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EAN : 9782812625596
192 pages
Editions du Rouergue (27/03/2024)
4.07/5   30 notes
Résumé :
Trois femmes, une forêt. La forêt c`est la dernière forêt primaire d`Europe, aux confins de la Pologne. Un sanctuaire sauvage peuplé d`une grande faune disparue ailleurs. C`est là que vit Véra, journaliste biélorusse exilée depuis le printemps au milieu des arbres et des bêtes. C`est là qu`est revenue s`installer Nina, elle qui a rêvé que sa beauté lui ouvrirait les portes de l`Occident mais qui, remâchant ses illusions perdues, occupe avec son fils l`ancienne ma... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Après son formidable et multi-récompensé premier roman Solak qui livrait à eux-mêmes une poignée de fauves humains en pleine étendue arctique, Caroline Hinault continue son exploration des confins de la civilisation, cette fois au plus profond et inhospitalier de la dernière grande forêt primaire d'Europe, là où, entre Pologne et Biélorussie, la chasse aux migrants menée par le gouvernement de Varsovie tranche implacablement avec l'hospitalité qu'il accorde par ailleurs aux réfugiés ukrainiens. Plongée dans l'enfer de Białowieża…


Impénétrable, marécageuse et sauvage, soumise à un climat dur et froid aux interminables hivers, la forêt de Białowieża est un paradis pour la faune et la flore qui s'y épanouissent loin de toute influence humaine. Loups, ours, chevaux et bisons s'y heurtent pourtant en son beau milieu à un long et infranchissable mur de béton, acier et barbelés, édifié le long de la frontière polono-biélorusse. La Pologne qui entend barrer le passage aux migrants affluant du Moyen-Orient et d'Afrique a fait de la région une zone de non-droit, décrétant un état d'urgence qui lui permet d'écarter journalistes, ONG humanitaires et organisations internationales. Elle y pratique une traque aux migrants et aux militants qui tentent de leur venir en aide. Nombreux sont ceux qui, lorsqu'ils ne sont pas refoulés, errent jusqu'à la mort dans cet enfer désormais tristement semé de vestiges humains.


C'est en pensant à la Divine Comédie de Dante, dont les cercles entre Enfer et Paradis viennent se mêler au roman, que Caroline Hinault entrecroise dans ce labyrinthe forestier, autant éden que géhenne, le destin de trois femmes. La jeune Alma qui fuit la Syrie avec son frère vient buter sur le mur qui menace de mettre fin à leur épuisant voyage en les jetant, soit dans les bras des patrouilles, soit dans ceux, mortels, du froid et de la faim. Nina, descendue des rêves d'Occident que sa beauté semblait lui promettre, est revenue habiter cette région désormais « zone rouge », quadrillée par les militaires. Enfin, Véra, journaliste biélorusse en butte à la dictature de son pays, entend faire ici une pause solitaire, le temps d'une saison, pour « mettre à distance la saleté du monde » et écrire.


« Quoi d'autre que le taillage des mots pour tenter d'habiller ou déshabiller le réel et parvenir à tracer en soi une poéthique de la contre-horreur ? »
« Ecrire et lire me semblent de plus en plus un exercice de couture sociale, une contre-frontière nécessaire, qui relie en silence les êtres vivants. Lire et écrire, c'est finalement imiter ce que font les arbres depuis toujours : synthétiser les particules du monde pour les transmuer en oxygène. »


Armée du style direct et des images percutantes qui lui permettent si bien de nous prendre aux tripes, l'auteur nous électrise d'une narration hantée par les grandes préoccupations de notre siècle, alors que politiques et enjeux écologiques se heurtent de plus en plus sur le front de crises environnementales et migratoires. Embrassant l'ensemble de la problématique au travers de trois figures, une migrante, un témoin local et un regard extérieur, sa peinture à la fois réaliste et poétique nous étreint de son extrême intensité pour finalement trouver l'espoir entre nature writing, célébration des pouvoirs de contre-feu de la littérature et étincelles d'humanité subsistant même sous la plus épaisse couche de cendres.


