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Critiques filtrées sur 2 étoiles  
Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=¤££¤33De New York68¤££¤4

Je crois que le titre d'un autre de ses romans, c'est En finir avec Eddy Bellegueule, sa véritable identité. Ben c'était aussi le programme de celui-ci, qui revient à peu près au même : devenir Edouard Louis, s'intégrer dans la bourgeoisie, être « sauvé » comme il aime à le répéter, de son passé, ses parents habitant dans le Nord, et étant pauvres, il veut à tout prix s'extirper de ce milieu d'origine.

Mon avis :
Bon, pour commencer, je dois dire qu'en lisant Edouard Louis. ce qui était assez désagréable, c'est que j'avais la voix de Gaspard Ulliel dans la tête. Attendez je précise, la voix trainante de Gaspard Ulliel dans Juste la fin du monde de Dolan, le film le plus insupportable du monde. le phrasé qui veut sonner littéraire, dont même les hésitations ne sont pas naturelles, veulent paraitre inspirées. Il faut aussi mentionner toutes ces scènes qui font cinématographiques, qui perdent en réalisme, quand il se douche après s'être prostitué et qu'il crie sous l'eau, quand avec sa copine Elena ils vont plonger dans la mer tout habillés, et qu'on entend presque Dragosta din tei en fond. Bref, un côté poseur et calculé.
« j'avais tenté de partir en Inde et de tout abandonner, j'avais vécu dans un minuscule studio à Paris, possédé un grand appartement dans l'un des quartiers les plus riches de New York, marché seul pendant des semaines à travers les Etats-Unis […] J'avais écrit et publié des livres avant de fêter mes vingt-cinq ans, j'avais voyagé dans le monde entier pour les présenter, au Japon, au Chili, au Kosovo, en Malaisie […] »
Et alors que je regardais le lac Titicaca en pensant au Nobel que je venais de refuser, me frappa la vérité, une vérité que je devais accepter : celle que je ne pourrais plus jamais vivre comme avant ; encore une fois, ma vie allait basculer.
Je déconne, mais c'est un peu ça, je ne compte pas le nombre de fois où Edouard Louis dit que sa vie bascule, que sa vie ne sera plus jamais comme avant (de la petite-enfance à l'adolescence, c'est une accumulation d'évènements fondateurs qui ont fait basculer son destin. Sauf que c'est très répétitif de toujours avoir cette conclusion, ton destin ne peut pas basculer 30 000 fois, encore plus si c'est pour lui donner toujours la même direction.). D'ailleurs, par rapport aux répétitions, je dirais que son éditeur n'a pas bien fait son boulot — le nombre de fois où il répète que les gens du village sont racistes, alcooliques ou pas instruits — c'est simple, dès qu'il mentionne son village, on aura une de ces trois remarques. On en vient à se demander si ce martèlement n'est pas fait exprès pour se mettre en avant, pour montrer l'élection inévitable qu'allait vivre Edouard Louis. Mais bon, si c'est pour opposer schématiquement la province arriérée à la capitale éclairée, c'est à la fois vexant, réducteur et pas très original. J'habite dans un village, j'ai toujours vécu à la campagne, — alors certes, la campagne du Sud-Ouest vote pas autant extrême-droite que celle du Nord, mais c'est jamais explicatif, jamais dans l'analyse, en fait ça dépasse pas une vision macroniste de « ceux qui ne sont rien ». Ça aurait été beaucoup plus intéressant, de s'attacher à décrire un tableau fidèle, précis de ces habitants, où l'on sentirait une tendresse par exemple pendant l'enfance, qui serait remise en cause à l'adolescence. Je trouve que Nicolas Mathieu, malgré tous les reproches que je lui ai fait, est moins partial qu'Edouard Louis. Mais il faudrait sans doute prendre en compte l'homophobie qu'il a subi pour expliquer ce besoin de fuir et ce rejet de son milieu d'origine.

Ce récit s'inscrit encore dans ce que j'appellerais un roman constatif, je crois que c'était le terme que j'avais employé pour Constance Debré, et peut-être pour Brigitte Giraud — quelqu'un qui raconte, qui ne prend que rarement le temps d'installer des scènes, des ambiances. Ce serait comme lire une discussion avec un psy, une sorte d'autojustification qui tourne en rond (et j'aime pas vraiment ressentir ça, parce que je sais que c'est la critique habituelle qu'on fait aux autofictions.) Comme chez le psychanalyste, on va ressasser ses obsessions, avoir sans cesse la même discussion, qu'on remâche là où on l'avait laissé à chaque chapitre.


