Le bonheur au jeu
Dans l’automne de l’année 182... les eaux de Pyrmont étaient plus visitées que jamais. De jour en jour l’affluence des riches étrangers augmentait, et excitait l’ardeur des spéculateurs de toute espèce qui abondent dans ces sortes de lieux. Les entrepreneurs de la banque du pharaon ne restèrent pas en arrière , et étalèrent sur leur tapis vert des masses d’or, afin d’attirer les dupes que l’éclat du métal séduit infailliblement, comme l’attrait dont se sert le chasseur pour prendre une proie crédule.
On n’ignore pas que dans la saison des bains, pendant ces réunions de plaisir, où chacun s’est arraché à ses habitudes, l'on s’abandonne à l’oisiveté, et que le jeu devient une passion presque irrésistible. Il n’est pas rare de voir des gens qui n’ont jamais touché les cartes , attachés sans relâche à la table verte et se perdre dans les combinaisons hasardeuses du jeu. Le bon ton qui veut que l’on risque chaque soir quelques pièces d’or , ne contribue pas peu non plus à entretenir cette passion fatale. Un jeune baron allemand, que nous nommerons Siegfried, faisait seul exception à cette règle générale. Quand tout le monde courait au jeu, et qu’il perdait ainsi tout moyen d’entretenir une conversation agréable, il se retirait dans sa chambre avec un livre, ou il allait se promener dans la campagne, et admirer la nature, qui est si belle dans ce pays enchanté.
VLEEL 215 Rencontre littéraire autour d'E.T.A Hoffmann, Éditions du Typhon, Lecture Laurent Stocker