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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
on fait la connaissance de Yamina, qui a traversé tant d'épreuves : quitter la ferme en Algérie pendant la guerre d'Indépendance, l'exil avec se famille au Maroc, se cacher, le retour à la fin de la guerre, abandonner l'école qu'elle aime tant pour donner un coup de mains à sa mère : elle coud des vêtements pour tous sur sa machine à coudre à pédale, tricote avec des aiguilles de fortune, plumes d'oiseaux puis, rayons de vélo récupérés dans une décharge.

Elle reste la dernière à la maison, son père ayant refusé tous les prétendants éventuels, jusqu'à ce qu'elle devienne trop vieille et que plus personne ne se présente. Alors, c'est le mariage arrangé avec Brahim, qui a dix ans de plus qu'elle et dont les mains immenses la terrorisent.

Yamina et Brahim vont avoir quatre enfants, trois filles et un garçon, le petit dernier, le chouchou à sa maman qui aurait pu virer au macho pur et dur mais ils ont été bien élevés, on est pauvre chez les Taleb, mais on est respectables et chacun pourra faire des études même si le travail n'est pas au bout.

L'aînée, Malika s'est mariée, un mariage arrangé, mais son mari avait une double vie, un enfant, elle a divorcé, le premier coup dur dans la vie de son père.

Hannah est la deuxième de la fratrie, elle cherche l'homme idéal, et tous ceux qu'elle rencontre ont forcément un défaut rédhibitoire, le manque de virilité est un problème pour elle …

Imane la troisième fille a toujours l'impression de décevoir : lorsqu'elle essaie de quitter l'appartement familial, on frise le drame, alors qu'elle a plus de trente ans mais n'est toujours pas mariée.

« Imane est la troisième fille, celle qui vient juste avant le fils, celle qui aurait dû être le fils. Imane a le sentiment de décevoir une fois de plus. »

Omar dit avec ironie qu'il est devenu un Arabe « calvitieux », c'est très bien quand il s'agit de Zinedine Zidane mais quand on est chauffeur Uber… Il est très attachant, au volant de sa voiture, toujours impeccable, même s'il a des clients ivres qui vomissent dedans. Un jour, une jeune femme le prend pour chauffeur via la célèbre application spécialiste en esclavagisme moderne, payant ses chauffeurs à coup de lance-pierre, et le courant passe entre eux. Mais elle a l'air d'avoir mieux réussi que lui, alors comment résister à l'inhibition, au manque de confiance en soi…

Yamina ne pardonnera jamais, d'avoir été obligée de quitter la ferme, les siens pour le suivre en France, à Aubervilliers. Elle sera toujours la discrète, celle qui passe en essayant de ne pas ne faire remarquer, consensuelle, se taisant même quand le chien de la voisine lui renifle le postérieur alors qu'elle en a peur et que la maitresse n'essaie même pas de le contenir.

Une éclaircie dans sa vie : quand on leur attribue un jardin ouvrier, où elle fait pousser, des fleurs, des légumes, elle a si bien appris à la ferme… Elle partage Yamina, les plats cuisinés, les desserts qu'elle confectionne, alors que souvent on ne lui rend même pas les assiettes…

Si elle essaie de se couler dans le moule, de ne pas faire de vague, ses enfants râlent, ils aimeraient bien que leurs parents qui se sont usés au travail soient un peu mieux reconnus.

On suit cette famille de 1949 à 2020, donc on traverse le 11 septembre, les attentats de Charlie, du Bataclan et là encore, eux qui ont toujours été discrets, pratiquant leur religion dans le sens noble du terme et non dans le sens dévoyé de l'islamisme radical, ils se sentent montrer du doigts, et en plus ils ne peuvent même pas montrer qu'ils sont en deuil eux-aussi !

