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Denise Van Moppès (Traducteur)
EAN : 9782859406172
416 pages
Phébus (17/02/2000)
3.27/5   122 notes
Résumé :
Nous sommes à Londres, dans les dernières années du XVIIIe siècle, et nous assistons à l’ascension d’une gamine partie quasi du ruisseau mais que son intelligence et sa volonté vont porter au premier rang : jusqu’entre les bras du duc d’York, fils du roi et chef des armées britanniques en lutte contre Napoléon. Trahie, elle défraiera la chronique à la faveur d’un procès mettant en cause son amant, sera traînée dans la boue par les bien-pensants, se battra la rage au... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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Sacrée Mary Anne! Toute courtisane immorale qu'elle est, on en voudrait toutes des trisaïeules comme celle-là, et Daphné du Maurier fait bien de mettre en avant la sienne dans cette passionnante biographie romancée dans laquelle transparait l'admiration et toute l'ironie de l'auteure, féministe avant l'heure.

Née dans les faubourgs de Londres, la jolie et dévergondée Mary Anne comprend vite que dans cette société où seuls les hommes règnent, elle ne pourra compter que sur elle-même... et sur quelques hommes bien choisis pour assouvir ses besoins matériels.
Une fois mise au rencart une mauvaise expérience de mariage avec un sombre ivrogne, Mary Anne prend ses gosses et sa liberté sous le bras et s'en va, comme un Georges Duroy au féminin, gravir l'échelle sociale par les hommes, jusqu'au plus haut sommet de l'Etat.
Or, une place dans le lit du duc d'York ne vaut pas un siège dans la bonne société. Laquelle bonne société, toute peuplée de parasites, de pleutres et de faquins qu'elle est, mettra autant de talent à exploiter la place de choix qu'occupe la courtisane qu'à instrumentaliser ses moindres faux pas. Lesquels faux pas ne manqueront pas, la belle ayant des besoins démesurés pour assurer son train de vie de princesse de la nuit.

Plus encore qu'à son destin hors norme, on s'attache à la personnalité de cette femme égoïste, frivole, amorale, mais portant fièrement sa désinvolture et farouchement attachée à assurer sa liberté et l'avenir de ses enfants. Et l'on dévore ce roman illuminé par son héroïne sensuelle et tragique.
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Je retrouve avec plaisir pour la seconde fois la plume de Daphné du Maurier. Et j'ai plaisir à penser qu'il me reste beaucoup de ses livres à lire.
Ici il s'agit d'une histoire qui la touche de près puisque c'est la vie de son arrière grand mère. Mary Ann Clark née dans une famille modeste, vit entre sa mère qui déclare avoir connu des jours meilleurs et un beau-père gentil mais peu raffiné et un peu porté sur la boisson qui finira par abandonner sa famille.
Assez vite Mary Ann décide d'échapper au destin de sa mère. Elle choisit le seul moyen accessible aux filles à l'époque, le mariage. Malheureusement sa vie ressemble de plus en plus à celle de sa mère. Aussi quitte t'elle son mari avant de suivre le conseil d'un entremetteur et de commencer une carrière de courtisane. Jusqu'à l'apothéose quand on lui fait rencontrer son altesse le duc d'York fils du roi Georges III et qu'elle le séduit. Mais j'ai bien dit on lui fait rencontrer, elle est manipulée afin de discréditer la royauté.
Parce que son amant lui verse une pension très insuffisante, elle est contrainte de monnayer son influence auprès du duc, chef des armées pour faire obtenir nominations et mutations. La fin du livre est donc le récit des procès auxquels elle devra faire face, lorsque le duc l'aura abandonnée.
Cette femme à la fois très forte et très intelligente est aussi vulnérable du fait de son sexe qui réduit ses possibilités d'échapper à un destin médiocre. A la fin de sa vie lorsqu'elle est exilée en France son comportement est un peu décevant. Mais on peut mettre à son crédit son indéfectible dévouement tout au long de sa vie à sa famille, celle d'origine, en particulier à son incapable de frère, comme celle qu'elle a fondé.

Un très bon livre par son sujet et par son style.