Sans reproduire tout à fait le choc de son hypnotisant Solak, Caroline Hinault n'en réussit que mieux à nous étreindre le coeur avec ce second roman aussi addictif qu'impactant.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Un roman où se télescopent les catastrophes climatique et migratoire.
Une forêt primaire, quelque part en Pologne. Des Biélorusses que le régime autoritaire a chassés ; voilà pour le contexte.
À travers le portrait de trois femmes, on prend connaissance de l'ignoble sort qu'une Europe divisée a réservé à ces migrants. Ils ne sont ni Mexicains, ni Africains, ils galèrent à quelques heures de nos frontières, boudés par une opinion que la guerre en Ukraine et les drames méditerranéens ont lassée. C'est bien connu, « on ne peut pas porter toute la misère du monde ».
Le style de Caroline Hinault est incisif, précis, nerveux, ciselé pour l'urgence décrite (exemples aux pages 26 et 68). J'ai toujours pensé que les femmes étaient plus inspirées que les hommes dans leur manière d'aborder la sexualité (voir Jane Campion). Caroline Hinault ne fait pas exception (exemples pages 41, 75), orchestrant parfaitement les sensualités organiques (p75). À noter la très belle déclaration (p139) de Véra, naufragée volontaire au milieu d'un océan de chlorophylle.
Un roman singulier, tant par le sujet que par l'écriture, qui s'étiole un peu sur la fin, comme si les voix se dispersaient.
Bilan : 🌹
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Plaquée contre la frontière avec la Biélorussie, une immense forêt polonaise sert de scène au destin de trois femmes : Alma, migrante syrienne, doit franchir cette frontière malgré les dangereux militaires et les excités d'extrême droite polonais qui surveillent nuit et jour ; Véra, journaliste biélorusse, s'est en quelque sorte retirée du monde dans cette forêt pour se retrouver elle-même : enfin, Nina, installée dans la maison familiale de sa jeunesse avec son fils, essaie d'oublier ses déboires professionnels et se sent basculer du côté obscur de la société.
Trois chemins si différents, si improbables même, que le hasard va rapprocher.
Caroline Hinault ou l'art et la manière de construire, de donner de l'épaisseur à ses héroïnes. Rares sont les auteurs/autrices capables de proposer une telle richesse, une telle densité, une telle force, dans la description psychologique des personnages qui vont animer toute une histoire. Inspiré de faits réels (2021), ce récit est tout simplement formidable !
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Moins convaincu par ce roman que par son précédent, il reste néanmoins une manière de faire vivre des personnages dans des situations difficiles voire insoutenables, dans un style touffu, d'une densité qui transmet le malaise vécu par les protagonistes de ces drames. La forêt primaire de la frontière entre la Pologne et la Biélorussie est impénétrable au sens où devaient l'être les forêts du moyen-âge chez nous, en France. Peuplée de loups, de bisons et d'ongulés divers, la nature sauvage digère les migrants comme le désert sous d'autres latitudes. Les trois femmes dont il est question vivent simultanément dans ce lieu, à des degrés divers, elles représentent ce qui se joue aux frontières de notre monde protégé. La victime, la témoin, et le peuple européen chez Nina, symbole de cette peur engendrée par l'inconnu, dépassée déjà par ses propres soucis personnels. le migrant est le souci de trop, responsable de tous les autres.
Alma paie le prix fort, elle fuit une impossible vie derrière les barbelés, ne trouve que la haine, puis l'inconnu, l'incertitude sur son sort.
Véra a la lutte dans le sang, s'est juste posée là, a fui aussi, se retrouve au centre d'un futur reportage, de ce qu'elle était censée fuir et retourne au combat.
Le cynisme et le calcul politique le plus abject jettent dans une nature hostile de pauvres gens déjà épuisés par une fuite dictée par l'instinct de survie.
Mais trop, c'est trop de souffrances.
Le livre est dur dans ce qu'il décrit, la langue fait corps avec ce mélange réussi entre une nature immuable et des êtres déchirés et meurtris.
Personne ne sort indemne de ce constat.
Dante parcourt par son "Enfer" la condition humaine, et rien n'a changé depuis plusieurs siècles.
A lire
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Nous voici dans la forêt primaire entre Pologne et Biélorussie, avec les trois femmes que nous propose de suivre Caroline Hinault dans Traverser les forêts, son troisième livre. Alma fuit la Syrie en guerre civile et espère entrer en Europe, errant dans la forêt inhospitalière, entre barbelés et fusils des nationalistes. Nina, Polonaise, vit avec son fils dans une maison isolée de la forêt, blessée dans sa chair et son orgueil, après un divorce et une carrière ratée de mannequin. Vera, journaliste Biélorusse, a quitté son pays et cherche, dans une cabane de la forêt, un retour à la nature et à elle-même. Pour ces trois femmes, la forêt n'est pas ressentie de la même façon et pourtant, dans la construction magnifique du livre, leurs destins vont se croiser. Comme se croisent les phrases semées ici et là et tirées de la Divine Comédie de Dante que relit Vera.