J'ai adoré mettre mes pas dans ceux de Yamina, car elle force le respect, la discrétion dans son cas, ne signifie pas qu'elle s'écrase à tout prix, subissant les affronts sans broncher ; elle part simplement du principe qu'il ne sert à rien de se révolter pour le moindre détail, comme elle dit. Elle traverse les tempêtes, les désillusions de l'Indépendance, le visage dur de Boumediene dont il convient d'éprouver un vrai chagrin lors des funérailles nationales dignes de l'ex URSS…

Ce roman est bien écrit, bien construit, Faïza Guéne ne sombre jamais dans le pathos et j'ai laissé cette famille à regret.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Plon qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteure. Ce fut vraiment une lecture belle et bouleversante.

#rentreelitteraire2020 #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Il y a des romans qui vous parlent, le livre de Faïza Guène en fait partie. Ce récit m'a vraiment touché, tout d'abord par la qualité de l'écriture, simple, toujours juste, toujours vraie, emplie d'une douceur, celle de l'amour ; et surtout par le personnage central Yamina.

Faïza Guène va donc nous conter l'histoire de cette femme algérienne de bientôt soixante-dix ans et en parallèle nous allons suivre ses quatre enfants. Yamina ne se plaint jamais, comme si cette option lui a été retirée à sa naissance. Elle n'a que son amour a offrir à ses enfants, avec un peu de chance l'amour leur fera oublier les humiliations.

Omar, trente piges, le seul garçon est chauffeur Uber, un job temporaire depuis deux ans ; Malika l'aînée de la fratrie, elle a été mariée à dix-sept ans, elle est celle qu'on remarque le moins, elle n'a jamais fait de vague. Hannah elle a toujours un temps d'avance, elle a toujours pigé plus vite que les autres, particulièrement sensible, elle ne veut pas que ses futurs enfants futurs, héritent de cette colère qui lui dévore les tripes. Imane la cadette, elle aurait dû être un fils, elle a le sentiment de décevoir en permanence

Et puis il y a Brahim, le père, il est encore beau, il ne dit pas nécessairement les mots qu'il faut, mais son réconfort est dans le coeur de Yamina.

L'histoire d'une petite fille débrouillarde, privée de son enfance par la guerre d'indépendance, obligée d'arrêter l'école pour aider ses parents à la ferme et élever ses frères et soeurs. À soixante-dix ans, elle rêve encore qu'elle a un cartable sur le dos. Un mariage arrangé après la prière du vendredi avec Brahim, un immigré de dix ans son aîné, l'arrivée en France dans un taudis où les murs pleurent d'humidité, où les souris se faufilent, les blattes surgissent de partout, un appartement qui même propre a l'air sale. Ce livre est l'histoire d'un déracinement, d'un arrachement à la terre natale.

« Je ne supporte plus que ma langue se meure de rester figée dans ma bouche, je ne supporte plus ma salive inutile, je meurs de ne pouvoir parler à personne, et même si la radio reste allumée toute la journée, je ne peux pas lui répondre. »

L'histoire de braves gens travailleurs, qui se font discrets, car ils se sentent invités en France et leurs enfants, la seconde génération, celle qui porte la colère, nés en France et qui ont l'impression d'être nulle part chez eux, ni en Algérie ni en France. Toujours devoir se justifier, montrer patte blanche pour éviter l'amalgame.

« Brahim a encouragé ses enfants, n'a jamais levé la main sur eux, les a poussés à étudier. La seule chose qu'ils peuvent lui reprocher est d'avoir été pauvre, et épuisé par le travail. »

C'est surtout une formidable histoire d'amour d'une mère pour ses enfants, elle a tenu pour qu'ils réussissent, qu'ils soient heureux et surtout indépendants. Un livre d'une grande sensibilité, tout en retenue. D'un petit village berbère à la banlieue parisienne un magnifique portrait de femme.