Challenge ABC 2017-2018
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Daphné du Maurier est une référence dans la littérature anglaise et j'ai commencé ma lecture confiante et pratiquement sûre de vivre un joli moment de littérature anglaise. Dans sa bibliographie Manderley for everTatiana de Rosnay parle du roman Mary Anne qui m'était totalement inconnu, même de nom et j'avais besoin d'une lecture de pur plaisir…… Déception !

L'auteure construit son roman autour du portrait de son arrière grand-mère, Mary Anne Clarke, de basse extraction et qui devint grâce à ses charmes et son intelligence, la maîtresse du Duc d'York, Frédéric, fils du roi George III et en charge des armées à la fin du XVIIIème siècle mais aussi de biens d'autres hommes afin de pouvoir mener grand train et pour assurer à ses enfants un avenir.

C'est pour moi une déception car je n'ai pas retrouvé le style qui fit la renommée de l'auteure avec surtout en 1938, Rebecca, dont l'intrigue et le côté « gothique » et mystérieux du récit ainsi que son style la propulsèrent sur le devant de la scène de la littérature anglaise. J'ai failli à plusieurs reprises laisser tomber surtout à partir de la moitié du roman (il comporte 519 pages)…..

Pourtant tout démarrait bien : une ouverture en forme d'album souvenir de Mary Anne dans l'esprit des trois hommes qu'elle dit avoir « vraiment » aimés puis son enfance puis son installation comme courtisane et son histoire d'amour avec le Duc d'York jusqu'à leur séparation. J'étais sous le charme de cette femme ambitieuse, sûre de ses charmes, volontaire à vouloir sortir de sa condition. Et ensuite, et c'est là que l'ennui est survenu, pendant près de 200 pages, à tenter de suivre les nombreux procès dans lesquels elle se trouvait mêlée que le Duc d'York l'ai abandonnée.

Que ce fut long, mais long, pourquoi donné autant de noms, de détails, ce sont presque les minutes complètes des actions en justice. J'ai fermé parfois le livre en voulant laisser Mary Anne à son triste sort, lui soufflant d'arrêter cet acharnement, et puis quoi c'est tout de même Daphné du Maurier, alors je l'ai repris, continué mais avec distance, sans plaisir mais presque comme une obligation, sans grand intérêt pour cette héroïne entêtée à vouloir se faire reconnaître ses droits et les devoirs de ceux qui lui avaient promis argent et sécurité.

J'avoue, oui j'avoue, j'ai parfois sauté des paragraphes entiers, voir quelques pages tellement je ne voyais pas l'intérêt de s'éterniser sur tout cela et vous savez quoi et bien je n'ai eu aucun mal à comprendre la dernière partie (qui suit son dernier procès jusqu'à son exil en France). Ce qui prouve, pour moi, qu'il n'était pas nécessaire de s'appesantir sur cette période qui ne fait qu'alourdir et perdre le lecteur.

Daphné du Maurier veut, je pense, à travers cette biographie, réhabilitée son aïeule, mettre en avant son intelligence, sa vivacité face aux événements et son sens des « affaires » mais j'ai trouvé l'ensemble soit trop fouillé soit par moment « bâclé » quant à l'écriture. Je n'ai pas retrouvé la patte de cette écrivaine de talent. On peut être une excellente romancière mais pas une bonne biographe. Il faut avoir une certaine habilité pour donner à l'ensemble une fluidité, savoir doser les informations sans alourdir le récit. Là j'ai eu l'impression qu'elle alignait les renseignements collectés et cela donnait un ensemble assez brouillon, sans liaison, je me perdais dans tous les noms des personnages cités etc…. A sa décharge il faut avouer que la dame avait eu beaucoup de « relations ».

A travers ce portrait on peut imaginer que l'auteure a voulu parler d'une femme à la forte personnalité mais c'est une narration assez froide, sans sentiment que ce soit de la part de Daphné du Maurier mais aussi vis-à-vis du personnage principal. Elle lui fait dire qu'elle a aimé trois hommes dans sa vie mais ce n'est pas ce qui ressort de Mary Anne. Je l'ai trouvé calculatrice, revancharde mais pas très sentimentale. Tout n'était que calcul et intérêts….

