Irlande 1900
Lady Charlotte McGrath dispose d'un mari peu consistant et de quatre filles, en âge d'être mariées qu'elle maintient tous sous sa coupe, tyran domestique maîtresse du vaste et sombre domaine de Garonlea. Seul son fils, Desmond, lui a échappé et ce d'autant plus qu'il se marie avec la vive et incontrôlable Cynthia, jeune femme au charme de laquelle tout le monde succombe…
«
Et la vague les emporta » s'ouvre sur une page d'apostrophe de l'auteure,
Molly Keane (1904-1996) à ses lecteurs : elle y met en avant la méconnaissance que nous avons des années 1900 (en excluant la période de la guerre), en oubliant à quel point « les jeunes étaient alors sous l'influence de la génération adulte. Ils la subissaient, ils étaient à ses ordres à un point inimaginable pour nous. Ces mains aînées avaient sur eux un pouvoir presque total. » Dans la foulée, l'attitude de Lady McGrath par rapport à ses filles, vouées à exécuter tous ses menus ordres quotidiens, viendra corroborer ces affirmations.
En dehors de cette note liminaire, l'auteure n'hésite pas à intervenir à l'occasion dans le roman, apportant son éclairage personnel sur les faits et les personnalités, ce qui n'a rien de gênant, au contraire : ses remarques piquantes représentent autant de petites mises à distance bienvenues.
Mais revenons au roman et à la présentation qui y est faite des quatre jeunes filles, elle donne le ton et m'a tout de suite accrochée :
« Muriel avec ses légers cheveux châtains, son cou mince et son petit corps d'oiseau, ouvrait la marche. Pauvre petite Muriel – il serait temps qu'elle trouvât un mari. Vingt-quatre ans et rien de satisfaisant en vue. Suivait Enid, yeux violets, voix grave et cheveux sombres. Sans Violet, qui venait après elle, on l'eût qualifiée de beauté. Mais Violet était d'une perfection toute edwardienne. Un teint de nacre et de pêche, une poitrine comme la proue d'un bateau, de longues cuisses fuselées, un visage d'une harmonie tranquille et une tête couronnée de cheveux dorés que ne venait pas troubler un cerveau bien complexe. Une fille qui donnait satisfaction. Et puis Diana – la petite Diana – , qui, elle, n'avait pas reçu la beauté edwardienne en partage. Sa mère ne voyait en elle rien de bien satisfaisant : elle n'avait ni le charme ni la docilité de ses soeurs. Et sûrement pas leur beauté. Petite, brune, anguleuse, tendant à être légèrement poilue malgré ses dix-sept ans (ce que sa famille choisissait de traiter par le mépris, car qu'y pouvait-on ?), Diana, en cette année 1900, partait perdante. »
Le récit s'attachera à suivre les pas de ces quatre jeunes filles, plus particulièrement ceux de Enid, attirée par un jeune homme d'un rang social différent, et de Diana la révoltée, toujours un pied en dehors du cadre. Mais il ne négligera jamais Garonlea et les changements qu'elle pourra connaître : sise au fond d'une vallée, l'énorme demeure se révèle être bien plus qu'une toile de fond, tant la sourde mélancolie des lieux a su pénétrer l'âme de ses habitants. Cynthia, nouvelle venue dans la famille, dont l'énergie débordante se manifeste notamment dans sa passion pour l'équitation et la chasse, cette institution alors reconnue dans l'aristocratie, viendra en faire bouger les lignes. Son personnage, cependant, ne manque pas d'ambiguïté et le tour tragique que lui jouera le destin infléchira durablement son évolution.
Aperçu vivant et pénétrant des moeurs de la noblesse anglo-irlandaise au tout début du 20ème siècle, «
Et la vague les emporta », chronique familiale amère portée par une plume élégante, m'a captivée.
Molly Keane est une auteure que j'ai découverte avec grand plaisir : nul doute que je la lirai à nouveau.
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