Faïza Guene a dédié son roman à son père, Abdelhamid, « mort de discrétion », voilà tout est dit… Un grand merci aux éditions Plon de m'avoir offert l'opportunité de lire ce livre.
« La Discrétion » de Faïza Guène. #rentreelitteraire2020 #NetGalleyFrance

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« La discrétion » ne se contente pas de livrer l'histoire d'une famille entre l'Algérie et la France, avec ce tiraillement entre deux cultures, celle de l'éducation et des origines, face à celle de la naissance et de l'imprégnation. C'est un texte plus profond qu'il n'y paraît, à travers le microcosme familial, l'auteure aborde des sujets de société très intéressants. de manière parfois grave, pour décrire certaines humiliations couvertes par une fausse bienveillance, mais aussi de manière humoristique, comme pour ne pas étrangler le lecteur.

La plume simple et directe, rend le texte accessible à toutes les personnes qui souhaitent mieux comprendre, ressentir les émotions et interrogations d'une partie de la population française. Être né français, mais ne pas se sentir à sa place, être né algérien et ne pas se sentir algérien… Une éternelle dualité que vit une partie de la population française que l'on peut difficilement comprendre si l'on ne l'a pas vécu soi-même.

Même si je n'ai jamais eu à me sentir exclue, car née française, de parents français, j'ai grandi en Tunisie, et je dois dire que je connais ce sentiment de ne pas se sentir à sa place. Ce sentiment a été très présent lors de notre retour en France, je ne savais plus qui j'étais et surtout, je vivais ce retour comme un exil. Je pleurais tout le temps et j'ai mis du temps, beaucoup de temps à me sentir à ma place. En France, je n'avais qu'une envie, c'est de rentrer en Tunisie et lorsque je retournais en Tunisie, je n'avais qu'une envie, c'est d'y rester. Tiraillée entre mes deux cultures, mes deux vies. J'ai retrouvé dans « La discrétion » de Faïza Guène, cet exil latent, sous-jacent avec la description du mal-être que l'on ressent.

Faïza Guen à travers son récit, rend hommage à ces femmes qui éduquent, discrètement, qui sont dépassée, car elles ne connaissent pas ces enfants qui réclament une identité, une reconnaissance et crient leur appartenance à cette France, qui parfois, les renvoie à ces origines qu'ils ne connaissent qu'à travers des vacances toujours heureuses, mais pendant lesquelles ils sont considérés comme étranger et français. L'exclusion est des deux côtés de la méditerranée, ils ne sont ni algériens ni français.

Comment construire son identité face à cette dualité ? On ne fait pas de vague, on se fait discret, ou alors on se révolte, on crie pour montrer que l'on existe.

Notre société a du mal à comprendre cette dualité, et ne fait que creuser le fossé. La grande mode, qui ne fait qu'attiser la haine et largement véhiculée, est de demander à une personne de quelle origine elle est ! L'extrême droite se nourrit du terreau de cette dualité.

Certains passages m'ont particulièrement touchés, notamment celui de la soeur aînée qui travaille dans une mairie et qui aide une personne en lui parlant en arabe, elle est dénoncée par ses collègues. Je sais, pour l'avoir vécu, que si l'anglais, l'espagnol, l'allemand avaient été utilisés, cela n'aurait incommodé personne. C'est une profonde injustice qui se vit au quotidien et à moins d'avoir vécu ou assister une scène de ce genre, on a du mal à comprendre.