De l'attachement à ses enfants, à leur avenir, à sa propre condition… Oui mais je l'ai trouvée parfois écervelée et inconséquente. Oui les hommes l'ont utilisée puis reniée et abandonnée mais il faut lui reconnaître également un art de la manipulation, du mensonge, des falsifications etc…. pour obtenir ce qu'elle voulait.

J'ai été jusqu'au bout, parce que j'ai cru jusqu'au bout que j'allais retrouver Daphné du Maurier mais si ce ne fut pas le cas ici ce sera ailleurs, dans un autre de ses romans.
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Je ne pensais pas décrire un jour l'ennui que j'ai ressenti en lisant un roman de cette auteure que j'aime beaucoup par ailleurs !! Mais ce fut le cas pour ce roman-ci !
Bien que la vie de son arrière grand-mère ne fut pas banale, je me suis ennuyée à la description linéaire de ses ennuis judiciaires (un petit rappel des faits d'armes de cette dame : née Mary Anne Thompson, Mme Clarke est devenue en 1803 la maîtresse du duc d'York, fils du roi. Six ans plus tard, éclate un scandale national lorsqu'il est découvert qu'elle avait vendu des commissions militaires. le duc fut obligé de démissionner mais fut plus tard exonéré. M.A. Clarke fut poursuivie pour diffamation et emprisonnée pendant 9 mois... merci Wikipedia...). Je n'ai pas retrouvé le style que j'aime chez Daphné du Maurier, et la complexité de ses personnages féminins. J'ai refermé ce livre sans émotion aucune, sans empathie ni intérêt pour ce personnage.
Août 2021 :
Pas étonnant que ce roman m'ait tant ennuyée car, dixit Tatiana de Rosnay dans la bio qu'elle a consacrée à Daphné du Maurier, Manderley for ever, cette dernière traversait une période de pages blanches et de manque d'inspiration : "Le coeur n'y est pas, écrire devient une corvée. En dépit de l'ample documentation glanée par Oriel et Derek en bibliothèque, Daphné avance laborieusement. Elle confie à ses éditeurs que c'est un roman rédigé avec la tête, mais pas le coeur (...) Une mauvaise grippe cloué Daphné au lit pendant plusieurs semaines en mars 1953 et lorsqu'elle reprend le travail, en avril, sa plume lui paraît affadie, douceâtre, dépouillée de sa vigueur habituelle (...) Ce livre sera-t-il aussi pénible à lire qu'il est à écrire ? Ses lecteurs ne vont-ils pas s'ennuyer ferme ?"... Daphné du Maurier avait vu juste... on s'ennuie beaucoup hélas avec le récit raté de cette héroïne à la vie pourtant pimentée...
et pour enfoncer un peu plus le clou, toujours dixit Manderley for ever : " Daphné termine douloureusement Mary Ann à l'automne 1953 (...) Daphné, peu intéressée par ce livre, trouve qu'il est dénué d'intérêt, et se lit comme un reportage journalistique ".

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Avec ce roman, Daphné du Maurier nous entraîne une nouvelle fois dans son passé familial. Elle narre ici la vie de son ancêtre Mary Anne Mackenzie qui par son intelligence, sa force de caractère et sa beauté va se hisser dans les plus hautes sphères de la société londonienne.

Après une enfance dans les bas quartiers de la capitale, elle espère échapper au même sort que sa mère en épousant un riche héritier qui se révèle bien vite être tout le contraire. Loin de baisser les bras, elle tente de faire fonctionner son mariage mais l'alcoolisme de son mari ne fait qu'empirer les choses. le laissant aux bons soins de sa belle famille, elle part avec ses enfants pour s'installer dans une luxueuse demeure du quartier chic de Tavistock Place. Là, elle y tient salon et devient une courtisane renommée chez qui se pressent de nombreuses personnalités de l'aristocratie et de l'armée. C'est sans surprise donc qu'elle devient la maîtresse officielle du duc d'York, fils du roi et chef des armées. Ce dernier délaisse son épouse en province pour vivre avec ses maîtresses et son travail à Londres. Mary Anne n'est pas la première ni la dernière. Cependant, sa nouvelle position qu'elle croit naïvement durable va lui apporter tout ce qu'elle a toujours désirée pour sa famille et pour elle. En effet, elle a la charge de sa mère, de ses enfants et de son frère qui se reposent entièrement sur elle. L'avenir de son frère dans l'armée, un père par substitution pour ses enfants, un amant peu présent, Mary Anne s'habitue rapidement à ce mode de vie.

