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sans majuscule

« sans ponctuation ni majuscule

bien évidemment

puisque nous n'y sommes pas

n'y vivons pas



encore



puisque de la grammaire

nous avons largué

les amarres



puisque cela parle du temps »



Tout le recueil, trente-quatre poèmes en tout, semble ramassé dans celui qui le clôt : une composition en vers libres sans majuscule ni ponctuation qui se soustrait à l'absolutisme de la syntaxe et nous parle du temps.

Il y a le temps qui court, ou plutôt nous qui lui courons après, toujours pressés, sollicités, houspillés, pas moyen d'être en paix, même dans la tombe:



« même sous terre

nous voilà sommés encore

d'avancer »



Il y a le temps révolu, la nostalgie du souvenir qui s'incarne aussi bien dans le vécu de Thierry Noiret (son enfance, ses premières amours, ses voyages) que dans les livres tant aimés : Jorge Luis Borges, James Joyce, Léon-Paul Fargue surtout, « père, maître en imagination, ami en écriture » qui cultive « l'art de la métaphore filée, la très précieuse science de tisser des mots sans suite mais à la saveur intense et à la vérité impitoyable »:



« Un train écume et se rendort. Des musiques diffuses rôdent. La vie antérieure émerge et chuchote.»



Et il y a le temps qui reste, s'amenuisant inexorablement à mesure que les années s'égrènent, les amours mortes, l'insondable solitude, l'angoisse face à un avenir évidé de ses promesses :



« que reste-t-il à léguer

à notre enfance

bâtir un toit sans mur

coudre un épais duvet

où naissent et reposent

de paisibles obligations »



Le hasard a voulu qu'au moment où j'entamais la lecture de sans majuscule, ma chère maman m'offrît, dans une collection superbement illustrée (Diane de Selliers), Les fleurs du mal, l'une de mes grandes passions adolescentes. Difficile d'imaginer contraste plus saisissant. Surchargés de ponctuations (que de points d'exclamation!), saturés de majuscules, très emphatiques, les vers de Baudelaire produisent un effet de sidération sur le lecteur jusqu'à la nausée, quand ceux de Thierry Noiret, graves et fantaisistes, sobres et décalés, frappent au contraire par l'économie de moyens qui les sous-tend.



« reste donc

muette et résignée

reste

sage toute contre moi



ma solitude mon ennui »



Ce n'est pas la ponctuation qui donne son rythme au poème, mais l'agencement des vers entre eux, des vers courts, parfois réduits à un seul mot qui résonne et qui claque, des phrases en porte-à-faux créant une cassure, une dissonance venant titiller le lecteur, qui jamais n'étouffe sous le sens, attentif avant tout à la musique des mots. Chez Thierry Noiret, le poème n'assène pas, mais suggère, échappe aux interprétations définitives en même temps qu'il refuse d'enfermer son lecteur dans une vision du monde clairement énoncée. Foncièrement libre, jamais clos sur lui-même, il reste aux aguets, perpétuellement ouvert sur un questionnement sans fin : qu'est-ce que le réel? Est-ce ce que nous avons réellement vécu? Ou est-ce, au-delà d'événements vécus s'enracinant dans l'expérience, tout ce que notre imagination recompose à loisir, remodelant au fil du temps un passé qui, à bien des égards, se lit depuis l'avenir? Questionner le réel ne revient-il pas à questionner le rôle de l'écriture dans nos vies? Car, à la fois douleur et consolation, servitude et raison de vivre, « elle seule permet d'amadouer la nostalgie et d'ouvrir une brèche vers l'avenir ».



« Discerner le murmure des mémoires, le murmure de l'herbe, le murmure des gonds. Il s'agit de devenir silencieux pour que le silence nous livre ses mélodies. Écrire, c'est savoir dérober des secrets. »



Léon-Paul Fargue
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sans majuscule

Thierry Noiret est un magicien aux multiples talents. Cet artiste habile jongle naturellement avec les mots mais il ne les retient pas et les laisse s'envoler dans un souffle évanescent vers de nouveaux horizons. Véritable poète troubadour il possède le don incroyable d'emporter le lecteur dans une balade autour du monde, doublée d'une ballade enchanteresse. Des sons doux et harmonieux s'échappent de ses poèmes (j'allais dire de ses lèvres) et se fondent dans un jeu de couleurs chatoyantes, dévoilant l'arc-en-ciel de la vie, de l'amour et de l'espérance, avant de plonger dans l'inexorable fuite du temps sous la vague de la vieillesse, des souvenirs et des regrets.



Par le biais d'un voyage intemporel, original et étonnant, Thierry nous invite à découvrir de nouveaux horizons, d'innombrables contrées qu'il s'emploie à magnifier, sans majuscule ni ponctuation mais aussi sans frontières… En sa compagnie nous déployons nos ailes pour prendre notre envol au-dessus des fleuves, des mers et des océans ; depuis le firmament, nous survolons des villes perdues dans des années-lumière d'histoire, puis nous dérivons jusqu'à en perdre la notion de l'équilibre, du temps et de l'espace.