L'écriture, âpre, imagée, dense et vive de Caroline Hinault nous prend dès la première phrase et ne nous lâche pas. On suit les parcours de chacune, leur découverte de cette forêt aux mille visages, leur questionnement sur la nature humaine, parfois plus sombre que les zones les plus noires de certains profonds sous-bois. Allons-nous descendre, de cercle en cercle, avec ces trois femmes, vers l'Enfer, ou les héroïnes auront-elles le droit au Paradis ?
Un grand moment de lecture, d'un livre fort au style intense et riche.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Il sait oui, que cette forêt primaire qu’il aime tant, qui semble conçue pour le triomphe de la beauté et où croissent des espèces mutualistes, un bestiaire architecte, des arbres capables de fabriquer leur propre substance organique et d’en fournir aux autres, est en train de devenir un piège mortel pour réfugiés en quête d’un paradis qui ne veut pas d’eux.
Tu restes muette, l’article sous les yeux. C’est ton pays qui affrète des avions, main dans la main avec son voisin russe, pour déstabiliser l’Europe. Et visiblement, ça marche. Sikorski allait t’en parler, il se doutait bien que tu allais y être confrontée un jour ou l’autre, mais il ne savait pas comment apporter ces nouvelles dans le sanctuaire de vos discussions. Il retardait le moment de briser un lien spécial qui lui faisait du bien à lui aussi. Il emploie ces mots : sanctuaire, lien spécial, et cet aveu, malgré le contexte, te procure une joie acide.
Il t’explique qu’un réseau d’habitants s’organise pour collecter de la nourriture, du matériel, des duvets et déposer ces sacs de survie un peu partout près de la frontière, en espérant qu’ils soient trouvés.
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Elle croise le regard d’un garde dans lequel elle devine la question qui brûle le fond des yeux de toute l’Europe. Pourquoi être partis de leur pays ? S’être jetés de leur plein gré sur les routes ? Et aussitôt, plus loin dans la prunelle, la sentence. Coupable. Qu’y aurait-il eu à répondre à cela ? Comment expliquer l’impasse à ceux qui ont toujours vécu au pays du choix ? Le point de bascule en soi auquel il faut accéder pour dire adieu, partir vers une langue et un pays inconnus ? Assumer la perte. Le risque. Soutenir le jugement. Affronter un destin que le monde estimera, de toute façon, mérité.
Alma n’aspire qu’à pouvoir porter son existence par elle-même. Elle aurait sans doute pu dire : si des millions des gens partent, y compris leurs enfants sous le bras, en laissant tout derrière eux, c’est bien qu’il y a une raison suffisante. C’est bien que ce qu’ils s’apprêtent à perdre et qui va les oblitérer d’une partie d’eux-mêmes ne peut plus concurrencer ce qu’ils espèrent gagner. Mais elle ne dit rien, évidemment. Elle songe en elle-même qu’on part aussi quand on a traversé une frontière intérieure. Quand on refuse que sa vie soit une unité finie, limitée, étranglée. Une aire de souveraineté mortifère sans espoir de dehors. Qu’y avait-il pour elle, dans son pays ? Guerre. Pauvreté. Persécution. Tristesse bouchée des jours.
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Tu te trompes, tout le monde tangue, moi le premier. Le véritable enfer des humains, c’est ce désir de paradis en nous.
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Chaque nouvelle atrocité de la guerre qu’elle apprenait autour d’elle, dans son quartier, dans les rues de l’enfance, chaque nouveau pourquoi balancé dans la poubelle du sens, agrandissaient un peu plus le gouffre en elle. Le monde lui avait planté dans le cœur une douleur métallique dont l’anneau bipait à chaque mouvement. Elle sentait son moteur intérieur menacé d’une panne létale. Devait sauver sa peau. Fuir l’absence d’avenir dans un pays détruit. Les difficultés quotidiennes, immenses. Pour tout. Le tunnel obstrué des années devant soi. Et, plus profondément encore, plus intimement, la vie excavée des possibles. Il fallait faire un choix. Terrible. Qui nécessitait une force qu’elle ignorait avoir en elle. Tout quitter. Tenter de repousser l’obscurité.
Elle avait encore l’espoir, du haut de ses dix-huit ans, que quelque chose de beau l’attendait, qu’elle avait droit, elle aussi, à une part de lumière qu’il ne s’agissait pas de réclamer à quiconque, mais de construire, pour peu qu’on lui en laisse l’opportunité. Lorsque Bessem, son cousin dont le père était mort dans les geôles du régime, leur avait parlé des visas pour la Biélorussie, Alma avait choisi. Dans la cuisine, derrière le passe-plat rouge, ses parents avaient pleuré. Elle les avait serrés dans ses bras. Et murmuré : la vie ne peut pas être le regret qu’on en a de son vivant.
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Tu songes que les frontières sont rarement des lignes droites mais plutôt de larges bandes mouvantes, des zones mobiles, sableuses, dans lesquelles on avance à petits pas, où l’on peut même parfois passer des années, en frontaliers d’une vie fantasmée.
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"Traverser les forêts" de Caroline Hinault - Interview 3
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