. Je ne m’étais jamais dit que lui aussi avait été enfant. Je ne lui avais jamais posé aucune question sur la guerre. Je l’avais vu uniquement comme mon père, et c’est au titre de père que je l’avais jugé. C’était irréparable, et ça s’ajoutait au catalogue des erreurs que j’avais commises. (p. 95)
« La maison des Hollandais était impossible.
Les murs des toilettes pour dames étaient des bas - reliefs, des hirondelles sculptées dans le noyer, des hirondelles passant à travers des tiges fleuries vers un croissant de Lune .
Les panneaux avaient été taillés en Italie au début des années 1920,et expédiés dans des caisses en vue d’être installés dans les toilettes du rez- de - chaussée dès la maison des VanHoebeek .
Combien d’années de la vie d’un individu avaient - elles été sacrifiées à sculpter ces murs dans un autre pays ? .
Est - ce que c’est ça que notre mère avait voulu dire? » ….
Bande annonce du film Bel Canto (2018), adaptation du roman d'Ann Patchett