L'Académie Nobel a su récompenser des auteurs qui se sont illustrés à la fois comme poètes et comme dramaturges. On pense à Maeterlinck,
Pirandello, plus récemment
Jelinek ou
Handke (même s'ils sont tous deux plus romanciers que poètes).
Joseph Brodsky n'est pas le plus connu de la liste, mais il mérite vraiment la lecture.
Brodsky est surtout connu comme poète... et comme dissident au régime. Arrêté en 1964 pour "parasitisme social" (même son chef d'inculpation à quelque chose de poétique...) puis expulsé en 1972, il trouve refuge aux Etats-Unis, où il publie notamment la pièce que j'évoque ici.
J'ai souvent été mitigé face au théâtre de l'absurde, notamment à la lecture. J'ai souvent l'impression qu'il mérité plus d'être vu joué que lu (comme souvent le théâtre d'ailleurs, mais on peut passer de très agréables moments de lecture avec
Shakespeare par exemple). J'aurais tendance à classer ce Marbre plus dans une sorte de théâtre baroque, l'absurde faisant partie du patchwork mais n'étant pas l'unique composante du mélange.
Baroque, cette pièce l'est déjà par le contexte: transposer un canevas Empire Roman à "l'époque de la cybernétique" comme le précise la quatrième de couverture... on sent déjà qu'il va falloir parfois éteindre notre barbante Raison. Baroque, elle l'est aussi dans son humour, parfois très fin et parfois totalement grossier... mais que l'auteur parvient à agencer sans que cela choque. C'est tout l'art du baroque que d'arriver au beau par des chemins inhabituels.
On pourrait penser que ces élucubrations ne peuvent pas mener à une profondeur de propos... eh bien on se tromperait lourdement (mais on est un con, on le sait bien... enfin quand je dis on...). Parfois en quelques mots qui font mouche, parfois par de longues tirades pleines de désespoir, l'auteur atteint au coeur des thématiques qui traversent notre humanité : la liberté forcément, pour une pièce se déroulant en prison, mais aussi le Temps, la religion, le politique. le livre nous saisit à des moments inattendus, nous touche, nous fait rire. Une belle expérience théâtrale que le poète n'a pu s'empêcher de parsemer de références (de certains auteurs d'Asie occidentale, comme il le formule joliment) que nous ne saisissons pas toujours mais qui viennent toujours fort à propos.
Cette pièce serait apparemment la plus réussie des trois publiées par l'auteur. le chemin semble donc balisé vers une découverte de la poésie du bonhomme. Si l'esprit baroque de Marbre y est maintenu, l'expérience ne peut qu'être riche.