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Jean-Louis Courriol (Traducteur)Florica Courriol (Traducteur)
EAN : 9782264083203
504 pages
10-18 (21/03/2024)
3.93/5   44 notes
Résumé :
Au cœur d’une vallée sauvage des Carpates, Iochka fabrique du charbon de bois. Quasi centenaire, il aime se taire, boire sec et dévaler ivre les routes sinueuses des montagnes au volant de sa vieille Trabant bleue. Mais le plus souvent, il demeure assis sur le banc cloué à l’extérieur de sa petite maison, se remémorant son existence hors norme. La guerre, les camps soviétiques, Ceaușescu, puis la camaraderie du chantie... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Par quel bout prendre ce roman pour que vous lui donniez une chance ? Si je vous dis qu'il commence en Roumanie dans les années de guerre d'abord, communistes ensuite, vous penserez camps, purges, peines et tortures. Quelque chose de noir, de violent et de triste. Et vous n'aurez pas tort. Mais ce serait en manquer une partie.

Je pourrais vous parler de Iochka, le personnage principal mais il faudrait alors vous dire qu'il est muet quasi d'un bout à l'autre du livre. Un homme monobloc de silence, frustre au point qu'il ne puisse pas penser le monde. Il l'est, le monde. Sans médiation ni du langage ni de la moindre élaboration. Il est « celui qui ne savait pas mais sentait. »

C'est lui que l'on rencontre dans les toutes premières pages, alors qu'il est déjà âgé, quasi centenaire peut-être. Un vieillard éternel dans cette vallée autrefois désertique et devenue touristique, une sorte d'attraction même pas à ses dépends tant il parait indifférent à tout. Habitant infime d'une misérable cahute, il est passé maître dans l'art de brûler du bois pour en faire le meilleur charbon, vivote de cela. Entre deux moments où il fixe devant lui sans rien voir, assis sur un banc. L'aimable sauvage se dit-on.

Voilà que par les détours improbables de sa mémoire, on remonte le temps. Un procédé éculé, pour exposer l'intelligence primitive au système totalitaire de ce 20e siècle sanglant, me suis-je dit prête à verser ma larme de circonstance pour les travailleurs, les opprimés, les bafoués, les martyres.

C'est heureusement beaucoup plus ambitieux et complexe que cela.

A force de remonter ou de redescendre les méandres d'un récit qui s'entortille autour de Iochka, on finit par trouver une certaine trame biographique. Son enfance, ses jeunes années, traumatiques, impossibles et puis son arrivée dans cette vallée reculée. Elle est le lieu de grands travaux. Un contremaitre y règne en toute puissance sur une armée d'ouvriers officiellement commis à construire une voie ferrée qui n'aboutira jamais nulle part.

Dans les replis de ce lieu isolé, protégés par les règlements d'une administration ayant besoin d'un endroit où reléguer les rebuts, une poignée d'hommes va construire une voie ferrée comme d'autres Shadocks pomperaient ou Pénélope tisserait. Et puis, selon les mêmes grands et absurdes desseins d'un régime de terreur aveugle, un asile sera construit. On y enverra une cinquantaine de fous. Ceux qui ont vu tant d'horreurs qu'ils y ont laissé leur raison, ceux qui sont fous de s'être tus, fous d'en avoir trop dit, fous comme un falot laisser-passer quand rien ne tient plus. Et pour s'occuper d'eux, on y mutera le docteur. Juste assez bien pour être médecin, juste assez indésirable pour qu'on l'enterre dans cette vallée oubliée.

Un contremaitre, un docteur, Iochka. Et un pope. Dans des temps où l'opium du peuple est scrupuleusement interdit, ses icônes et ses représentants à l'avenant, il reste au-dessus de ce désert sauvage un ermitage où s'est retranché un homme rondelet, pas très propre sur lui, souvent ivre. le pope donc.

Il faudra encore ajouter, après quelques péripéties aussi dures que tendres Ilona, la femme d'Iochka et Iléana, celle qui a vu le loup et qui s'occupe de nourrir tous ces hommes. Ainsi la constellation des personnages sera complète et le roman pourra se déployer.