Si l'emploi du temps du chef des armées lui permet de s'occuper à loisir durant ses journées, Mary Anne passe cependant son temps à temporiser les incessantes relances des commerçants lui ayant fait crédit, à s'occuper des préparatifs du dîner, à gérer les domestiques et à recevoir les membres de l'armée désireux d'acheter une promotion rapide. le train de vie que lui impose le duc étant incompatible avec sa bourse, elle n'a d'autres choix pour conserver son rang de répondre à ces demandes. Habile et maline, elle arrive à se faire entendre de son royal amant probablement conscient que ces nombreuses listes d'officiers à promouvoir lui permettent de calmer pour un temps ses demandes de crédits supplémentaires. Malgré des rancoeurs et des frustrations refoulées, elle s'accommode de ce statut de maîtresse fait d'une partie d'ombre et de beaucoup de tracas. A la différence des précédentes maîtresses, sa position et l'emprise qu'elle peut avoir sur le duc ne sont pas du goût de ses collaborateurs les plus proches d'autant plus qu'ils voient leurs fructueux à-côtés s'envoler puisque les officiers vont désormais voir Mary Anne. Les lettres de menace de son époux vont par un heureux hasard leur permettre d'éliminer cette maîtresse devenue gênante.

Mary Anne ne se laisse pas faire mais elle est vite remplacée par une comédienne et tenue à l'écart du duc. Toujours combattive et désireuse de faire entendre les outrages qu'elle a subis, Mary Anne engage une série de combats presque tous perdus d'avance pour faire reconnaître l'innocence de son frère dans une affaire d'escroquerie et pour le voir rétablir dans l'armée. Elle accepte d'être le témoin principal dans une affaire qui vise à destituer son ex-royal amant. Au coeur de ce procès qui vise à révéler la corruption du duc et de son entourage concernant les promotions dans le corps des armées, elle tient tête au scandale et accuse sans broncher les coups notamment l'accusation de faux et d'usage de faux. Elle en sort épuisée mais elle obtient enfin la pension que le duc d'York avait promis de lui verser en échange des lettres et du manuscrit de ses mémoires qu'elle était prête à éditer. Entêtée, elle refuse de se laisser abuser et continue à se battre pour que ses droits et ceux de ses enfants soient reconnues jusqu'à finir en prison avant de s'exiler en France.

Portrait d'une féministe avant l'heure, à l'époque où la femme n'avait sa place que dans le foyer, Mary Anne montre cependant un côté pathétique dans son obstination à obtenir une reconnaissance du duc d'York malgré le scandale dont elle l'éclabousse. Lorsqu'elle vient rendre un dernier hommage à la dépouille du duc au palais royal de Saint James, on est amené à se poser la question est-elle le seul homme qu'elle n'est jamais aimé ou est-ce la seule époque heureuse de sa vie ?