Ce n'est pas un texte à charge, c'est une tranche de vie, aux côtés de cette famille ordinaire, où chaque membre trouve sa place, traverse la vie d'une manière discrète pour ne pas se faire remarquer ou d'une manière plus visible pour montrer qu'il existe. Chacun s'appropriant cette Histoire qui les marque au fer rouge, pour enfin s'apaiser et se construire.
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La Discrétion de Faïza Guène est un roman que je me suis acheté à sa sortie, il y a un an, et je me rends compte que je n'ai jamais pensé à le chroniquer alors que j'ai adoré ma lecture.
Yamina est née dans un cri. À Msirda, en Algérie colonisée. À peine adolescente, elle a brandi le drapeau de la Liberté.
Quarante ans plus tard, à Aubervilliers, elle vit dans la discrétion. Pour cette mère, n'est-ce pas une autre façon de résister ?
Mais la colère, même réprimée, se transmet l'air de rien.
La Discrétion est un roman qui m'a beaucoup touché, d'ailleurs je pense parfois à ses personnages.
Ou plutôt, je me dit que de nos jours la vie doit être vraiment difficile pour ses personnes immigrées, arrivées en France depuis bien longtemps mais que l'on continue à stigmatiser.
Faïza Guène l'explique avec énormément de justesse et de pudeur.
J'ai été très touché par Yamina, son histoire, et par les enfants qu'elle a mis au monde. Ils frissonnent quand les médias mettent en avant un terroriste, ils espèrent de tout coeur qu'il ne sera pas musulman car ils savent que le lendemain les gens vont les identifier à cette personne. Pas toujours consciemment évidemment, mais c'est là, latent.
Et c'est quelque chose qui est terrible car les enfants de Yamina sont français. Ils sont nés en France, ils sont aussi français que moi.
Mais la peau plus foncé, la maman qui a un accent, tout de suite les préjugés sont là.
Je trouve l'histoire de cette famille à la fois simple, banale, et poignante.
L'écriture fait mouche, et même si j'ai lu ce roman il y a plusieurs mois j'y pense encore. C'est rare que je pense à un livre plusieurs mois après sa lecture car je lis beaucoup, j'oublie évidemment certaines lectures. Mais pas La Discrétion.
Je ne saurais expliquer pourquoi mais ce roman est un vraie coup de coeur, ou coup au coeur.
Pourtant il ne raconte pas du tout l'histoire de ma famille mais l'autrice a su me toucher, me faire réfléchir et vraiment je recommande ce roman à tous. Il sort bientôt en poche, n'hésitez pas.
Ma note : un énorme cinq étoiles.
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Dans ce livre touchant et fort plaisant, Faiza Guène rend un bel hommage à toutes les mères exilées, déracinées, qui souvent se sont montrées discrètes et effacées dans un pays où elles se sentaient juste « invitées » provisoirement, cultivant l'espoir de peut-être retourner dans leur « patrie » d'origine.

L'autrice nous conte en particulier l'histoire de Yamina, 70 ans aujourd'hui, mère de famille ordinaire, comme il en existe beaucoup. La trentaine passée, elle a quitté pleine de désespoir son petit village algérien, pour rejoindre Brahim de 10 ans son ainé, le mari que ses parents lui ont choisi, et qui travaille en banlieue parisienne. Exil, solitude, incompréhension, méconnaissance de la langue et des codes, humiliations quotidiennes, le choc est brutal pour Yamina, qui malgré tout résiste et affiche un "profil bas". Même quarante ans plus tard, toujours à Aubervilliers, elle est cette femme discrète vivant pour l'amour des siens et le bonheur matériel de ses enfants.

Ses trois filles et son fils (son petit dernier, son chouchou...) nés en France désapprouvent cette attitude humble alors qu'ils portent en eux une certaine colère vis à vis de la condescendance et des humiliations subies par Yamina, qu'ils admirent pour son parcours de vie exemplaire. Eux-mêmes ballotés entre deux cultures, ils mènent une vie semée d'embuches, d'incertitudes et d'espoirs déçus auxquels s'ajoute la difficulté à trouver sa propre identité.

J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman où l'histoire d'une famille (trois générations) se mêle à l'histoire franco-algérienne. Avec une écriture simple, fluide et efficace, l'autrice a choisi de commencer son récit en 1949, année de naissance de Yamina, au "bled" dans son petit village puis de remonter le cours de sa vie tout en alternant avec des chapitres dédiés à chacun des quatre enfants et focalisant sur leurs personnalités, leurs ressentis dans leur existence actuelle. Pas de pathos mais beaucoup de tendresse et de sincérité dans ce roman réaliste et touchant.

