Le sujet de ce livre est en soi intéressant : le rapport aux chiens en Corée, où ils sont tués pour leur chair et leur viande mais où se développe le phénomène du chien comme animal de compagnie.
J'ai lu il y a quelques mois le livre de
Dominique Guillo «
Des chiens et des humains » ; les recherches scientifiques font état depuis plusieurs décennies des rapports spécifiques qui lient les humains et les chiens. Véritables partenaires et équipiers des ancêtres même d'Homo Sapiens, les chiens sont les animaux les plus proches de l'homme et les expériences prouvant la communication exceptionnelle entre humains et chiens finissent de nous convaincre de ces liens profonds, bien plus subtils qu'il n'y paraît.
L'histoire et l'évolution des sociétés viennent pourtant toujours nuancer les choses : les chiens sont mangés en Corée. Depuis quand et pour quelles raisons ? Est-ce que ce sont seulement les pauvres qui mangeaient les chiens et est-ce que cet usage s'est transféré aux classes supérieures par la suite ? Ou l'inverse ? Est-ce que des pratiques religieuses en sont à l'origine ? L'auteur nous rappelle par ailleurs régulièrement que ce sont les bâtards, les « chiens de merde » qui sont tués et mangés, ce qui implique une hiérarchisation, une différenciation et donc peut-être un interdit sur certains chiens … Les coréens ne sont pas du tout les seuls à avoir mangé des chiens, ni les premiers ni les derniers – des phénomènes économiques, sociaux, religieux peuvent expliquer cette pratique.
Ce livre n'est pas une prise de recul par rapport à ces questions mais il permet toutefois de se les poser. Il s'agit d'un récit de vie autobiographique : l'auteur nous raconte les relations entre elle, son conjoint et leurs trois chiens, Carotte, un corgi, Patate, un bâtard, et Choco, une femelle berger australien (border collie dans le texte mais d'après les photos c'est un berger australien.)
Le personnage principal est d'abord réticent mais se laisse conquérir par le corgi Carotte. Les deux chiens suivants sont trouvés et adoptés.
Le couple déménage à la campagne et est confronté au traitement contradictoire des chiens dans une société en pleine mutation : entre chasse et exécution à des fins lucratives pour certains, maltraitance et négligence pour d'autres, et affection pour nos protagonistes.
Le temps n'était pas si loin où en France aussi les chiens errants étaient considérés comme des nuisibles à abattre. En soi, le droit animal en est encore à ses balbutiements et soulève des questions essentielles quant à notre rapport au vivant : quelle est la place des chiens dans le monde moderne où on ne chasse plus, où on n'élève plus ? Est-il raisonnable de faire vivre des chiens de travail (chiens de chasse et de berger) dans des villes ou des cités-dortoirs, de leur interdire tout autre contact que celui de leurs maîtres, de les empêcher de se reproduire, de se battre avec leurs semblables ? Est-il acceptable de laisser son chien seul quand on est huit heures par jour au bureau ? Est-il éthique de nourrir les chiens de compagnie avec les restes de carcasses d'animaux d'abattoirs réduites en croquettes agrémentées d'additifs et autres produits chimiques ?
L'auteur prend parti à la fin de l'ouvrage pour la défense des droits de l'animal et la lutte contre toute forme de maltraitance dans son pays.
Elle a vécu en France, elle cite
Saint-Exupéry et le chapitre de l'apprivoisement du renard. Elle dit que les films et les livres apprennent l'empathie. Sans doute ces films et ces livres proviennent des États-Unis ou de l'Europe de l'Ouest : on est donc face à une forme d'acculturation. C'est le récit d'un choc culturel et d'une mutation des mentalités.
Toutefois, jusqu'aux dernières pages de l'ouvrage, ces questions ne sont pas discutées explicitement : elles sont en filigrane du récit chronologique de différents épisodes de vie, que segmentent les chapitres. L'acquisition du premier chien, les premières balades, le départ de Séoul pour la campagne, les adoptions de Patate et Choco, etc. Tout au long de ces différentes étapes, le couple est confronté à ses voisins ; certains aiment leurs chiens et les couvrent d'attention et de bienveillance, d'autres les maltraitent ou y sont complétement indifférents, les voyant comme une responsabilité de plus, d'autres encore les achètent pour une bouchée de pain - à des gens bien contents d'en être débarrassés - et traquent les chiens errants. Quand les cages de leur camion sont toutes occupées, ils les tuent, les préparent et en font de la soupe.
Le style de dessin et l'esthétique générale sont très intéressants. On a ces dessins noirs, au trait épais. Je ne saurais pas dire les techniques employées mais cela donne un rendu sombre, souvent plus suggestif que démonstratif - l'action en devient parfois difficilement lisible mais ce n'est pas le propos de l'auteur. L'idée est plus de partager des expériences. On a donc des paysages en pleine-page, beaucoup de cases sans texte où on voit juste l'auteur et les chiens dans leur vie quotidienne. Il y a aussi des pages où il n'y a plus de cases et les personnages flottent comme des images qui passeraient devant les yeux de l'auteur, des souvenirs. J'ai apprécié le changement de technique pour le chapitre éponyme,
la saison des pluies, où l'auteur utilise une encre plus liquide, de l'aquarelle peut-être ... ? Cette technique épouse et illustre en tout cas bien l'ambiance, le contexte du récit, où l'auteur ressent de l'empathie pour un chien attaché dehors alors qu'il n'arrête pas de pleuvoir.
Les chiens sont beaux mais je retiens toutefois Choco (je ne suis sans doute pas très objectif, il y a un berger australien dans ma famille). Les gros plans de ses yeux en pleine page dans l'avant-dernier chapitre m'ont particulièrement ému.
Je retiens aussi le passage où le personnage principal fait un cauchemar dans lequel elle se revoit enfant, lorsqu'elle a échoué à sauver un chien qui allait être mangé et que le tueur de chien du village a le visage de son père : très effrayant mais aussi fort significatif. Est-ce que son père a vraiment tué ce chien et elle a été dans le déni toute sa vie ? Est-ce qu'elle s'en est toujours voulu d'avoir loupé son sauvetage ? Est-ce que le père représente le passé et la tradition (l' « insensibilité » devant l'acte de tuer un chien et de le manger) en conflit avec ce que ressent l'auteur pour ses propres chiens et son indignation face aux conditions de vie des chiens de son village ?
De manière très réaliste, toutes ces terribles questions sont balayées par Carotte, qui vient sortir sa maîtresse de ce sommeil troublé.
Petit bémol : j'ai trouvé la traduction parfois bizarre, les mots et les expressions me semblaient trop soutenus et donc, les textes, pas naturels … Mais l'auteur parlant sans doute français et ayant donc participé à la traduction, j'imagine que ce ne sont pas des fautes, cela m'a toutefois un petit peu sorti de la lecture à certains passages. L'édition reste de bonne qualité.