Quoiqu'il en soit, avec Edouard Louis, on sent qu'il y a une reconstruction a posteriori, que c'est pas je vais vous raconter qui j'étais et tout ce que j'étais, mais plutôt comment je suis devenu ce que je suis aujourd'hui. Donc du coup, on sent qu'il y a beaucoup d'angles morts, que c'est raconter les souvenirs d'une manière partiale, dans un but précis. Je trouve que ça représente peut-être pas autant la réalité qu'un Knausgaard ou c'est un empilement de faits, parfois en suite logique, parfois pas, avec des souvenirs qui peuvent ne pas être du tout intéressants, ce qui représente bien la vie. C'est pas comment je suis devenu Karl Ove Knausgaard l'écrivain, mais plutôt voilà Knausgaard l'enfant, avec tous ses petits défauts toutes ces petites lumières en pointillé qui en font un tableau réaliste. Alors que là, j'ai l'impression de voir qu'une flèche qui mène vers Edouard Louis écrivain.
Le livre devrait tenter de dénouer les déterminismes qui l'ont mené là où il est. C'est, j'ai l'impression, son but, son point de départ. Or, Edouard Louis offre un récit très autocentré (et je veux bien admettre que c'est souvent le cas des autofictions, même si selon moi, on pourrait les juger à l'aune de leurs « personnages secondaires », de la richesse de la vie décrite, de l'écosystème crée). Même quand on parle d'Elena ou de Nadya, c'est toujours le regard d'Edouard sur elles. Quand c'est sa mère, pareil. Et je sais que c'est le but de l'autofiction, de donner la vision d'une personne sur le monde qui l'entoure. Mais je vais encore revenir à Knausgaard, j'ai l'impression quand je le lis d'être témoin d'un hors-texte, d'un hors-champs, d'une vie en cours hors du récit, chose qui n'apparait jamais chez Louis. Les personnages ne vivent que dans son champs de vision, ne vivent que pour lui donner la réplique. Tu t'es servi de nous, lui dit Nadya, et dans le récit, bien sûr qu'on trouve ça fort de café quand on voit comment elle et sa fille ont modelé Eddy en Edouard ; sauf que malgré tout, malgré le dédain qu'on peut éprouver pour cette femme, on a du mal à la démentir. Comme les mauvaises autofictions, les personnages secondaires sont vampirisés, servent de prétexte pour faire avancer l'histoire.
Et puis, comme a dit Bégaudeau, dans une de ses interviews, je crois que c'était dans A gauche, il y a chez Louis la prévalence du destin, une sorte de prédestination, qui peut aller, il est vrai, dans le sens d'une fable libérale, celle du Self made man. Je me suis fait tout seul. Je me suis tellement fait tout seul que j'ai tout refait, que je me suis remodelé, devenant mon propre Pygmalion, ma propre Galatée. Avec l'aval, tout de même de la bourgeoisie, qui lui a ouvert la voix. Il a été élu par eux, pour des raisons qu'il n'explique pas, qu'il n'éclaire pas (puisque ça ne l'intéresse pas de se décentrer de lui). D'un autre côté, je trouve que c'est intéressant de le déduire, — bien sûr qu'on sent que c'est pour se mettre en valeur par contraste que Nadia l'interroge sur sa famille, pour sentir que ce sont des gens de bien, des gens accueillants comme dit Salamé.

