Livre lu dans le cadre de mon challenge personnel de lectures 2024, item "compléter mes collections de mes écrivains préférés". Et
Alexandre Jardin compte parmi ceux-là.
Chez les Jardin, c'est un peu le Jeu des 7 familles.
Après le père, le grand-père, le frère, voici le moment de vérité avec la mère Stéphane JARDIN née SAUVAGE appelée Fanou.
Alexandre Jardin a entrepris l'écriture de ce livre alors qu'il savait sa maman malade et il l'a terminé après son décès. Il dit qu'il voulait qu'elle sache, de son vivant, ce qu'il pensait d'elle et voulait partager avec elle tout ce qu'il ne lui avait pas dit (et qu'il exprime ici par ses mots) et notamment son grand amour pour elle.
Dans ce court livre de 215 pages,
Alexandre Jardin donne à voir non pas trop sa mère, mais bien plutôt la femme qui l'a mis certes au monde, et qui était avant toute chose, une femme originale, passionnée, anti-conventionnelle, artiste, amoureuse et adultère. Une femme qui faisait fi des conventions et qui a laissé grandir ses enfants à la va-comme-je-te-pousse, dans la plus grande liberté d'être hors des cadres rigides édictés par les normes sociétales.
Dans ce récit en trois actes (comme dans une tragédie),
Alexandre Jardin expose dans l'acte I ce qui, de son point de vue, est la "façon d'être de sa mère". Quelques éléments biographiques, mais surtout un focus sur les différents aspects de sa personnalité hors normes qui, parfois, ont pu le dérouter, le déranger, l'interroger, l'interpeler, le réjouir et l'éblouir aussi, mais qui, à n'en pas douter, l'ont fait grandir plus vite qu'un autre enfant et s'assumer dans un chemin de vie tendant à soit suivre les traces de sa mère, soit au contraire tout faire pour s'en détourner.
L'acte II pose d'emblée la question : "A-t-on le droit d'être toi ?"
A travers l'évocation de certaines manières d'être, de faire, de consommer les excès en tous genres de sa mère,
Alexandre Jardin s'interroge sur la finalité de ce positionnement familial jusqu'auboutisme au regard de ses potentielles responsabilités en tant que femme et mère. En fait, il décortique, il détricote, il met au jour, non pas tant pour juger sa mère, mais bien plutôt pour démontrer combien elle avait bien raison d'être ce qu'elle était et partager pour le plus grand nombre ces "enseignements" qui n'en étaient pas, ce regard particulier sur la vie et sur l'amour, et qui ne lui en déplaise l'ont quand même formaté. Mais formaté positivement à la "sauce Jardin" dans le sens où l'auteur - grâce à sa mère - a très vite pris conscience de l'emprise des normes sociétales, de l'hypocrisie de se cacher derrière des masques, de la tristesse d'une existence morne, prévisible, et rectiligne, de la difficulté de parler vrai (à soi et aux autres) en matière d'amour, de la nécessité de concrétiser ses rêves et de se démarquer des diktats de l'argent.
En cela, elle l'a guidé vers des chemins de traverse qu'il a souhaité parfois prendre (ou pas) mais des chemins qui, contrairement aux personnes lambdas, sont parfaitement conscients, assumés et jouissifs.
Bien sûr, ce n'est pas toujours évident d'assumer une maman pareille (cf. les réactions de son ami d'enfance), surtout lorsque la famille est plus exposée que d'autres. Mais, manifestement, ce n'est pas ce qui a été le plus difficile pour le jeune Alexandre ni pour l'adulte qu'il est devenu. La grande question était bien plutôt serais-je, en tant qu'individu et digne fils du Zubial (son père) et de Fanou, à la hauteur de cette pression existentielle hors cadre telle qu'elle m'a été inculquée et que je souhaite faire mienne ?
Comment puis-je être à la hauteur de cet amour (pas toujours visible, pas toujours exprimé) mais qui pourtant m'a été témoigné en me montrant la voie d'une existence dans laquelle je serais capable d'être véritablement "moi" et donc de m'épanouir ? Mais aussi, comment une fois papa, puis-je à mon tour transmettre cet état d'esprit à mes proches sans trop les perturber (comme lui a pu l'être en son temps) ?
Oui, ce type de lecture dérange. Car, nous lecteurs, sommes tellement englués dans des croyances limitées, dans des dogmes culturels, religieux ou éducatifs, qu'à première vue, nous avons le réflexe de dénoncer de tels comportements égoïstes, de juger cette femme libre et libertine et cette mère fort distante qui a fait le choix de vivre d'abord pour elle.
En fait, je crois qu'elle nous dérange parce que cette lecture nous renvoie, a contrario, à notre propre image et à notre propre positionnement dans la vie. Surtout parce que, nous lecteurs, n'avons pas eu le courage de faire de même et que nous en gardons, au tréfond de notre coeur et de notre esprit, une forte frustration. Clairement, j'aurais aimé avoir lu ce livre dans ma jeunesse, peut-être aurais-je vécu ma vie de femme différemment !
Et puis, il y a l'acte III intitulé "Après toi", cette partie écrite après le décès de Fanou Jardin. Une partie très intime et émouvante où éclate tout l'amour d'
Alexandre Jardin pour sa maman. J'utilise exprès le mot "maman" car on entend bien - derrière la posture de l'adulte écrivain, la voix d'Alexandre enfant. Quelle émotion en lisant ces lignes ! Quelle émotion de partager avec nous certains détails des obsèques de celle-ci et puis, quel suspense, avec cette lettre laissée par elle - manifestement porteuse d'une vérité cachée - et qui pourtant, par décision de l'auteur, n'a pas été ouverte et a suivi là encore un chemin de traverse à la hauteur du caractère fantasque de la défunte.
Je n'ai pas boudé mon intérêt et mon plaisir à cette lecture, même si l'émotion et la réflexion étaient très présentes. Dois-je le dire ? Après avoir refermé le livre, j'ai fait des recherches sur Internet pour savoir qui était cette Fanou si "sauvage" et si libre (je n'étais pas née ou si petite lorsqu'elle était en pleine maturité), j'ai voulu trouver des images d'elle et voir ce que la postérité médiatique en a conservé. Un point supplémentaire marqué par
Alexandre Jardin qui, grâce à son livre et à ses mots, a l'extrême pouvoir magique à nous la rendre vivante (ainsi que l'époque révolue dont il est question) alors même qu'elle nous a quittés depuis 2017.