Si Mary Anne est l'exemple de la femme qui s'écarte du droit chemin, elle est aussi celui d'une femme dont les hommes usent et abusent pour arriver à leurs fins dans leurs affaires politiques et de coeur sans jamais lui offrir une quelconque reconnaissance. Malheureusement pour eux, elle n'aura de cesse de réclamer son dû quitte à défrayer la chronique...
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Citations et extraits (68) Voir plus Ajouter une citation
Les matins avaient toujours le même parfum frais et excitant, et la mer de Boulogne étincelait comme jadis à Brighton. Elle quittait ses souliers, sentit le sable sous ses pieds nus, l'eau entre ses orteils. "Mère !" s'écriaient les vierges et vestales accourues en agitant leurs ombrelles... mais c'était cela, la vie, cette exultation soudaine, cette joie sans cause qui vous animait le sang, à huit ans comme à cinquante-deux. Cela s'emparait d'elle à présent comme toujours, flot ardent, griserie. Ce moment compte. Ce moment et pas un autre.
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e lord juge la regarda fixement en lui demandant :
— Sous la protection de qui êtes-vous présentement, madame ?
Le témoin leva les yeux et répondit doucement :
— Je croyais, Mylord, être sous la vôtre.
Ce fut cette réplique qui, plus que toute autre chose, détermina le cours
de l’action. Les rires donnèrent le ton, et le procès, pareil à un ruisseau
rapide, suivit son cours.
Le procureur général mettait en valeur l’esprit du témoin, lui tendait la
perche, et le public d’applaudir. Le lord juge n’y pouvait plus rien. Le
couple jouait une comédie qui défiait toute intervention ; tous deux
fonctionnaient comme l’essieu et la roue, et il était impossible de les
dissocier. Ils jonglaient avec les sous-entendus, les mots à double sens,
savouraient l’esprit l’un de l’autre, le tout aux dépens du prévenu.
Ainsi, le colonel Wardle se rendit à la remise, Mrs Clarke ? Dites-nous
donc quels meubles il choisit ? Le colonel Wardle apprécia une commode.
Comportait-elle un miroir ? Parlez-nous du tapis brun et rouge que le
colonel Wardle exigea pour la chambre à coucher. Il était trop grand pour la
pièce, il fallut le mettre aux mesures, en recouper un morceau, sur les
instructions du colonel. Et le lit ? Il y manquait les pieds. Le colonel Wardle
proposa des pieds de lampe retournés. Cela convenait parfaitement, à
condition de n’y pas exercer une pression trop forte. Quel avait été l’avis de
Francis Wright, à ce sujet ? Francis Wright était célibataire et habitait avec
son frère Daniel, ils couchaient dans des lits jumeaux et connaissaient mal
la question. Mais le colonel Wardle savait qu’on pouvait employer des pieds
de lampe. Il avait habité Cadogan Square, au-dessus d’un café, il était
d’ailleurs un des meilleurs clients de l’élégant établissement ou ces objets
étaient d’un usage courant. Avec quelques précautions, il n’y avait rien à
craindre. Le colonel Wardle avait-il admiré une statue de marbre ? Oui,
Aphrodite naissant de l’écume de la mer, de même qu’un petit bronze
représentant Léda et le cygne. Ces deux objets d’art feraient le meilleur
effet, vus de profil, sur une cheminée, avait estimé le colonel Wardle.
Mrs Clarke hésitait à les exposer chez elle, à cause des enfants – les jeunes
esprits se faisaient si facilement des idées –, mais le colonel Wardle était
d’un tempérament ardent et avait besoin d’inspiration pour composer ses
discours.
Westbourne Place avait donc été pour lui une sorte de second domicile ?
Oh ! sans contredit, et non point à la demande du témoin. Le colonel
apparaissait toujours aux heures les moins opportunes. Il avait été découvert
par une servante, à huit heures du matin, en train d’examiner à la loupe le
cygne de Léda…
Ainsi de suite, jusqu’au moment où le lord juge scandalisé leva la main
pour imposer silence et fit évacuer la salle.
Le témoin se retira et les débats commencèrent. Le frère Wright fit une
déposition sobre et grave et quand Mr Park, avocat de la défense, se leva
pour plaider, il savait sa cause perdue. Son client était battu avant d’avoir
dit un mot. Le colonel Wardle balbutia, bégaya ; son « Je le nie »
indéfiniment répété était à peine audible.