Et dans le sens de cette écriture à posteriori, je me dis que quand il est chez sa copine, qu'il dit qu'eux boivent du thé, pas du coca ou de la bière, ben moi qui par exemple ai vécu ce genre de choses, quand on va souvent chez une amie qui a des parents différents des siens, y a parfois une petite mélancolie qui peut surgir — pourquoi dans tous les souvenirs choisis, il n'y a jamais ce vague à l'âme du chez soi ? Ce moment où tu commets un impair chez les parents, que tu mords à plein dents dans un melon au lieu de le découper, que tu tends ton verre quand ils proposent du vin, et que devant leurs remarques ou leur regards interloqués, tu te dis — putain, là, j'aimerais être chez moi, j'aimerais m'ouvrir une canette de bière ou de coca, ce pchitt pavlovien qui à un goût de maison, qui a un goût de vérité, de je ne joue plus de rôle. Et le fait de ne garder presque que le meilleur quand il parle d'eux, de garder que le pire quand il parle de ses parents, c'est encore une fois signifiant. Il occulte la plupart du temps le malaise qu'on a tous vécu, à un moment donné, y a toujours une remarque qui fâche, un reproche, une maladresse, et que même quand il y a du malaise, Edouard Louis se soumets, accepte, fait le dos rond. Pour un adolescent, c'est quand même étonnant d'être autant dans la non-révolte, dans la docilité. (même si en disant ça, je suis consciente que c'était son adolescence à lui, son opposition à ses parents qui prend un forme spécifique)
Au niveau littéraire, je trouve que c'est pas mal de ne pas émettre de jugement moral sur son comportement. Parce que s'il nous sort par les yeux, c'est peut-être parce que c'est voulu, que c'est ce qu'espère Edouard Louis comme réaction — que cette aspiration à la bourgeoise nous débecte. Parce que dans cette vision libérale de l'effort intellectuel, que décrit Bégaudeau, je crois qu'il parle de No pain no Gain, très développement personnel, c'est d'un côté pour montrer comment le capital culturel est difficile à acquérir quand on ne vient pas de la bourgeoisie. Comment c'est presque de l'inné à cause des déterminismes pour une partie de la population. Et même si on a parfois l'impression qu'il y a de la falsification chez Louis, avec la mise en lumière de certaines choses et d'autres, nombreuses qui pourraient être tues — il y a peut-être pas de falsification sur la chose la plus importante qui serait sa personnalité. Très désagréable, très irritante, avec un côté par conséquent franc du collier, de se montrer dans toutes ses contradictions, comment il n'essaie pas par exemple à l'époque de remettre en question la bourgeoisie. Son adhésion totale, sa soumission, et c'est intéressant de montrer comment ça peut le bouffer, comment la bourgeoisie s'immisce dans la tête des gens et devient le modèle absolu, avec toutes ses valeurs, comme la méritocratie, la valeur travail, la culture comme bien, comme marque de domination sur les autres. Finalement, c'est ça qui ressort du texte.
Et donc Edouard Louis évite parfois la morale en peignant certaines scènes — comme avec sa mère par exemple. Mais on a quand même une sensation à la lecture de non entièreté des faits, juste son changement de classe sociale — et je trouve que c'est dommage. Si on peut le prendre comme un roman d'apprentissage : (en voici la définition « Les romans d'apprentissage ont pour thème le cheminement d'un héros, souvent jeune, qui atteint progressivement l'idéal de l'Homme accompli et cultivé en faisant l'expérience des grands événements de l'existence : la mort, l'amour, la haine, l'altérité, etc. », cela exclut peut-être le pacte autobiographique, le lien qui force l'auteur à tout dire, dans « toute la vérité de la nature de son récit autobiographique ». En résumé, si on admet qu'Edouard Louis se montre tel qu'il a été, son récit est trop structuré, trop tourné vers une seule issue, qui est l'achèvement de son ambition pour se différencier d'un roman d'initiation, et donc, d'un récit fictionnel.
Bref, une reconstruction pour dénoncer, de manière assez ambivalente, il faut l'admettre cette aspiration à devenir autre. Cependant, il y a quand même ce côté poseur ou plaintif qui est plutôt pénible à lire. Je pense à ma règle des trois ingrédients pour qu'un livre me plaise — dans celui-ci, il manque vraiment l'humour, l'autodérision, le recul sur lui-même ou sur son sujet, qui aurait pu me permettre de me sentir plus proche, plus engagée. Mais bon, c'est peut-être qu'Edouard Louis est comme ça dans la vie.
Il n'empêche qu'une question se pose quand on referme le livre. Pourquoi se moule-t-il dans la bourgeoisie, même formellement, jusqu'à en ingérer les codes, et nous les recracher sans recul ? Pourquoi ne pas chercher à inventer une autre forme, une autre langue, qui ne serait pas forcément la langue populaire mais pas non plus cette langue académique, lisse, sans aspérité ni personnalité ? Pourquoi ne pas chercher une forme batarde, la beauté du batard, de celui qui n'est chez lui nulle part ?
« C'est cette histoire-là — cette odyssée — que je voudrais, ici, essayer de raconter. »

Lien : https://www.youtube.com/watc..
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