Aujourd'hui je vais évoquer
le Nobel des massacreurs roman formidable de
Claudine Desmarteau.
Le sens du titre du roman se révèle progressivement au fur et à mesure de la narration. Cette fiction mêle des personnages réels (des médecins principalement) à l'histoire de la narratrice et de sa famille. le début de l'action se déroule à Boston en 1941. janet constate l'état de sa mère : « je ne saurai jamais quelle femme était ma mère avant son mariage. (...). Cette femme-là je ne l'ai pas connue. (...). Elle avait le teint pâle et les yeux rouges. Elle prenait des pilules bleues, des pilules blanches, des pilules roses. (...). C'est le mariage qui a détruit ma mère. C'est le mariage avec mon père qui l'a transformée en zombie. » janet se rebelle, quitte le domicile familial, elle est convaincue qu'elle ne se mariera jamais et n'aura pas d'enfants ; elle déteste profondément son père. Elle a pour modèle
Nellie Bly une brillante journaliste américaine qui a su s'imposer dans un monde masculin et machiste. janet part pour New-York et insiste pour rencontrer un rédacteur en chef afin d'obtenir l'opportunité de montrer son talent. Son obstination paye mais son ascension est difficile : elle n'est pas du milieu, elle est une femme et n'a pas les codes. Pendant ces années elle garde un étroit contact avec George son grand frère adoré qui est resté chez leurs parents (ils échangent régulièrement des lettres pour se donner des nouvelles). La thématique des enquêtes de janet porte sur les progrès de la neuro chirurgie, elle rencontre le docteur Walter Freeman apôtre des lobotomies (en l'occurrence il sera l'initiateur de la technique transorbitaire) et le suit dans ses démonstrations. le médecin convoque la presse et les étudiants (à l'instar de Charcot au siècle précédent à la Salpêtrière) et fait son show, se donne en spectacle. janet est impressionnée, elle réalise des entretiens avec ce séducteur et publie plusieurs enquêtes sur les bénéfices des lobotomies. Sa vie n'est pas facile, elle tombe enceinte lors d'une relation avec son rédacteur en chef (odieux personnage qui n'assume pas) fait une fausse couche et est reléguée au sein de la rédaction.
le Nobel des massacreurs couvre un peu plus d'une décennie ; après New-York janet part à Washington. Progressivement elle retrouve des témoins (notamment une infirmière apeurée) et reconstitue la réalité des dommages engendrés par ces lobotomies la plupart du temps effectuées sans le consentement des patients. Elle part à Lisbonne rencontrer et interviewer Egas Moniz contributeur des premières opérations du cerveau récompensé du prix Nobel 1949. Les révélations sont accablantes, janet se rend compte qu'elle a eu tord d'encenser Freeman et ses opérations à la chaine dans les asiles. A ce moment le drame collectif est surpassé par le drame familial. George est homosexuel et follement amoureux de Richard qui le quitte pour se marier. Lors de la cérémonie George s'incruste et lit un poème de Blake qui provoque un scandale. Son père est dévasté et fait appel au médecin de famille pour interner son fils qui subit alors une lobotomie irréversible pour traiter son homosexualité. le résultat est affligeant, il devient un légume et janet vit dans une atroce culpabilité, rattrapée par le thème qui a occupé sa carrière de journaliste. Malgré tout son amour et son dévouement pour George elle ne peut rien pour le sauver et ne retrouve plus ce frère idéal.
Le Nobel des massacreurs est un roman épatant, vif et rythmé. C'est un véritable page-turner qui se lit avec angoisse et passion. L'auteure s'est bien documentée et rend palpable la situation de la psychiatrie aux Etats-Unis (et largement en Europe) pendant et après la Seconde guerre mondiale avant l'avènement des premiers neuroleptiques qui provoqueront une véritable révolution médicale et contribueront à l'abandon progressif des chirurgies invasives. L'humanité de ce roman, le féminisme de l'héroïne sont réjouissants.
Voilà, je vous ai donc parlé du Nobel des massacreurs de
Claudine Desmarteau paru aux éditions Sygne Gallimard.
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