Entre rêve et réalité il n'y a plus de limites et on passe de l'ombre à la lumière, du silence au fracas, de la tristesse à la joie, de la sagesse à la fantaisie, avec une infinie délicatesse. Pensées philosophiques, états d'âmes profonds, métaphores savoureuses, visions fantomatiques, tout est merveilleusement suscité, révélé, avec parfois une pointe d'humour revitalisante. Cet ouvrage inspirant et plaisant ouvre également la porte à de profondes réflexions sur la nature humaine et son évolution. Aujourd'hui, perdus dans l'immensité de la planète, que représentent les humains ? Et que deviendront-ils demain sur l'échiquier du destin ?

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sans majuscule

L'auteur nous apprend dans sa préface qu'après l'avoir délaissée, il renoue avec la poésie.

Un échange avec un tiers lui en a insufflé le désir, que semble confirmer la naissance du premier poème — de l'aveu même de l'auteur, ce retour est vécu comme un rapprochement avec soi et comme un « ravissement ».



C'est donc avec ce premier texte fondateur que s'ouvre le recueil de trente-quatre poésies, « sans majuscule ». C'est très probablement aussi ce texte qui a façonné les autres poèmes, leur contenu, la couleur lyrique, la visée et le principe poétique formel, dont il est annoncé qu'il sera résolument tourné vers la musique.

Quant à la forme, pour en dire plus, elle est celle du vers libre, sans ponctuation, sans majuscule. Sans titre, les poèmes sont numérotés.



« reste

il y a le brouillard tous ces nuages

reste te dis-je même si le ciel était d'azur

les feuilles mortes pourrissent sous la neige

je n'ai plus de fleurs à t'offrir



Dès l'incipit, le lecteur partage la délectation de l'écrivain devant la prosodie qui, de texte en texte, va fleurir sous ses yeux.

« reste… » nous commande le poème. « Nous », dis-je, car on se sent appelé par cet impératif et prêt à recueillir cette prière murmurée comme une supplique adressée au lecteur.

Ce dernier ne demandera pas mieux que d'entrer plus avant dans ce jardin de fleurs, tant celui-ci est frais, tant il s'ouvre sans manières, sans poses, mais selon un projet authentiquement révélé.



Dès le deuxième poème, le lecteur comprend en effet que les trente-quatre poèmes sont l'émanation d'un vécu. Poème de l'existence, monde de l'observation, de l'apprentissage, et, somme toute, de l'expérience humaine, de l'épreuve de la vie…

« reste »… entend-il d'abord.



Puis :



« le poème n'est pas fiction […] »



« […] tout ce qui suit a été vécu et éprouvé (confie l'auteur dans sa préface) : le fleuve près duquel je vis, le quartier d'Uccle (très en pente) de mon enfance, mes voyages (Rome, Épi¬daure, Paris, Compostelle, Dublin, Samarkand...), mes lectures (Jorge Luis Borges, Ulysse, Voltaire, Érasme, Rabelais et ses géants...), mes premières amours (près du moulin à aubes ou dans une église) etc… »



Poésie de l'intime, aux inflexions amères (« le poème est un drame »), ou ensoleillées et lyriques (« le pain nourrit et renaît / chaque matin chez le boulanger »), non exempte ni des vicissitudes ni des inquiétudes sur le futur de l'Homme, voilà où se tient ce recueil qui exalte la beauté et le concret de la vie.



Il est fort juste et inspiré, cher Thierry Noiret, ce retour en poésie !



« déchiffrer l'alphabet cyrillique

déterrer la poussière

fouiller la décharge

de notre destinée

comme de vulgaires archéologues

creuser le passé jusqu'à

sa première partition



que retenir des enfers

sous la grammaire trouverons-nous

l'entropie

ou une autre plage



il y a de l'ancien dans notre existence

les civilisations jettent des ordures

nous nous baignons dedans

rien ne peut nous en laver

encore moins la dernière pluie



chaque matin nous cuisons

de nouveaux oeufs nés de vieilles poules

chaque matin nous croyons

au matin

mais hier nous avale dès le premier

café

[…] »



*



Quelques mots pour finir sur la maison d'édition québécoise où est paru ce beau recueil.

ELP Éditeurs, que je salue ici, est une petite maison d'édition accueillante mais exigeante. Animée par deux écrivains de grand talent, Daniel Ducharme et Paul Laurendeau, c'est une maison qui défend la littérature, selon des critères très sélectifs, et dans laquelle l'auteur est assuré d'avoir été choisi. le soin apporté à la fabrication des livres est par ailleurs en tout point remarquable.

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