- "Même les monstres", Thierry Illouz, l'Iconoclaste. https://www.librest.com/tous-les-livres/meme-les-monstres-9782378800260.html
Jeudi 27 septembre 2018 à 20H
Rencontre avec Thierry Illouz est avocat, romancier, auteur de pie?ces de the?a?tre dont plusieurs ont e?te? joue?es au the?a?tre du Rond-Point, il nous présentera son nouveau récit Même les monstres aux éditions Iconoclaste.
Comment pouvez-vous de?fendre tous ces crimes ? lui demande- t-on souvent. A? cela il re?pond que jamais il ne de?fend des crimes, mais des hommes.
DE LA CITE? A? LA COUR D?ASSISES
Sa robe d?avocat est pose?e sur le dossier d?une chaise. Il la regarde du coin de l??il. Lorsqu?il l?enfile, il n?est plus le me?me. Sa voix ne tremble pas. Il ne doute jamais. Lui, l?enfant d?un quartier de?laisse?, le fils de rapatrie?s d?Alge?rie. Il se souvient de ses grands-parents ravage?s par leur de?part et leur installation dans une cite? picarde. Lorsque c?e?taient eux que l?on de?signait comme diffe?rents, et donc monstrueux. C?est cette histoire intime qu?il convoque lorsqu?il est confronte? a? ses clients. Des criminels. Des monstres, comme on les appelle. Parce que de?fendre, ce n?est pas excuser, mais chercher a? comprendre.
UN GRAND RE?CIT SOCIAL
Comment pouvez-vous de?fendre tous ces crimes ? lui demande- t-on souvent. A? cela il re?pond que jamais il ne de?fend des crimes, mais des hommes. Seulement des hommes. Ils ont des visages, des histoires, des luttes, des blessures. Et parce qu?il a co?toye? la mise?re sociale, il le sait, le comprend. De?fendre ces gens-la?, se « coller a? leur souffrance », c?est aussi et surtout de?fendre l?humanite? en chacun. Et gue?rir ses propres failles.
UNE VIBRANTE PLAIDOIRIE
D?une e?criture a? l?oralite? saisissante, Thierry Illouz livre un re?cit intime. Il retrace un parcours, une vocation. Et nous exhorte a? regarder l?autre. Celui qui nous effraie. Celui que l?on condamne.
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Défendre n’est pas épouser le mal, ni la faute, ni le crime, jamais. Défendre, c’est ôter au mal toute chance d’être le mal, c’est-à-dire une idée réfractaire à toute compréhension, à toute histoire. Défendre, c’est épuiser l’idée du mal. Et la défense, c’est ce sur quoi il ne faut jamais revenir, d’aucune façon ; la défense c’est la seule chance de conjurer l’injustice, l’aveuglement, la vengeance, dans tous les cas. Et le totalitarisme, évidemment.
Je ne crois pas à la valeur réparatrice des punitions. Je crois même, et chacun le soupçonne intimement bien que le propos frôle le scandaleux, que la prison, les menottes et les qualifications de toutes sortes ne font qu’encourager la délinquance.
Le monde est gagné par ces pulsions sourdes qui prospèrent dans l’ombre. Il ne faut pas que ces dérives échappent à la compréhension. Sinon, toute humanité sera perdue.
Imaginez-vous quelqu’un à vos côtés qui attend que vous l’aidiez à redresser le monde, à prouver que quelque chose n’est pas arrivé. Comprenez ma peur.
La justice est le lieu du soupçon, parce qu’elle est humaine, et, pour l’humain, l’autre est toujours le lieu du soupçon.
La justice est un spectacle, elle est une chose publique, cette exhibition me gêne.....aucune affaire importante sans voir accourir au tribunal des hordes de caméras. Je la comprends bien cette envie de savoir, cette envie de voir, de se mêler au roman des gens. Mais j'ai peur de la surface des choses. Un procès est toujours complexe. Défendre, c'est comprendre ce qui se trouve derrière les gestes, derrière les comportements ; où cela commence un geste ? Dans quelles circonstances, par quel enchaînement ? Comment toute la vie de quelqu'un prépare patiemment le moment terrible du passage à l'acte ? Il faudrait du temps, du calme, et pas seulement ce bruit et cette fureur.
Quand j'ai commencé à travailler comme avocat, j'assurais ce que l'on appelle les audiences "de comparution immédiate" après avoir été appelées " de flagrants délits". Il s'agissait d'examiner un dossier à toute allure, et de le plaider dans la foulée, à la chaîne. Il paraît que la justice est trop lente, on s'en plaint, on vitupère, mais dans ces moments-là, j'ai rêvé de lenteur...Je voyais défiler les prévenus sans avoir le temps d'échanger suffisamment avec eux, de chercher dans leurs récits, dans leur voix et dans leurs yeux les indices qui pourraient m'aider à les défendre. Je devais le faire pourtant...Et parcourir le dossier, le décrypter dans la forme et dans le fond, en recenser les éventuels vices de procédure et les contradictions. Chacun connaît l'expression " au bénéfice du doute", c'est un réel principe de droit, on ne peut en théorie condamner quelqu'un dans le doute. Alors, je me suis efforcé de me demander dans chaque affaire s'il subsistait le moindre doute, à défaut d'aveu, ou même parfois en présence d'aveu. Un doute, quelque grain de sable qui contrarierait l'évidence. Cette théorie du doute devient une religion quand on défend et, contrairement à ce que l'on dit souvent, c'est un bienfait, une chance pour la démocratie. La condamnation est une porte fermée, une réclusion dans tous les sens du terme.
Être mère, ne pas hésiter une seconde, bousculer les tortures du juste er de l'injuste, les frontières de ces définitions, effacer le monde pour son enfant, laver la route du monde qui voudrait qui voudrait pour n'importe quelle raison s' en prendre à lui, comprendre chaque ges5 venant de lui, en tout cas se débarrasser de tout ce qui pourrait empêcher de le comprendre, de le pardonner.
L’idée lui était venue au moment de sortir, alors qu’elle tournait la clef dans la serrure de chez elle, elle avait rouvert, était rentrée, était allée jusqu’à la commode mettre un peu de parfum, et avait repris son chemin ; Une fois assise au parloir, on l’a fait attendre. Et l’odeur est venue lui enserrer la gorge, la prendre et l’étouffer. L’odeur avait des mains qui lui tenaient le cou, bâillonnaient sa bouche, lui mettaient sous le nez un parfum insupportable. Elle n’en avait parlé à personne mais cette odeur était devenue pour toujours l’odeur de la prison. - p. 122
A l'audience correctionnelle me vient le souvenir de cette femme trahie par son oreille et sa voix devant le président qui l'interroge :
"Vous avez eu des dégâts ?"
- Non, monsieur le président, je n'ai eu que des filles."
Elle avait entendu " des gars". Chez elle, on disait "des gars" et, dans sa maladresse, elle disait une chose forte : elle espérait qu'on lui parlerait ici comme on lui parlait chez elle. Il s'en est suivi un rire général dont je ne sais pas ce qu'il faudrait dire ou écrire, si ce n'est que je l'ai partagé et que j'en éprouve encore une honte.