Il y a plus d'une dizaine d'années, j'avais découvert par hasard Faiza Guène avec Kiffe-kiffe demain, son premier roman paru alors qu'elle n'avait que 19 ans. Il m'avait charmée par sa fraîcheur et la justesse de ses propos.
La discrétion, son dernier roman, est un aboutissement et un bel hommage de l'autrice à ses parents et à toute cette première génération de travailleurs immigrés. Je le recommande.

#Challenge illimité des Départements français en lectures (93 - Seine-Saint-Denis)
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« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. (p138)
Faïza Guène emprunte ces mots aux « Damnés de la terre » de Frantz Fanon, elle les place en exergue entre deux chapitres, pas n'importe lesquels, et son livre tout entier questionne cette opacité, à travers le quotidien de deux générations de la famille Taleb, nées successivement de chaque côté de la Méditerranée, en Algérie et en France. La discrétion n'interroge pas seulement la vie et la façon d'être au monde de Yamina, la mère, et de Brahim le père. Elle met en scène les peurs et les doutes des quatre enfants nés en France, à travers eux, elle interpelle avec intelligence l'idée de nation, ce qu'elle signifie pour ceux qui la composent, dans leur identité profonde. Ce qu'elle signifie aussi dans le regard des autres, la nation, une idée qui se définit à plusieurs échelles, aujourd'hui, loin de 1789 qui la vit naître, une idée qui peut condamner et exclure. le chapitre 2012-2015-2016, peut se passer de donner des noms et des faits, il évoque simplement que les enfants Taleb, sont priés implicitement d'apporter la preuve de leur appartenance à la nation et pourtant dit Faïza Guène « Un peuple uni ne se divise pas pour pleurer ses morts. C'est même à ça qu'on devrait le reconnaître ».
Ce livre est remarquable par la force de son témoignage, puisée dans la tendresse des portraits, leur humanité si vibrante, qu'une morale politique s'en dégage avec lucidité, invitant le lecteur à réfléchir à ce qu'est la France en 2020. Les trois enfants Taleb portent la question : dans leur difficulté commune à s'émanciper du cocon familial, accroché à la bouée de la vie d'avant, Brahim ne compte-t-il pas toujours en millions de dinars…Imène ne pourra jamais lui avouer que le loyer qui plombe son SMIG fait d'elle une millionnaire, mais lui permet de vivre à Paris. Hannah qui a tant de mal à porter devant ses parents le discours de la colère et de la révolte, et finit pour vivre avec, par pousser la porte d'une psy boulevard Richard Lenoir. Malika l'ainée, marié à 17 ans puis divorcée, le plus grand échec de Brahim pourtant si fier de l'avoir mariée. Omar, le seul garçon, au coeur de la précarité contemporaine dans sa voiture Uber, avec sa chambre d'ado à 29 ans, couvé par sa mère, si plein de doutes devant les femmes.
Le livre est construit comme une géographie de lieux jamais visités par les touristes ou les parisiens en week-end, ils structurent le découpage en chapitres et nous transportent dans la province de Berkane, dans celle Msirda Fouaga, à Oran, et sans transition, à la mairie de Bobigny, au marché d'Aubervilliers, à la laverie de la rue Letort…
Ce balancement des lieux plus encore que les mots porte le déchirement des vies.
Au-delà pourtant, l'hommage est fort à la personne de Yamina, celle qui s'efface, ne fait pas de vagues, se voit en France comme une invitée en marge de la fête. Yamina qui fut farouche, capable de résistance, attachée à ce figuier qui n'a pas survécu à la guerre, capable dans son jardin ouvrier d'en faire prospérer un autre, sur une autre terre, devenue la sienne, là « où se trouvent ses gosses ».
Un livre qui crève le silence.
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La discrétion, c'est celle de Yamina, née en 1949 en Algérie à l'époque de la France coloniale, ayant vécu l'exil au Maroc durant la guerre, arrivée en France en 1981 après avoir épousé Brahim, un ouvrier qui y travaille depuis plusieurs années – parce qu'il fallait bien se marier à plus de trente ans, même si finalement le mariage de raison deviendra mariage d'amour – , installée plus particulièrement à Aubervilliers, où elle donnera naissance à quatre enfants, Malika, Hannah, Imane et Omar.