Un roman où, des faits historiques les plus avérés, de la matérialité la plus triviale des verres d'alcool bus, des mains calleuses et des ongles noirs, du militantisme aux heures sombres aux ors d'un pouvoir corrompu, on va s'envoler dans une forme de mystique. Une forme de burlesque aussi lorsque ces personnages taillés comme des personnages de farce seront croqués avec une tendresse pleine de malice, mis dans des situations qui en feront ressortir tout le comique grotesque et bon enfant.

Ainsi, la vallée, de camps de travail forcé se métamorphose en paradis paradoxal tandis que les disputes entre le pope et le docteur prennent l'accent de controverses savantes où la Religion ne s'en laisse pas conter par la Science. Sous l'oeil goguenard et aviné du contremaître, loup devenu berger. Et le récit de poursuivre ses méandres, de revenir sur des temps passés, de nous dévoiler quelque tragédie dont on sait qu'il nous faudra attendre pour qu'on espère en comprendre les ressorts. Peine, efforts, joies emmêlés. le courage d'être humain.

Il y a du Mur invisible dans ces destinées solitaires, d' Olga Tokarczuk aussi dans la peinture allégorique d'un tout petit monde résumant à lui seul ce qu'est le temps, ce que sont l'amour et les hommes.

On se croyait emportés dans un roman social, politique et nous y sommes tout en même temps que catapultés en pleine métaphysique, en pleine absurdie, les deux mains serrant notre verre de gnole, les yeux dans le lointain, les amis muets pour épauler notre propre silence. On est vieillard, on est vert désir de jouissance, terreur et fracas. On est la forêt aussi, son appel et sa folie. Et c'est dans ce rapport élémentaire au monde, dans la joie du sexe, de la camaraderie ou l'adversité du chagrin partagé que vont se tisser ces vies. Immanence manifeste rendue par une langue qui n'a pas peur des grandes phrases, des envolées.

C'est la question, par quel bout prendre ce roman pour que vous lui laissiez une chance et que vous soyez à votre tour emportés par la puissance de sa narration et de ses évocations, comme par surprise ?
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Les belles surprises se nichent parfois sous des pitchs improbables et une couverture intrigante. Cette belle gueule burinée, la force des traits et du regard où passent les années, les douleurs et les plaisirs, avouez que ça donne envie de faire connaissance avec cet homme. Un vieil homme dont la vie minuscule se déroule dans une vallée perdue et oubliée au fin fond des Carpates. Que peut-on bien trouver à raconter là-dessus sur plus de cinq cents pages ? Tout. Tout ce qui fait la vie, une vie. Je viens de lire des pages sublimes sur l'amour, l'amitié, les silences. Il se dégage de ce texte une puissance ancrée dans la terre et la chair par la grâce d'un écrivain qui sculpte sa matière jusqu'à lui donner vie. La présence de Iochka est telle que l'homme transperce les pages de sa vitalité tranquille et pourtant tourmentée.

Dans cette vallée du sud de la Roumanie, au milieu de la forêt où Iochka s'est installé après la guerre, on vit un peu à l'écart de tout même si le monde sait se rappeler à chacun. Un vaste chantier a donné lieu à la construction d'un asile de fous et le docteur a intégré la petite bande formée par Iochka, Vasile le contremaître et puis le pope. Des vies simples où l'on travaille de ses mains, en silence. On se tait plus qu'on ne se raconte, on débouche nombre de bouteilles d'eau de vie, certaines choses se passent sans que l'on cherche à trop en savoir. Il se murmure que les fous de l'endroit ne le seraient pas vraiment et en tout cas moins que ceux qui sont au pouvoir dans les villes et au sommet de l'état. Pour Iochka de toute façon l'important s'appelle Illona, la femme de sa vie qu'il a d'abord cru perdue avant qu'elle ne vienne frapper à sa porte un jour de neige. Leurs corps savent se parler. Nul besoin de trop de mots. Ils sont la quintessence de l'harmonie. Les pages qui relatent leurs retrouvailles sont parmi les plus belles qu'il m'ait été donné de lire sur la façon dont deux êtres fusionnent. C'est somptueux.

