Vanessa Anthony

Dieu que cet homme était beau ! pensa-t-elle en contemplant ses yeux verts, sa barbe de deux jours et sa mâchoire carrée. Il respirait la virilité, avec sa puissante stature et ses bras nerveux, dont les muscles affleuraient sous la peau. Elle en était tombée amoureuse à la minute même où ils s’étaient rencontrés et avaient parlé musique. Hélas, il devenait de plus en plus distant, et ça la piquait dans son orgueil.

Après tout, si Cendrillon ne s’était pas enfuie sur les coups de minuit, sans doute le prince ne se serait-il jamais donné autant de mal pour la retrouver. Il en allait de même pour sa relation avec lui. Elle ne l’avait même pas laissé l’embrasser, savourant l’ascendant certain qu’elle prenait sur lui en le frustrant ainsi. Pour ne rien cacher, elle aussi sentait une certaine forme d’excitation la gagner, comme en témoignait le feu qui lui brûlait les reins à l’évocation de son dernier rendez-vous. Oui, vraiment, l’attente avait du bon.

Les femmes se paraient de leurs plus beaux diamants et affichaient sans vergogne des sacs dont la valeur lui aurait permis de payer un an de loyer ; on descendait d’un véhicule dernier cri dont le prix se terminait par cinq zéros, et on discutait des prochaines vacances aux Bahamas ou dans les Hampton. Bref, elle se sentait hors concours, et s’imaginer au bras de Justin dans une robe achetée à la supérette du coin était proprement risible. Non merci, elle avait encore un peu de fierté.

Yeux cernés, lèvres fendillées à force de se les être mordu de nervosité, mèches sales qui s’échappaient de son chignon noué à la hâte… Elle peinait à reconnaître l’élégante jeune femme qu’elle avait été. Sans compter que travailler pour quelqu’un d’aussi fortuné que Sean Bellington relevait du pur masochisme, tant la nostalgie de sa vie passée lui revenait. Elle avait eu tout le loisir d’étudier les signes extérieurs de richesse de ce personnage imbu de lui-même.

Après tout, Daria, gloire montante de la pop américaine, était la meilleure chanteuse qu’il ait jamais croisée. Et il avait désespérément besoin de sa voix, de la même manière qu’elle se reposait sur lui pour lui composer les tubes de demain. Ils formaient une bonne équipe, professionnellement aussi bien que dans l’intimité. Et ses jambes interminables avaient le don de lui faire oublier son égocentrisme et sa jalousie maladive.

– Tu te souviens, Rosie ? Tu te souviens de notre maison ?
Rose se crispa. C’était pourtant un engagement tacite entre eux : jamais ils ne devaient parler de leur ancienne vie, jamais. C’était complètement proscrit : à quoi bon remuer le couteau dans la plaie ? Le passé, c’était comme une vie antérieure, un doux rêve brisé par l’engrenage impitoyable de la crise des subprimes.

La pureté de sa voix illumina un instant le salon lugubre, les emportant tous deux dans un tourbillon de souvenirs heureux.

Que c’était bon de se sentir à nouveau désirable, malgré ses vêtements usés et son parfum bon marché !