Des billets désespérés passaient entre les avocats. Les témoins Glennie et
Dodd ne furent même pas appelés ; leur témoignage était considéré comme
de nature à nuire à la cause, puisqu’il n’était plus question de la sauver. Les
derniers discours furent brefs. L’éloquence était inutile. La cause était
entendue et le lord juge jeta ses cartes.
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Elles déménageaient continuellement. Aucun logis ne les abritait
longtemps. Une agitation sans fin lui remplissait le cœur et l’esprit – ce
qu’Ellen appelait « l’éternelle insatisfaction de Mère –, de sorte qu’une fois
de plus on fermait et cordait les malles, on remplissait les caisses, et que
toutes trois repartaient en un nouveau pèlerinage vers quelque inaccessible
Eldorado. Bruxelles aujourd’hui, Paris demain, ou bien, le désir la prenant
de quelque lieu encore inconnu, elles roulaient le long des routes
poussiéreuses de France, cahotées dans une diligence aux fenêtres fermées,
le visage avide de Mary Anne, plus enthousiaste que ses filles, pressé contre
la vitre.
« Hôtel de la Toison d’or, c’est là que nous descendons », uniquement
parce que la place aux gros pavés avait un air mystérieux, que des femmes
lavaient leur linge dans un ruisseau, et que des paysans en vêtements bleu
de cobalt montraient d’éclatants sourires dans leurs visages brûlés par le
soleil. Non loin, un château se dressait sur une colline, résidence de quelque
baron ou d’un comte un peu défraîchi à qui l’on pourrait rendre visite et qui
serait peut-être amusant, car elle ne se laissait démonter par rien, pas plus
par le protocole français que par un autre et, sa carte de visite à la main, se
présentait hardiment à l’étranger le moins affable.
Ses filles souffraient les yeux baissés, muettes d’orgueil blessé, tandis
que leur mère parlait d’abondance un français d’origine inconnue, à l’accent
impeccable, et à la grammaire défectueuse, accompagné de force gestes.
« Ravie de faire votre connaissance, monsieur ! » Et le monsieur de
s’incliner, beaucoup moins ravi. Son château, jusqu’ici impénétrable sauf à
quelques tantes vieilles filles et à un vénérable curé, se trouvait soudain
livré sans défense à des yeux perçants qui parcouraient ses salles et
chiffraient ses objets d’art. Cependant, la honte de ses filles ulcérées
atteignait à son comble lorsqu’elle leur soufflait derrière sa main, un aparté
de théâtre : « Un veuf ! Cela pourrait faire l’affaire d’une de vous. »
Plombières-les-Bains, Nancy, Dieppe, villes d’eaux choisies au hasard
sur la carte, à cause d’un propos entendu deux ans auparavant, oublié et
revenu soudain à la mémoire.
— Mais qui donc habite Nancy ? Le marquis de Videlange ? Un être
absolument exquis, à côté de qui je me suis trouvée un soir à souper et qui
n’a pas prononcé une seule fois les mots : ancien régime. Nous irons le voir.
Mary et Ellen échangeaient un regard d’horreur et s’écriaient :
— Mais, maman, c’est impossible, il découvrira qui vous êtes.
— Et quand bien même, chéries ? Ce n’en sera que plus amusant.
Les vieux mots d’esprit, les anecdotes usées sortaient alors, le récit des
scandales d’autrefois, les fêtes et les folies, la vie de Londres, vingt ans
auparavant, un monde révolu et dont se souvenaient à peine les deux jeunes
filles à la mémoire assombrie par une image de murs de prison, par des
horreurs indescriptibles, par une créature diaphane qui ne pouvait pas se
tenir debout, dont les yeux vitreux regardaient autour d’elle sans paraître
rien reconnaître, une créature qu’on venait de sortir de l’enfer.
Était-il vrai, comme les docteurs l’avaient dit à oncle Bill, que la pensée
supprimait ce qu’elle redoutait de se rappeler ? Ou bien ne parlait-elle
jamais de ces sombres mois parce qu’il lui en souvenait trop bien et pour
épargner ses filles ? Celles-ci, même entre elles, n’y faisaient jamais
allusion, et, lorsque leur mère se lançait dans un récit du passé, racontant
ses histoires favorites, se moquant de la Cour d’une époque évanouie, la
crainte les raidissait parfois. Que se passerait-il si un étranger indiscret
touchait soudain à leur secret et murmurait le mot « emprisonnement » ; les
digues se rompraient-elles alors, libérant des îlots troubles de souvenirs ?