Elle est en effet discrète, Yamina, elle qui a connu les exils, la violence, la faim ; elle vit le racisme structurel subi encore plus fortement dans les quartiers populaires comme une forme d'habitude ; elle ne hausse jamais le ton face aux remarques ou aux regards désobligeants ; elle fait partie de la première génération qui vit en France, qui n'y est pas née, et qui se sent donc comme redevable d'avoir le droit d'y vivre, même dans des conditions indignes. Et puis il y a ses enfants, la deuxième génération, celle qui est née en France, celle qui n'en peut plus d'être discrète, et de voir leur mère rester discrète – surtout Hannah, la plus révoltée des quatre – ; celle qui a du mal, malgré des diplômes, à trouver du travail, plus encore en raison des consonances patronymiques maghrébines présentes sur les CV, et qui se doit de supporter le pire pour pouvoir le garder ; celle qui cherche à trouver sa place dans une société qui ne l'accepte pas telle qu'elle est, et qui lui fait bien comprendre par des non-dits omniprésents dans toutes ses strates.

Au fil des chapitres, brefs et à la spatio-temporalité précisément ancrée (date et lieu sont indiqués à chaque début), qui alternent entre le passé de Yamina et son présent, ainsi qu'avec le présent de ses enfants, nous découvrons donc la vie d'une famille franco-algérienne, ce qui l'a forgée, ce qui la lie, ce qui lui permet de s'affirmer en tant que telle, plus ou moins difficilement. Ces chapitres alternent également entre deux tons : parfois dramatique, mettant au jour des scènes dures, caractéristiques du racisme et des discriminations vécus au quotidien, et ce depuis l'Algérie colonisée de Yamina ; parfois comique, dédramatisant les scènes les plus dures, et insistant sur la capacité de résistance des enfants aux difficultés.

Et finalement, moi qui ne savais pas trop à quoi m'attendre à l'ouverture de ce roman, que j'ai lu d'une traite un après-midi, j'en suis sortie ravie. J'ai trouvé le style parfois empreint d'une délicatesse touchante, à l'image de Yamina, parfois beaucoup plus incisif, à l'image cette fois de ses enfants, mais dans tous les cas d'une sobriété bienvenue : j'y ai donc complètement adhéré. Et puis j'ai été sacrément touchée par l'histoire de cette famille, avec laquelle Faïza Guène partage plus qu'un simple lien fictionnel : l'on sent le vécu et l'hommage familial derrière le roman, et ce qu'il est beau, cet hommage !
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Quand ma belle-soeur me demande "ça parle de quoi ?" lorsque je lui propose de lui laisser La Discrétion pour la fin de ses vacances, je suis bien embêté pour résumer en quelques mots ce roman, alors je dis juste "ça parle d'une famille issue de l'immigration et sur la place qu'on leur laisse aujourd'hui dans ce pays".

J'aurais pu dire également que c'était un roman sur les femmes d'hier et d'aujourd'hui, ces femmes qui travaillent dur et sans reconnaissance, qu'on prive d'éducation car ça n'apporte rien à un mariage, à qui on trouve un mari et qui élèvent les enfants qu'on leur fait sans s'inquiéter du consentement. Ces femmes d'hier qui baissent la tête et s'excusent alors qu'elles ne sont coupables de rien et ces femmes d'aujourd'hui qui haussent le ton et pointent du doigt quand il s'agit de devoir dire stop, ça va trop loin, on n'accepte plus.

C'est aussi un roman sur la famille, les liens d'une fratrie, l'histoire d'un mariage, du quotidien, des rêves endormis qu'il est encore possible de raviver, de cet espoir qu'on place dans ses enfants pour qu'ils aient une situation meilleure que la nôtre.

