Ce Jardin de la folie traduit en français par
Jean-Pierre Pisetta pour les lecteurs de l'Hexagone est au départ un article paru en décembre 1899 dans la Rivista d'Italia. Dans ce texte singulier,
De Amicis renoue avec son ancienne vocation de journaliste – par ailleurs jamais réellement abandonnée, tant certains de ses ouvrages, tel Sull'Oceano, peuvent apparaître comme de « grands reportages » – pour offrir la description d'un de ces « mondes clos » qu'il affectionne : l'asile des fous. Écrivain curieux de tout, intellectuel politiquement engagé, depuis 1890 il explore tous les aspects de la société italienne, jusqu'aux plus cachés. Il s'agit ici d'une clinique psychiatrique où sont accueillies les femmes folles de la bourgeoisie turinoise, qu'il visite accompagné d'un médecin bienveillant qui lui sert de guide. Dans le vaste jardin de cette institution ordinairement fermée au public, il rencontre des pensionnaires qui viennent spontanément dialoguer avec ce visiteur inconnu, comme les âmes des trépassés s'adressaient à
Dante dans l'enfer. Il présentera à ses lecteurs la réalité d'un hôpital psychiatrique tel qu'il lui apparaît – ou mieux, tel qu'il lui est montré, à travers le filtre des explications du médecin l'accompagnant : un lieu séparé du monde, où la vie semble tout d'abord se dérouler dans une banalité proche de la routine des gens sains d'esprit. de fait, la frontière qui les en sépare paraît mince ; la cause de leurs troubles peut être imputée aux accidents de la vie, comme la mort tragique d'un proche, la ruine d'une famille, une déception amoureuse, un traumatisme affectif. le médecin lui-même relativise la différence entre la santé et la maladie mentale, en expliquant que « les fous sont en général beaucoup moins fous qu'on ne le croit. Ils se montrent insensés sur un point précis, ou sur plusieurs points, mais, sur d'autres, ils conservent toutes leurs facultés, y compris les plus délicates » (p. 19). Mais comme pour la descente dantesque dans les cercles de l'enfer, le parcours de
De Amicis dans le « jardin de la folie » finit par révéler son irréductible étrangeté ; plus on avance, plus la légèreté souriante des premières rencontres laisse place au spectacle désolant d'autres infortunées, immobiles ou couchées, en larmes ou en furie, dont la souffrance, minimisée par le docteur, se révèle à l'écrivain. Ces malades ne sont plus, comme les précédentes, affligées par d'innocentes manies, mais sont atteintes de pathologies que le lecteur contemporain peut reconnaître sans difficulté (mélancolie, délire de persécution, schizophrénie…). Bien que la psychiatrie italienne de la fin du XIXe siècle les ait également répertoriées, aucune étiquette médicale ne vient ici qualifier leur état ;
De Amicis évite soigneusement de mentionner les définitions du savoir médical de son temps, et s'en tient à son projet initial de présenter dans toute sa diversité une galerie inhabituelle de figures féminines, qu'il décrit avec fidélité et sympathie. Son article reste un document dicté par un intérêt humain et porté par un art de la description et une écriture toujours agréables.
Les mystères urbains en Italie – volume I : Les textes du XIXe siècle
Mariella Colin
p. 175-176
Lien :
https://doi.org/10.4000/tran..