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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


« Dans le port d'Amsterdam,
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent... »

Dans ce bar d'Amsterdam, il y a Jean-Baptiste Clamance qui se proclame juge-pénitent, hanté qu'il est par le souvenir d'une jeune femme qu'il n'a pas sauvée de la noyade.
Autrefois avocat réputé à Paris, homme mondain, généreux, apprécié de tous et toutes, il a quitté sa vie d'aises et de luxe pour s'exiler à Amsterdam, qu'il considère comme l'une des portes de l'Enfer. Il exerce désormais ses talents d'orateur dans un bar interlope, où tous les soirs, il confesse publiquement ses fautes jusqu'à la lie, pour ensuite renvoyer ses interlocuteurs à leurs propres culpabilités.
Pourquoi ce changement de vie radical, cet exil, cette chute ? Parce qu'en l'espace d'un instant, la conscience de Clamance a basculé dans l'abîme de la vérité et a découvert le sentiment de culpabilité.
Cet instant, c'est celui où, sur un quai de Paris, il a assisté à une autre chute, celle d'une jeune candidate au suicide dans la Seine, et où il n'a rien tenté pour la sauver.
Mais avant cette/ces chute(s), il y a un autre moment, plus fugace, quelques mois plus tôt, où sa conscience endormie avait frémi et commencé à se réveiller : au cours d'une promenade nocturne et solitaire, un rire anonyme dans l'obscurité l'avait atteint au plus profond, sans qu'il en mesure encore tout l'impact. Etait-ce un rire moqueur, en était-il la cible, si oui, pourquoi ? Qu'avait-il donc de risible, de ridicule ? "Il a fallu d'abord que ce rire perpétuel, et les rieurs, m'apprissent à voir plus clair en moi, à découvrir enfin que je n'étais pas simple".
Taraudé par ces questions, blessé par cette moquerie supposée, Clamance a commencé de réaliser que sa vie bourgeoise et lui-même ne sont que vanité, écran de fumée, hypocrisie, superficialité, égoïsme, vide abyssal, médiocrité.
Lui, l'avocat qui défendait ses clients sans juger leurs comportements et qui se croyait tellement supérieur, hors d'atteinte du jugement du commun des mortels, tombe des nues en découvrant qu'il est un lâche, ou un indifférent, capable de laisser un être humain se noyer.
Ce choc déclenche une profonde remise en question, un examen de conscience radical et absolu. A travers son auto-mise en accusation, il cherche (vainement) sa rédemption, et voudrait, par ricochet, provoquer celle de l'humanité : puisqu'il se juge et s'accuse sans complaisance, il a le droit de juger les autres, pour leur faire prendre conscience de leurs propres fautes.

« La chute » est un monologue intelligent, d'une noirceur brillante, féroce, lucide, implacable, moralisateur, un miroir qui renvoie son cruel reflet à une certaine bourgeoisie égoïste et orgueilleuse.
Ce texte pousse à la réflexion, à un questionnement existentiel sur le sens de la vie, la sincérité ou la duplicité des relations, la liberté, l'image de soi, la culpabilité. Même si je ne me suis pas vraiment senti concernée par le sort du narrateur, j'ai trouvé ce personnage (et ses semblables, ces gens sûrs d'eux, imbus d'eux-mêmes, convaincus de leur supériorité, de leur quasi-perfection et ne se remettant jamais en question) fascinant. Et l'analyse philosophico-psychologique du processus de sa chute encore davantage, tant il tombe de haut. Un vertige difficile à concevoir, je crois, quand on est soi-même la proie d'un envahissant et chronique sentiment d'infériorité (mais c'est une autre histoire et un autre débat).
Quoi qu'il en soit, ce roman distille de l'humain, aveugle à sa propre nature, une vision pessimiste et peu engageante mais, me semble-t-il, pas totalement désespérée.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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