Fondée par Laurent Beccaria en 1997 pour la publication d`un seul livre, Une guerre de Dominique Lorentz, les éditions Les Arènes se spécialisent par la suite dans les documents d`actualités, les livres commémoratifs, les témoignages. La plupart des publications sont le résultat de coups de cœur plus que la définition d`une ligne éditoriale. La maison connaît un grand succès public avec la publication de Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler
Un roman graphique adapté par l’auteure elle-même de son essai Sexe et mensonges.
L’idée de cet essai naît lors de la tournée de promotion de son roman Dans le jardin de l’ogre, au Maroc au printemps 2015, dans lequel elle aborde déjà le thème de la sexualité, sous l’angle de la compulsion sexuelle. Leila Slimani rencontre alors plusieurs femmes qui lui racontent spontanément leur problématique sexuelle.
Car, au Maroc, l’hypocrisie autour de la sexualité est à son comble. Tout acte sexuel hors mariage est puni par la loi. Ce qui implique qu’on est censé rester vierge jusqu’à son mariage, mais aussi que le concubinage et l’homosexualité sont interdits, que le célibat est très mal vu, les prostituées aussi, et que, pour les plus traditionalistes, la femme est juste «une machine à procréer, qui n’est pas censée éprouver de plaisir et dont le corps est quasiment la propriété [du mari]». Et pourtant, officiellement, la femme est mise sur un piédestal, il faut la protéger comme un objet précieux du regard des autres hommes, et la pudeur est sacralisée, dans un pays qui est le cinquième consommateur mondial de pornographie sur internet ! Que d’ambivalences, de contradictions et de misogynie ! Et pour couper court à toutes les critiques, la phrase magique (et erronée) est «C’est le Coran qui le dit !».
C’est donc en mai 2015 que L. Slimani rencontre une célibataire endurcie, qui lui raconte sa libération sexuelle, grâce à ses colocataires, quand elle était étudiante ; surviennent d’autres événements brûlants, dans les semaines et les mois qui suivent : la sortie au festival de Cannes du film Much Loved, qui évoque crûment la prostitution au Maroc et y est aussitôt interdit, la tenue dénudée de Jennifer Lopez au festival Mawazine de Rabat, l’arrestation de deux femmes en jupe pour outrage à la pudeur, et le lynchage d’un homosexuel à Fès. D’autres rencontres vont suivre, des prostituées, une lesbienne, des militantes féministes.
Cet album instructif, courageux et engagé, aborde ce problème de société sous tous ses angles, le débat officiel sur l’avortement, tout début 2005 (600 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc), le mariage forcé des toutes jeunes filles, l’inceste et les suicides, la traduction controversable du Coran qui sert la cause des hommes et non celle de l’Islam, la non-conscientisation de beaucoup de femmes de leur situation d’infériorité, le poids du regard et du jugement des autres, omniprésents, le manque de vraie culture religieuse et l’ignorance générale en matière de sexualité.
L’auteure rapporte ainsi la phrase qu’un jeune homme «libéré» a asséné à l’une de ses interlocutrices : «C’est mon droit quand même ! J’ai le droit de vouloir à la fois baiser et me marier avec une vierge ! T’es super intolérante comme meuf !» Une vision très manichéenne de la femme : pute ou vertueuse et, quel que soit le cas, au service des désirs masculins !
Un pays, donc, écartelé entre ce qu’il devrait être, selon la loi et la religion d’état, et sa réalité concrète, entre la pression violente du groupe et les aspirations de beaucoup, hommes comme femmes. Il reste à espérer que la libération de la parole, de plus en plus fréquente, sera capable d’apporter le changement espéré dans les mentalités et dans la législation.
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