Mieux valait céder à ses caprices, courir le continent en quête de
nouveaux décors et d’expériences inconnues. L’on passait un été ici, un
hiver ailleurs. « On ne sait jamais », disait-elle à ses filles… Un grand
d’Espagne pourrait être séduit par les yeux de Mary, ou un prince russe
répandre des roubles sur les genoux d’Ellen.
En route donc ! D’hôtel en appartement garni, la vie vagabonde
continuait dévorant leurs trois pensions jusqu’au dernier sou.
Déménagements à la cloche de bois, notes souvent impayées, reliques du
passé sorties de leur cachette et monnayées, bagues passant d’une main à
l’autre, bracelets vendus, marchés sordides conclus avec des bijoutiers
sceptiques.
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Une obstination, une fierté, foncièrement anglaises, lui firent retraverser
la Manche, sous le nom de Mme Chambres, braver le ciel de plomb et la mer
agitée, affecter un accent, dissimuler sous un long voile de veuve le visage
que personne ne se rappelait plus.
Elle se perdit dans la foule, poussée deçà, delà, bousculée et bousculant.
Il n’y avait point de service d’ordre dans Pall Hall ; chevaux cabrés,
embarras de voitures, tout était confusion, vacarme et chagrin. Il y avait là
dix mille personnes, vingt mille, et il en venait toujours qui refusaient de
s’en retourner. Au-dessus de cet océan de têtes flottaient de sombres
bannières marquées de ces mots, en lettres violettes : « À l’Ami du
Soldat », portées par des soldats précédant les cadets de l’école de Chelsea,
cinq cents petits garçons pâles et graves, les plus jeunes accompagnés de
leurs gouvernantes en chapeaux de paille noire et robes rouges comme en
portait Martha en 1805.
Elle se sentit portée vers Saint James, son châle glissait son voile était
perdu, quelqu’un glapissait dans son oreille, et l’on soulevait en l’air un
enfant évanoui, suivi par un autre et un autre encore, tandis qu’une femme
était écrasée sous les pas de la foule.
Quelqu’un cria derrière elle. « On va fermer les portes… Nous
n’entrerons jamais ! » Émotion, bousculades, têtes qui se tournent de tous
côtés, corps hésitants. « Avancez… Reculez… On va faire appeler la
garde… » Elle continuait de lutter pour se frayer un chemin. Son châle lui
avait été arraché, elle avait perdu un soulier, elle s’en moquait résolue,
entêtée. « Eh bien, qu’on l’appelle ! »
Elle parvint enfin dans la cour de Saint James, se poussa jusqu’à
l’escalier. Les marches montaient entre une double haie de gardes et de
soldats, crêpe au chef et aux hallebardes, crêpe aux épées.
La foule était devenue étrangement grave et recueillie. Le silence régnait
dans le palais de Saint James. L’appartement de parade était faiblement
éclairé par des cierges. Elle se trouva tout à coup devant son épée, posée sur
le catafalque avec sa couronne et son bâton. Ces derniers objets étaient des
attributs de parade, symboles de son état ; l’épée était un objet personnel,
elle appartenait à l’homme qu’elle avait connu.
Elle songea : « Je la tenais dans mes mains » et s’étonna de la
reconnaître, car elle avait ici quelque chose d’imposant à la lueur des
cierges, un aspect austère, étrangement solitaire et insolite.
Elle l’entendait frapper les marches à l’heure du petit déjeuner, ou tinter
dans le vestibule. Elle entendait le bruit qu’elle faisait lorsqu’il la posait ;
elle la voyait lancée à Ludovic pour qu’il l’astiquât ou bien appuyée debout
au mur du cabinet de toilette, ou encore sortie du fourreau pour que George
l’admirât. Elle n’était pas à sa place sur ce drap mortuaire. L’épée
appartenait à la vie et non au deuil.
Là étaient ses décorations, là, le ruban de la Jarretière, mais quelqu’un la
poussa et elle ne pouvait pas revenir en arrière. Il y avait trop de gens
derrière, la pressant d’avancer et de descendre l’escalier, parmi des
centaines d’autres gens. Un regard à son épée, et ç’avait été tout. Quel
étrange adieu !
Elle se retrouva dehors, poussée par la foule dans la direction de Charing
Cross. Elle songea : « Et maintenant ? J’ai fait ce que j’étais venue faire. Je
n’ai plus de raison de rester. La visite est terminée. »
Elle alla s’asseoir sur les marches de l’église Saint Martin, entourée
d’hommes grommelant et de femmes fatiguées, d’enfants pleurant pressés