Le pays se devine en filigrane, son histoire aussi. Les influences, le pouvoir, la peur, les révolutions et l'inertie. Les violences vécues sont tatouées sous les peaux et les fantômes ne sont jamais loin. Seuls l'alcool et la chair ont le don de les tenir à distance. Les silences sont captivants, chargés en émotions. Mais la figure de Iochka emporte tout sur son passage. Un ouragan de bonté tragique, de tendresse virile, de douleur enfermée. Impossible à oublier. Jamais la chair n'aura été autant perceptible à travers le papier. L'écriture organique de Cristian Fulas - magnifiquement rendue par ses traducteurs - possède une force rare qui m'a totalement emportée. Sans doute ma découverte de l'année.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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La Roumanie, les Carpates, élèvent leurs miscellanées. Une vallée macrocosme riche d'êtres extraordinaires. L'impression fabuleuse d'être en transmutation au coeur d'une épopée criante de sincérité, vivifiante comme le pain qui gonfle sous un tissu, émouvante et vertueuse.
Lire ce roman-monde c'est grandir, étreindre, pleurer et rire. Retranscrire pour nos mémoires l'exemplarité des hôtes des pages. Tout, ici, est cette compassion accomplie pour la vie-même. L'importance des petits riens et des pudiques gestuelles. L'intégrité et la loyauté, l'amour et les endurances aux blessures.
On aime Iochka, cet homme assis sur le banc des résurgences. L'histoire, pas à pas, mot à mot, est une déambulation dans cette ère en noir et blanc (mais que c'est beau!). Dans cette vallée solitaire, cercle infini des mansuétudes. Iochka, sa vie laborieuse, de droiture et la loyauté à fleur de peau. Les mains opératives, rugueuses, noires et divinement belles. Il laisse le passage aux souvenirs. le dos courbé et l'âge vénérable. Lui, et la guerre et la rugosité des épreuves. Les criantes oppressions et le bourreau Ceausescu. L'aurore-boréale aimée : la belle Ilona.
« Elle a demandé à voix basse quand il allait partir, lui a brusquement recouvré la parole et lui a parlé de la vallée, du ruisseau, de la colline qui devenait d'un coup une haute montagne et protégeait le monde, il lui a parlé de la beauté inouïe, de la paix des montagnes, d'une famille et d'enfants... »
Le langage est intrinsèque, à l'instar du linge frais claquant au vent . le regain des alliances et l' aurore assignée aux dires. Les théologales heures des retrouvailles avec le pope dont on aime la simplicité et la parole juste, imagée et lumineuse. Elle, l'épouse fusionnelle, l'amour chevet et les draps froissés d'ardeur et de sueur. Les conjugaisons apprises et comprises. Les mains lianes et la cartographie des corps qui devinent le passage de l'écluse.
Le grand homme Ceausescu qui bouleverse les sillons d'une vallée pourtant protégée des aspérités.
« Les choses avaient changé depuis que le régime avait lui-même changé et que le grand homme était mort avec sa femme un jour de veille de fête. C'était un rude hiver dans la vallée. »
Iochka, le verre à la main comme une passation de force et d'amitié. Eux et lui, camarades à jamais. L'entraide surpassée par l'élan de magnanimité. Il regarde la vallée et voit les merveilles dans le tremblant des miettes de pain. Dans le minuscule mouvement d'un brin d'herbe. Il sait.
« Et chaque conversation devenait une tour de Babel. »
La vallée où l'on trinque plus vite que l'on parle. Dans cette attitude qui brise les apparences et acclame la belle fraternité. Vallée valeureuse où la connivence est une vertu. Une barrière symbolique protège cette fratrie soudée. L'union fait la force !
La trame majestueuse de Cristian Fulas est olympienne, posée, sans un pli aucun, comme une nappe dressée pour les jours de fête. On est en élévation. le chant si certifié qu'il est aurore. Une vallée solidaire où chacun est une veillée au coin du feu pour l'autre.
« Qu'est-ce que le monde sinon une multitude de gens rassemblés ? »
Le contremaître, le docteur, iochka, Ilona, leur enfant, le seul, accompagné par tant d'amour.
« Iochka » homme et rive, livre et perpétuel, la fusion de la noblesse des sentiments et des constances. Car oui, c'est ici le levier de ce grand livre, chef-d'oeuvre, vecteur d'humanité et d'amour universel. La noria des destinées, le pain pour la faim et l'eau pour la soif. Cimes d'une vallée Alcazar, l'exemplarité spéculative.
« Iochka », inépuisable, d'une compassion infinie pour l'intégrité et la rectitude est la preuve même de la beauté. Plus rien d'autre ne compte que de prendre à pleines mains ce livre cardinal.
Une chance infinie allouée à la magistrale et perfectionniste traduction du roumain par F. et F.L. Courriol, binôme salutaire.
Publié par les majeures Éditions La Peuplade.
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Iochka, un vieil homme solitaire et taiseux, survit en vendant du charbon de bois dans un village des Carpates, en Roumanie. Il travaille, s'enivre d'eau-de-vie et pense à son passé et au monde.

