La grâce de Graciano…
Déjà, la couverture est apaisante, cette fauvette sur fond bleu tendre laisse présager un roman bucolique, champêtre, contemplatif, voire méditatif. Un livre de la famille des « Nature-Writing », peut-être. Elle dévoile en tout cas, avant même de tourner ces pages couleur crème et d'un grammage épais, la délicatesse et la beauté que recèle ce livre, publié aux singulières éditions le Tripode. Il fallait au moins cet écrin pour une telle pépite.
le Tombeau rassemble en effet à la fois une plume magnifique et une expérience de littérature.
Tout d'abord,
le tombeau, c'est une plume magnifique. Celle-ci nous invite à découvrir la voix d'un ermite fictif du 15ème siècle habitant les hauteurs de Domrémy qui a bien connu Jeanne D'Arc,
Johannette comme il l'appelle. Il nous narre surtout sa plus tendre enfance et évoque, par ellipses pudiques, sa fin tragique. La jeune fille venait en effet dans sa chapelle prier et se confesser, elle avait noué avec lui des liens de confiance. Elle allait le voir pour écouter la vie des saintes qu'il aime lui raconter, sainte Marguerite d'Antioche ou sainte Pélagie, « que l'on pouvait bien considérer comme des fables, à cause que c'étaient choses prodigieuses et impossibles, et peineusement croyables, mais cependant fort belles à narrer, et emplies d'enseignement, évident ou secret, prévenais-je
Johannette ».
Mêlant souvenirs émus de la jeune fille et nombreuses réflexions sur ce monde soumis à la peur et au chaos, sur la présence de Dieu, sur la façon dont les hommes ont établi des règles et des dogmes, pour manifester leur foi, contraires au simple amour chrétien, sur l'amour présent en tout être, sur la Nature, l'ermite réaffirme la beauté du monde malgré les tortures que les hommes ont infligé à sa protégée et démontre la nécessité de l'espérance.
Ces pensées sacrées nous sont offertes au moyen d'une écriture finement ciselée, ajourée telle de la dentelle, taillée tel un diamant. Belle et pure, elle semble épouser l'environnement verdoyant dans lequel déambule l'ermite isolé, elle semble se fondre avec sa méditation dans les bois, elle est toute en circonvolutions, en méandres, en ramifications, en ombres et en lumières, elle évolue en progressions et retours en arrière. Une écriture telle une balade en pleine Nature, dans un décor sylvestre, permettant de ressentir cet indicible que veut nous faire toucher du doigt et du coeur l'ermite, ce sacré dans la Nature, loin, très loin du dogme plein de faste des hommes d'église qui détruisent parfois celles et ceux qui ne pensent pas comme il faut, celles et ceux qu'ils qualifient d'hérétiques, d'apostate et d'idôlatre, « qui valaient bien les injures , les crachats et les horions que notre Seigneur Jhésus a endurée, bien que Lui dût, en surcroit, porter sa croix sur une lieue de chemin… ».
La Nature tel un tombeau salvateur pour mieux prendre de la hauteur.
C'est une écriture au charme fou, exigeante, étonnante, demandant patience et persévérance, parfois égarés dans des chemins de ronce avant d'aboutir, émerveillés, dans une clairière, baignée de lumière. J'ai été littéralement ébahie, lisant et relisant certains chapitres, certains passages, émue par une telle beauté, beauté de l'écriture à l'image de la beauté de la Nature et de la vie. Une écriture de la Terre et du ciel en écho à la pensée spirituelle de l'ermite. Une langue qui suit le rythme lent de la nature, le vol des oiseaux, l'éclosion des bourgeons.
« …pendant l'office nous parvient à temps réguliers le chant d'un coucou, qui gracie peut-être mieux que moi le pain et le vin, à cause que son chant est celui de la résurrection, émis par le véritable oiseau qui annonce le printemps, ceci malgré sa malice, eu égard à son habitude cauteleuse d'établir sa couvée dans le nid des petits oiseaux, notamment les fauvettes, l'accenseur émettant son chant doux et double, et tant reconnaissable, comme si, donc, devant moi, assis à la grande table de pierre, le souffle vespéral agitant délicatement les herbes, se tenait un petit océan, d'autant que, dans toute la forêt autour, excitée par lui, les cimes des grands arbres s'animent mêmement, quoique plus ténument, à cause que l'aure est légère et qu'elle a plus de mal à les émouvoir que les fines et souples herbes hautes, et que j'entends plus loin dans le bois, le claquement d'ailes de pigeons qui rejoignent leur dortoir, non ces lourds claquement de palombes, mais ceux moins bruyants, légers et timides, de pigeons dits colombins, qui sont plus petits et agiles, après avoir guerpi leur place de nourrissement, envahie de plants de muguets, desquels ils font trembler légèrement les clochettes flories au moment de l'envol, et les ronronnements de tourterelles sur leur nid… ».
Le tombeau, c'est ensuite une expérience de littérature car chaque chapitre n'est constitué que d'une seule phrase, et ce, dans un langage mâtiné d'expressions féodales. Il est impossible de le lire sans véritable attention, sans concentration, sans en murmurer les longs passages, sans en caresser les pages en revenant sur certaines méandres comme on caresserait l'écorce d'un arbre, les ramifications nous ayant parfois égarés, pour revenir ensuite, plus riches de beauté et de lumière, à suivre ainsi la pensée vagabonde du vieil homme. C'est un soliloque plein de grâce et de délicatesse, d'émerveillement et de foi, de lenteur et de spiritualité.
« …elle puisait de l'eau au bénitier dans le creux d'une paume qu'elle recoquillait en forme d'entonnoir, et laissait l'eau s'écouler par le bas, par l'étroit goulot du petit doigt plié sur lui-même, et ondoyait doucement son front, entre ces deux yeux inspirés, peut-être en réitération de ce qu'il avait été fait le jour de son baptême en la petite église de Domrémy, celui même de l'épiphanie, à ce qu'il se dit désormais… ».
Ce livre fait écho à un autre livre de
Marc Graciano,
Johanne, paru en 2022 dans lequel il racontait les étapes de la route conduisant la jeune fille de Vaucouleurs à Chinon pour y rencontrer Charles VII.
Marc Graciano, éloigné de toute récupération du mythe national, souhaite en restituer le côté fascinant, mystérieux, presque magique. Il démontre de quelle façon, en voulant éliminer ce personnage gênant et impie selon leurs règles, ces hommes l'ont rendue immortelle. Il met en valeur que l'ermite la considère comme une sainte non pas du fait des voix, auxquelles il ne semble pas trop croire, mais du fait de son rapport simple et emplie de grâce et d'innocence avec la nature, ce regard lumineux pourvoyeur d'un amour absolu. L'ermite étant fictif, il me semble que cette façon de voir, de ressentir la vie, est celle de l'auteur.
Marc Graciano, avec
le tombeau, nous offre une pépite, celle d'un langage inventé baigné de grâce, de sensorialité, qui épouse la Nature, son rythme, ses ondulations, ses bruits, ses ombres et ses lumières. Un langage qui s'accorde avec une façon d'être au monde, pleine de vie et d'espoir, de spiritualité. Il nous invite à regarder au-delà des bassesses du monde des hommes pour se recentrer sur l'essentiel et vénérer le sacré. Un texte rare !
« il ne faut jamais désespérer, tout peut se refaire et revivre, tout se reneuve sans cesse, et il faut aller hardiment, c'est tout le message que
Johanne est venue nous porter ».