Dernier épisode de mes rencontres auteurs à la Comédie du Livre 2023, un millésime riche pour moi en échanges avec des écrivains que j'avais eu le plaisir de lire avant de les rencontrer, le meilleur schéma possible pour moi, celui qui est le plus riche en profondeur dans la discussion.
Pour
Jonathan Coe, ce fut en premier lieu par le biais d'une conférence, le dernier jour de ce salon du livre montpelliérain. Je me rappelle particulièrement de la question de l'intervieweuse, lui demandant comment il expliquait que les Anglais aient majoritairement décidé le Leave dans le référendum sur le Brexit. La réponse de Coe est évidemment savoureuse , même si je vous la transcris dans l'esprit et pas dans la lettre "Nous les Anglais prenons vraiment tout en premier lieu avec humour. Ce Brexit n'est en fait qu'une plaisanterie de plus, nous n'avons sans doute pas mesuré toutes les conséquences...". Après l'avoir entendu parler de ce livre que je n'avais pas encore lu, j'ai pu me le faire dédicacer et évoquer avec lui ma seule lecture d'un de ses romans,
la Maison du Sommeil, un livre qui m'avait d'abord étonné et presque déçu et dont j'avais compris l'intelligence de la construction par le dénouement. Quand je lui raconte ça,
Jonathan Coe a l'air étonné et me dit "C'est un livre dont on ne me parle plus jamais dans les salons, différent de ce que j'ai fait d'autre... Merci".
Je ressors de cette rencontre un peu fier de l'avoir déstabilisé, et aussi inquiet de me trouver finalement avec ce livre face à un auteur que je ne connaissais pas puisqu'on m'annonçait que la seule chose que je savais de lui ne correspondait pas au reste. Plus d'un an après cette rencontre, je peux enfin voir si je suis d'accord avec l'auteur sur son propre regard sur son oeuvre !
Alors oui, ce livre est bien différent de
la Maison du Sommeil. C'est un livre choral, dont le but évident est de nous mettre en prise directe avec l'âme anglaise, en suivant une famille typique dans les moments charnières de cette histoire britannique. le découpage chronologique avec ces évènements marquants est très efficace, même s'il nous éloigne parfois de cette famille par les ellipses qu'il amène logiquement. Certains personnages sont ainsi un peu stéréotypés, servant le propos de l'auteur, particulièrement les trois garçons fils de Mary, parfaits modèles du spectre politique britannique, des tories aux travaillistes en passant par les socio-démocrates du "centre" anglais, moins défini que nos centristes français. Heureusement, là où ces trois frères pâtissent un peu de leur utilisation, le personnage central reste leur mère, pilier lumineux de la famille, présente à toutes les époques, fil conducteur essentiel, personnage complexe et bien défini qui surpasse le propos historique.
En revanche, j'ai parfaitement reconnu le "style" Coe qui m'avait séduit. Je mets des guillemets car ce n'est pas dans la construction de sa phrase, plutôt simple mais efficace qu'on le retrouve mais bien plutôt dans l'originalité de ses multiples constructions narratives. L'humour est très présent, l'auteur s'amuse à nous réserver des surprises sur le temps court comme le temps long, à varier les narrations à la première ou à la troisième personne, à passer par des restitutions de souvenirs d'enfance, par des retranscriptions savoureuses de travaux parlementaires européens sur le chocolat, par des mises en parallèle de décrets sanitaires et de réalités vécues à cette période du confinement. L'auteur se délecte de varier les angles... et nous avec de nous voir offrir un objet littéraire si varié.
Pour avoir récemment fini la série The Crown, j'ai beaucoup aimé tracer des parallèles avec ce livre, avoir comme regard principal celui du peuple sur leur famille royale, là où la série nous invité dans l'intimité des Windsor. On comprend mieux... ou pas... cet amour-haine des Anglais pour ces "profiteurs" prestigieux avec qui ils jouent si souvent à "Je t'aime, moi non plus", à l'image du mari de Mary qui semble indifférent voire hostile à la royauté et finit en larmes le soir des obsèques de Diana. Hormis la construction aux extrémités du récit entre le 8 Mai 1945 et les cérémonies du 75ème anniversaire de cet évènement, c'est bien le couronnement, les mariages, les décès vécus par cette famille qui rythment le récit.
J'ai longtemps été étonné du large arbre généalogique qui ouvrait le récit, ayant l'impression que seule une branche était abordée... avant de me faire préciser en note finale (ah que j'aime les auteurs qui attendent qu'on les lise avant de révéler les ficelles) que le livre prenait place dans une tétralogie existante... qui se transformerait vraisemblablement prochainement en pentalogie. de très joyeuses perspectives de lectures s'ouvrent donc à moi... et à vous si le coeur vous en dit !