A ses côtés, on traverse l'histoire de la Roumanie de 1942 - où il a été enrôlé comme enfant de troupe et a participé à la guerre sur le Don - jusqu'à nos jours. Il raconte ceux qui ont traversé sa vie, ses meilleurs amis et Ilona, l'amour de sa vie. On rencontre une série de personnages très attachants, sincères dont la vie simple, faite de petits riens, parle à tous. Au cours de leurs discussions, querelles, réconciliations, chacun se dévoile et on découvre leurs histoires, mêlées à celle du pays. Outre la Seconde Guerre mondiale, ils abordent le communisme, la chute des Ceausescu et ses conséquences, la modernisation du pays, la naissance de nouvelles castes le temps qui passe. Assis sur son banc, Iochka se souvient. Il cherche le secret du temps et du bonheur.

Cristian Fulas est Roumain et Iochka est son premier roman traduit en français par La Peuplade, maison d'édition québécoise.
J'ai mis un peu de temps à entrer dans l'histoire faite d'un jeu de sauts en avant et de flash-backs mais l'écriture fluide et d'un réel raffinement littéraire du récit m'a entrainée dans son sillage. L'histoire de cet homme tranquille et endurant nous offre des pages magnifiques. La solitude, la nature, l'amitié, l'amour sont au coeur de ce récit. L'auteur à la prose portée par un souffle lyrique indéniable porte un regard acéré sur l'humanité.

C'est un roman très poétique, onirique et rude parfois et profondément lucide. Une ode aux gens simples oubliés par la course du monde.
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415 pages, deux semaines pour en venir à bout.


Dans une vallée perdue des Carpathes, des hommes construisent une voie ferrée qui n'arrive nulle part, un hôpital psychiatrique héberge des "fous" ou peut-être des opposants au régime. L'électricité est parvenue presque jusqu'à eux.

Iochka s'est installé dans la vallée après avoir fait la guerre avec l'armée roumaine (du côté des Allemands) puis avoir été déporté dans un camp soviétique du côté du Caucase, il trouve la paix dans la vallée et il est rejoint par Ilona.

C'est une histoire d'amour. Les descriptions érotiques sont circonstanciées et parfois tirent en longueur (suis-je forcée de lire tout cela?) .

C'est aussi l'histoire d'amitié virile entre les quatre notables : Iochka, le forgeron, le Contremaître du chantier, le docteur de l'hôpital et le pope qui vit plus haut dans son ermitage. Amitié autour d'une bouteille de palinca.  Ils boivent beaucoup. La gnôle délient les langues, alimente des disputes entre le pope et le docteur athée, scelle des réconciliations. Ils boivent vraiment beaucoup (suis-je forcée de les suivre pendant des pages?).

