Les textes de
Philippe Marczewski déployent le temps et l'espace, les cartographient et les parcourent. C'est leur marque de fabrique et dans ses trois livres le lecteur est conduit ici, puis là, découvre et visite des époques et des lieux. L'écriture, fluide, le porte et le transporte; c'est très confortable, il lui suffit de s'abandonner à son cours.
À chaque fois le sujet de l'ouvrage réussit son « passage à l'écriture » : le réel, ou l'imaginaire, se fait littérature - structure, rythme, voix. le texte tient par lui-même, vit par lui-même. Mission accomplie, pourrait-on dire, mais de mon point de vue, subjectivement parlant donc, l'incontestable talent d'écrivain de l'auteur a son revers : dans
Blues pour trois tombes et un fantôme et
Un corps tropical, ses deux premiers ouvrages, son écriture est un peu trop confortable, il y a derrière comme un petit moteur qui ronronne et doucement endort. Manque une secousse pour que le texte s'extraie de sa réserve et se jette sur sa proie, une étincelle pour qu'il s'embrase et s'illumine. L'agréable moelleux de l'écriture, son coulant mêlé de retenue, en somme l'équilibre douillet du livre tient un peu trop à distance les choses : j'ai lu ces livres comme on visite un petit musée : un lieu protégé, tranquille et serein, sans risque et, partant, qu'on peut oublier trop vite (mais qu'on a plaisir à revenir visiter).
Quand Cécile est assez différent et plusieurs pages ici s'envolent. le livre est beau, de par son geste, sa forme et son contenu. C'est un hommage, dont on ressent la réelle sincérité, à un amour de jeunesse précocement arraché à la vie et qui nous livre les mille et un tours et détours auxquels peut recourir un esprit humain dans son dessein obsessionnel d'arracher, à son tour, cet amour disparu à la mort. Et à l'autre mort après la mort : l'oubli. le livre, touchant aussi parce que l'auteur ne craint pas de se dévoiler, raconte au fond le combat d'une éternité contre une autre.
L'auteur poursuit ainsi sa trajectoire mélancolique de lutte contre la ruine : son premier ouvrage traitait déjà de l'effondrement de la matière et du souvenir qui s'y loge. Aussi, le jeu de langage entre les premiers et derniers mots de
Quand Cécile, qui résorbe l'un dans l'autre temps et espace, est-il bien autre chose qu'une astuce facile de l'auteur : il exprime le noeud tragique au coeur de son écriture.
Enfin, mais ce n'est peut-être pas essentiel, le choix de la grosse machine du Seuil comme maison d'édition me laisse perplexe.