Un livre très court (167 pages) mais un livre choc qui emmène le lecteur en enfer et dont il sort complètement assommé.
Dès les premières lignes, on plonge dans l'horreur et on frémit d'effroi
"La première fois que tu as trouvé un os humain, tu as pleuré. C'était un bout de fémur. Tu ne connaissais rien aux ossements. Une vague idée. Tu as depuis appris à tous les reconnaître...
Maintenant c'est le corps qui t'obsède. Son absence et son oubli."
Ces paroles terribles s'adressent à Lucia, dont la vie a basculé le jour où Bianca, sa fille de quatorze ans a disparu sans laisser de trace. Grande fan de football, du Barça en particulier, la jeune fille portait ce jour-là un maillot de son idole, Lionel Messi. Rançon demandée, rançon payée... mais Bianca ne sera jamais libérée, ses ravisseurs préférant l'exécuter sauvagement sur place.
Depuis Lucia recherche désespérément le corps de sa fille. Comme tant d'autres, elle creuse, elle fouille dans les forêts, dans les collines, elle se bat et trouve une force nouvelle pour explorer les fosses clandestines qui abondent dans cette région. Au Mexique, explique l'auteur, Sylvain Estibar, 90 000 personnes ont maintenant disparu, sans que les autorités ne bronchent. Seuls leur proches mènent le combat de les retrouver et fouillent la terre tous ensemble, tels des spectres...
"Les morts étouffent là-dessous, alors tu perces le sol pour les faire respirer, pour qu'ils te parlent, que s'échappent enfin leurs murmures, que s'évente leur souffle putride qui dira la vérité affreuse".
C'est une peinture noire, très noire, que nous livre Sylvain Estibar. Il nous crie sa colère, sa révolte et dénonce la misère, la guerre des gangs, les crimes crapuleux, le cartel des drogues, la corruption, la mort semée partout et cet immense ossuaire qu'est devenu le sol du pays mexicain et il évoque aussi la dictature d'autres pays d'Amérique Latine.
Aucun espoir dans ce roman. On aimerait qu'il s'agisse de fiction, mais la réalité hélas est bien présente.
Style sec et percutant, chapitres très courts, ce livre se lit rapidement. On est happé par l'horreur, mais on ne peut s'en détacher. Quelques personnages secondaires bien choisis, comme par exemple le photographe de la Nota Roja, spécialiste de la photo criminelle, à la recherche de l'ultime cliché qui le rendra célèbre.
Et puis Lionel Messi, la star argentine, à qui Lucia a envoyé une lettre pour lui raconter l'histoire de sa fille disparue et l'alerter sur les circonstances du drame vécu par tant de mexicains. Il fera un geste...
Le monde du football, de la lumière, de l'argent et de l'extravagance, opposé à celui de la misère noire, de l'abandon et de la détresse. L'auteur a souhaité téléscoper ces deux univers totalement opposés et montrer les absurdités et les menaces qui pèsent actuellement, les pertes de repères et le délitement de la société.
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Quel récit, quelle claque !
Voilà une semaine, j'ai dévoré ce court roman et j'ai encore de la terre sous les ongles, je suis en train de fouiller et de fouiller toujours à la recherche de disparus aux côtés de Lucia. Lucia, c'est elle, c'est « toi » dans le récit, cette mère dont la fille Bianca a disparu un soir de match de finale de foot. Lucia ne peut se résoudre à ne pas savoir où Bianca se trouve, alors elle fouille, elle interroge, elle creuse dans les forêts, les clairières, partout où des corps sont enterrés à la va-vite par les gangs, les cartels. Sur son chemin, Lucia rencontre un photographe de la « nota roja », spécialiste des photos criminelles. Ce qu'il voit dans son regard à elle le conduit à continuer ce métier étrange et mal aimé, jusqu'à prendre la photo ultime, celle qui lui fera lâcher l'appareil.