A force de lire, on découvre les histoires individuelles (je suis restée sur ma faim en ce qui concerne le médecin, comment est-il arrivé là?). Chaque histoire se développe. Chacun se dévoile dans sa complexité. Je m'attache aux personnages.

C'est aussi l'histoire de la Roumanie, toute une tranche d'histoire de la Seconde Guerre mondiale à l'installation des communistes, la chute des Ceausescu, la modernisation qui gagne avec la construction des chalets de touristes dans la vallée.  Histoire désenchantée où la chute du dictateur apporte peu aux gens ordinaires :

Même s'il y a des longueurs, je me suis laissé emporter dans ce roman très exotique pour moi. J'ai bien aimé partager les moments de fête, les traditions orthodoxes gardées fidèlement par la pope beaucoup moins borné que je ne l'imaginais au début, un fin lettré collectionneur d'icones et d'objets d'art.

Roman de tolérance aussi : le Contremaître communiste, le docteur athée, le pope se disputent, comparent leur vision de la vie, se réconcilient, s'associent pour prendre soin de Iochka, le taiseux, l'homme simple.


Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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critiques presse (2)
LeSoir
22 mars 2024
Un magnifique roman venu des Carpates, un ovni absolu au style éblouissant pour survoler et tenter d’approcher le dernier siècle d’histoire de la Roumanie.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeDevoir
04 novembre 2022
Un roman peut-être un peu long, qui nous fait lui-même, il est vrai, éprouver le temps, avec ses plages et ses replis, baigné par l’amour de la nature
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Iochka et Ilona vivaient isolés dans le désert de la vallée, vivaient comme si autour d’eux il n’y avait rien eu d’autre en dehors du petit espace de leur habitation, et même s’il allait au travail et essayait de le faire correctement, la fatigue et le fait de penser continuellement à son fils empêchaient Iochka de parler aux gens, il s’enfermait encore plus dans le silence qui l’avait accompagné toute sa vie, silence qui devenait de plus en plus épais, comme une signature de sa présence.
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Le pope s'est approché sans mot dire, on ne l'entendait pas marcher, son corps semblait ne pas déplacer d'air quand il traversait la cour, il s'est assis à côté de lui sur le banc pour regarder la vallée du même point. Peut-être disait-il une prière pour la disparue, peut-être qu'il le faisait lui aussi chaque jour mais sans prononcer le moindre mot, il ne parlait pas à Iochka, il se contentait de rester assis sur le banc à ses côtés et de contempler la vallée, de se taire comme se taisent toutes les bonnes choses de ce monde. Ils se taisaient tous les deux depuis longtemps, depuis plus de vingt ans peut-être, assis sur le même banc, chaque jour à la même heure. Et dans ce silence, la prière du prêtre, cette pensée généreuse, s'élevait au ciel avec une force double. Deux hommes silencieux qui restaient assis ensemble sur un même banc à regarder les mêmes choses. ils taisaient leur mutisme bien mieux que tout autre, ils se taisaient leur mutisme bien mieux que tout autre, ils se taisaient et regardaient, et quelque part dans l'espace créé par leur silence s'inscrivait dans le monde qu'ils habitaient depuis toute une vie ; dans leurs yeux logeaient la vallée, tous leurs souvenirs, peu nombreux, souvenirs de gens simples et silencieux. Silence contre silence, ils n'étaient que deux silences, qui ne parlaient de rien parce qu'ils s'étaient tout dit en l'absence des mots, justement. À quoi bon les mots, s'ils se tenaient sous le grand chêne et si le temps était, et la terre aussi, et le feu et l'eau et l'air, et Dieu, si tout était comme il pouvait l'être dans leur monde, le plus simple des mondes possibles ? Le silence seul, le rien de ce silence, l'absence du murmure du ruisseau, le bruissement des feuilles, tout ce qui comptait c'était cela. Et l'amour, gage de toutes ces choses-là, se disait le pope en regardant les paumes usées de ce vieil homme, ces paumes qui reposaient paisiblement sur ses genoux comme dans les icônes, ces paumes sales et calleuses mais tournées, et pas par hasard, vers le bleu du ciel. 