contre ses genoux, tous serrés les uns contre les autres pour se tenir chaud et
s’abriter des bourrasques et de la pluie qui commençait à tomber à torrents.
Une femme à son côté lui offrit du pain et du fromage, et un homme une
gorgée de bière. « À la santé de tout le monde », dit-elle. Quelqu’un rit. Le
soleil brilla tout à coup et une femme se mit à chanter. Elle songea à ses
vierges et vestales restées à Boulogne, à George, martial et guindé, mais ils
perdirent soudain toute réalité, et George lui-même. Elle était de retour chez
elle, au cœur de Londres.
— Vous venez de loin ? lui demanda son voisin en suçant une orange.
— Non, du coin, dit-elle. Impasse de Bowling Inn.
Les cloches de Saint Martin se mirent à sonner le glas. Elle restait assise
là, mangeant son pain et son fromage dont elle jetait la croûte aux pigeons,
et elle regardait des milliers de passereaux s’éparpiller dans le ciel.
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Dominée par son fils, elle le regardait d’un œil adorateur. Qu’il était
beau dans son élégant uniforme ! Il était toujours l’officier le plus distingué
de son régiment ! « Mon fils est au 17e Lanciers. Il fait une très belle
carrière. Capitaine à vingt-sept ans. » Mais ce qui lui plaisait le plus, pour
l’instant, c’était son indifférence envers les femmes. Point de haïssable bru
avec qui partager ses permissions. Sa mère régnait seule sur sa vie. Pourvu
que cela durât.
Mais les filles… Elle continuait à espérer des aristocrates anglais ou des
étrangers millionnaires, ou tout simplement des hommes. (Ils finirent par se
présenter : un certain Bowles qui aima Mary et l’abandonna et, pour Ellen,
un Français léger appelé Busson du Maurier.)
L’ennui c’est que, sa jeunesse passée, Mary Anne déracinée, exilée en
terre étrangère, avait beau se plonger dans le présent, s’intéresser
activement aux événements du jour, suivre la ronde des saisons, donner des
réceptions, écrire à des amis, ses pensées retournaient toujours au passé.
Je me rappelle… Elle s’arrêtait. Les souvenirs assommaient la jeunesse.
Qui cela intéressait-il de savoir qu’à Vauxhall les dandies se mettaient sur la
pointe des pieds pour la regarder passer ? Qu’importait qu’une foule
enthousiaste eût escaladé les roues de sa voiture dans la cour du Palais, et
qu’elle eût triomphé à la Chambre des communes, seule femme contre un
monde d’hommes ? Il valait mieux faire oublier tout cela, lui avait dit
George. Tout le monde était très discret dans son régiment ; pourquoi ne pas
jeter un voile sur le passé ? Elle accepta le conseil. Mais parfois, seule dans
son lit, une étrange nostalgie l’envahissait et, abattue par le silence où une
horloge égrenait la nuit de Boulogne, elle songeait : « Plus personne ne se
soucie de moi. Le monde que j’ai connu n’est plus. Nous voici à demain. »
Tout était-il vraiment perdu ? Ne restait-il rien ? Aucuns fragments épars
du passé ne demeuraient-ils accrochés dans quelque coin sombre pour que
d’autres mains les rassemblassent un jour ? Un instant, son frère Charley
était un gamin pendu à ses jupes dans l’impasse de Bowling Inn ; un instant
plus tard, une facture de soixante-dix livres lui parvenait dans la lettre d’un
homme de loi : « Chère Madame, ci-inclus la note des dépenses pour
prouver le décès et l’identité de Charles Farquhar Thompson. »
Lequel des deux était Charley, connu, aimé ? Et quel rapport y avait-il
entre un corps défiguré trouvé au bord de la Tamise et un petit garçon ?
Bill était venu la chercher à la prison. Il lui tenait les mains. Il avait tout
arrangé pour son passage en France. Toujours pareil à lui-même, toujours
constant, il disait : « Si vous avez besoin de moi, dites-le-moi, j’accourrai
sur-le-champ. » À quoi bon de telles paroles, alors qu’il ne pouvait pas les
nourrir ? Et voilà que Bill, si solide, si fidèle, était devenu : « Votre défunt
ami qui nous a été arraché de façon si soudaine… Estimé de tous… La ville
d’Uxbridge… Les obsèques… » Où étaient à présent l’inépuisable
tendresse, l’inépuisable patience ? Parties avec « le cher défunt » pour sa
dernière demeure, ou bien toujours autour d’elle dans l’ombre,
impérissables ?
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