Bien-sûr, c'est un roman sur l'immigration, sur ces français dont les parents sont nés à l'étranger, ont subi la colonisation et la guerre là-bas pour ensuite subir le racisme ici. C'est un roman qui dit la place qu'ils n'ont pas osé prendre et qu'on n'a pas su leur laisser, un roman sur ceux qu'on pointe du doigt comme le totem de tous les problèmes, qu'on regarde comme des voisins mais jamais comme des frères, dont on est capable de dire tout ce qu'ils ont de différent de nous mais jamais tout ce que nous avons en commun.

C'est un beau roman, il est court, il est juste, il est tendre comme le regard d'une mère et il est percutant comme une remarque raciste. Il n'accuse personne de rien, mais il se pose comme un miroir, juste en face de nous, pour nous permettre de faire notre examen de conscience. Et franchement, ça n'est pas très beau à voir.
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Faïza GUENE. La discrétion.

Un beau roman intimiste qui nous plonge dans la vie privée, familiale d'une famille d'origine algérienne, exilée en France, dans la banlieue parisienne. Cette famille s'est implantée à Aubervilliers ; les enfants, issus de l'union de Yamina, l'héroïne de ce récit, et de Brahim, son époux, sont tous nés en France et ont vécu leur adolescence et leur jeunesse en France, mêlés aux adolescents autochtones.

Yamina, 70 ans nous narre sa vie, naît en Algérie, fille aînée, elle doit cesser d'étudier pour aider aux travaux de la ferme et ses frères poursuivront leurs études, 5 deviendront professeurs et un assureur. Une belle réussite pour la famille. Toujours effacée, discrète, Yamina suivra son époux en France, là où le travail l'appelle. Toujours aussi réservée, pudique, elle éduquera du mieux ses enfants…. Ces derniers bénéficieront des deux cultures et feront leur vie dans ce pays qui les a accueilli.

Une belle saga familiale qui oscille entre l'Algérie et la banlieue de Paris, qui couvre les années 1949 jusqu'à 2020. Ce récit simple, mais vrai témoigne de l'amour que Faïza porte à notre pays et nous conte son histoire personnelle, avec beaucoup de pudeur. Les chapitres sont très courts, alternance balancée entre la vie en France, et la vie vécue en Algérie. Une page d'histoire, de l'Afrique du Nord avec la fin de la guerre en 1962, l'implantation en France, la vie de tous les jours, menée par notre héroïne, et le futur offert à ses enfants qui rêvent d'indépendance…. Ce roman est très facile à lire et nous apprend beaucoup sur l'accueil de ces populations transplantées chez nous et qui se sont mêlées, ont eu des enfants d'où une culture plus riche au contact des uns aux autres… Tout en discrétion, sans faire de vagues.

Merci Faïza de nous dévoiler la vie de vos ancêtres. A lire, en priorité parmi les nouveautés. Souvenez-vous du premier roman de cette auteure « Kiffe, Kiffe demain », publié à 19 ans et plein de tendresse , de vérité, de pudeur. Vous pouvez également lire « Un homme, ça ne pleure pas », un autre petit bijou de Faïza. Je vais , pour ma part lire « Millénium Blues » qui est la seule publication que je n'ai pas encore lu. Bonne journée à tous et n'hésitez pas à saisir et lire ce beau livre.
Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Yamina a 70 ans . Elle vit dans une HLM de banlieue avec son mari Brahim et ses quatre enfants: 3 filles, et 1 fils, sa fierté ( " Il n'a jamais été en garde à vue!").
Elle se souvient de sa vie en Algérie, de son exil pour rejoindre son époux, elle se veut discrète, ne veut pas se faire remarquer.
C'est un beau récit emprunt de douceur malgré les évocations terrifiantes de la cruauté des hommes lors de la guerre.
L'écriture de Faïza Guène est simple, précise, avec de nombreuses allusions aux objets, au prix des choses. Car l'argent ne coule pas à flot dans cette famille et l'auteure ne juge pas, mais analyse avec beaucoup de pudeur la difficulté d'être en exil.
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