Nous ne saurons jamais exactement où se déroule le récit même si on devine le Mexique assez vite. Alors sans savoir où j'étais, je me suis laissé aller dans cette histoire les yeux presque fermés, faites de même ! L'histoire est poignante (j'ai pensé à « American Dirt » de Janine Cummins, lu l'an passé à la même période) et le procédé narratif extrêmement intéressant.
En résumé, c'est un livre sombre et qui collera à vos souvenirs comme la terre colle aux corps des disparus, un livre qui ne laisse passer aucune lumière malgré le nom de l'héroïne. Un livre pourtant magnifique que je vous conseille grandement.
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« Elles marchent sous l'immensité du ciel, dans l'immensité de ce désert, dans l'immensité de l'absence. »
Difficile de sortir indemne de ce livre…
L'auteur se place en spectateur, impuissant face à ce récit, il nous parle avec des « tu ». Il raconte cette femme qui a perdu sa fille, enlevée comme tant d'autres, assassinée, comme tant d'autres. Il nous narre son obsession, avec sa tige de métal, à chercher les charniers et les fosses laissées par les cartels mexicains. La justice n'existe pas, l'état est un puissant ou de mèche, les familles sont seules, dans l'immensité de l'absence.
« Ce que je photographie chaque soir, dit-il, c'est une guerre insidieuse qui se glisse entre nous. Une guerre qui nous isole et nous enferme dans nos solitudes, disloque nos communautés, nos villes, nos vies, et nous détruit de l'intérieur. Une guerre qui avance sans grand fracas, sans bombes ni belligérants. Une guerre qui progresse en silence comme un mensonge, un non-dit. »
Difficile de lire ce livre car il est vrai...
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Sylvain Estibal, le réalisateur du «Cochon de Gaza», nous livre un roman très noir sur la tragédie des disparus du Mexique, racontée par la voix d’une mère d’adolescente introuvable.
Lire la critique sur le site : Liberation
100 000 Mexicains ont disparu en quelques années, victimes de cartels ultraviolents. Sylvain Estibal décrypte ce phénomène dans un roman poignant.
Lire la critique sur le site : LePoint
Tout cela s'est passé dans le monde qui est le tien. Les pauvres se sont transformés en tueurs. Les pauvres se sont entredévorés pour posséder eux aussi quelques miettes du grand festin. Les pauvres ont pratiqué la surenchère de l'horreur, ils ont voulu impressionner leurs rivaux, et s'impressionner eux-mêmes, montrer qu'ils existaient, qu'ils échappaient au destin de misère qu'on leur promettait et qu'ils étaient bien vivants dans ce monde, puisqu'ils étaient terribles et violents, puisqu'ils s'affranchissaient de toute humanité, puisqu'ils faisaient trembler jusqu'aux puissants, qu'ils soumettaient à leur terreur et qu'ils signaient avec eux des pactes de sang.
Ce pays produit trop de cadavres et les chambres froides débordent. Plus de place dans les instituts médicolégaux, ni dans les frigos des pompes funèbres, ni dans ceux des hôpitaux. Alors il faut stocker les corps dans des camions frigorifiques stationnés sur des parkings. Des centaines de corps non identifiés, que personne ne vient réclamer, pourrissent dans des semi-remorques.
Est-ce que ce pays est foutu? Ou est-il osé comme cela pour toujours au bord du gouffre? Et s'il tombe un jour, entraînera-t-il les autres dans sa chute? Est-ce qu'ils tomberont un à un avec lui, inévitablement? Est-il l'une des prémices? Un symptôme?
Tu sais à quoi t'expose ton combat. Il est dangereux dans ce pays de chercher les morts. Il est dangereux de contester l'ordre établi et d'affronter le silence. Sur la carte établie par les activistes, des milliers de charniers clandestins ont été inscrits au fil des mois. (...) Des milliers d'autres restent à découvrir.
Tu sais qu'ils ne trouvent qu'une infime partie des disparus, qu'ils bâclent les relevés, qu'ils sont submergés par le déluge. Tu sais que dans ce pays les disparus ne comptent pas. Que l'impunité est la règle et la justice l'exception.
Payot - Marque Page - Sylvain Estibal - Terres voraces