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Un immense silence se tissait entre eux, une sorte de bonheur qui durerait aussi longtemps qu’ils vivraient ensemble, un de ces silences qui disent plus de choses sur l’amour que tous les mots du monde, quel que soit l’ordre dans lequel ils sont dits. Sa main s’est tendue par-dessus l’espace du centre de la pièce, il a écarté d’un geste indiciblement lent les mèches mouillées qui barraient le visage de la femme, il l’a caressé d’un geste qui avait l’intensité d’un regard et, elle, avec le mouvement le plus naturel du monde a appuyé sa joue contre sa main lourde, noircie et boudinée.
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A quoi bon les mots, s'ils se tenaient sous le grand chêne et si le temps était, et la terre aussi, et le feu et l'eau et l'air, et Dieu, si tout était comme il pouvait l'être dans leur monde, le plus simple des mondes possibles ? Le silence seul, le rien de ce silence, l'absence du murmure du ruisseau, le bruissement des feuilles, tout ce qui comptait c'était cela. Et l'amour, gage de toutes ces choses-là, se disait le pope en regardant les paumes usées de ce vieil homme, ces paumes qui reposaient paisiblement sur ses genoux comme dans les icônes, ces paumes sales et calleuses mais tournées, et pas par hasard, vers le bleu du ciel. Les paumes tout près de la croix en bois de chêne qui se dressait sous l'arbre déjà imoosant, paumes qui ne priaient pas, ne demandaient rien, ne pleuraient pas mais offraient, comme elles l'avaient toujours fait. dans leur union se trouvait toute la vie de Iochka, le pope le savait, il lne pouvait s'opposer à leur beauté at e saurait toujours, au cours de toutes ces années depuis qu'ils vivaient dans une vallée oubliée de tous, chaque fois qu'il avait vu ces paumes, posées sagement sur ses genoux, il avait su, il avait senti, il avait compris que rien ne pouvait s'opposer à leur beauté et à leur simplicité. C'est pour cela qu'il estimait ce vieil homme, qui avait presque son âge, c'est pour ça qu'il était resté à ses côtés, lui avait accordé sa confiance et n'avait jamais hésité à l'aider même lorsqu'il était loin, trop loin, dans les ténèbres de la douleur et de la folie. Iochka était le gage de leur univers, le pope le savait, seul le vieil homme, avec tous ses petits actes comme détachés d'un vieil Evangile inconnu, ne semblait pas s'en rendre compte. Même la lumière qui entourait ses mains était plus pure, plus limpide, elle ressemblait à l'eau bleue du ruisseau dans les matins sereins, le ciel semblait plus doux sous son regard, le vent se calmer, les bêtes sauvages de la forêt de la forêt semblaient elles aussi regarder timidement du fond de leurs tanières lorsqu'il se tenait, silencieux, près de la petite tombe, statue de la simplicité avec ses mains jointes mais pas pour une prière. Sans dire un mot, le viel homme semblait raconter l'histoire du monde entier, il semblait dire que les mots sont inutiles, la pensée les rassemble au même instant et quoi que l'on puisse dire dans des formes savamment tournées, rien n'égale cette simplicité en grandeur et en piété.
(pp.95-97)
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... entre ces deux êtres se tissait alors une langue commune, vieille depuis que le monde est monde, la langue dans laquelle ils allaient non pas prononcer mais taire une vie entière. Et une mort. Durant ces heures, ce court laps de temps entre l'arrivée de la femme dans la vallée et l'instant où ils sont devenus, tous deux, passage, translation, s'était produit un changement dans leur substance la plus subtile : eux deux devenaient, étaient devenus, allaient devenir pour toujours un seul corps, un seul et unique être que rien ne séparerait même pas un chêne planté au-dessus de leur tombe.
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